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Polémique

Publié le 15 oct 2018Lecture 13 min

Angioplastie coronaire ambulatoire - Faisabilité et financement

Marc BRAMI, Fédération de l’hospitalisation privée-médecine, chirurgie, obstétrique ; Philippe COMMEAU, président du GACI

Grâce aux progrès réalisés dans sa prise en charge, l’angioplastie coronaire pourrait, sous certaines conditions, entrer dans le champ de l’hospitalisation de jour « ambulatoire » (entrée et sortie le même jour)é Parmi les freins s’opposant à cette évolution, la question du financement de la structure hospitalière pour cette activité est souvent avancée.

D’où l’idée de cette approche de l’impact des modalités de financement sur les modalités de prise en charge. Préambule : la tarification à l’activité et le principe de la construction des tarifs La tarification à l’activité mise en place à partir de 2004 dans les établissements de court séjour a succédé à un mode de financement totalement hétérogène et inéquitable. Dans le secteur public, la dotation globale de financement ne permettait aucune évaluation ni de l’activité déployée ni de la qualité des soins, et l’iniquité de traitement entre établissements avait été identifiée de longue date. Dans le secteur privé soumis à Objectif quantifié national, la tarification à l’acte qui existait alors ne permettait pas plus d’assurer l’adéquation entre financement et activité dans la mesure où le prix unitaire des prestations (PJ, FSO, etc.), variables selon l’établissement, reposait sur des bases exclusivement historiques sans aucun rapport avec la réelle mobilisation de ressources. La T2A s’était donné pour objectif de ramener de l’équité dans le financement des établissements de santé, sur le principe : « à activité égale, financement égal », au moins au sein de chacun des secteurs (public, privé), ce qui est à présent le cas. Par ailleurs la T2A n’a jamais eu pour principe de financer le séjour d’un malade à la hauteur exacte des ressources engagées, mais seulement d’équilibrer un case mix en rémunérant chaque séjour par le tarif moyen national du Groupe homogène de séjour dans lequel le séjour est groupé. Tout repose alors sur les modalités de calcul de ce tarif moyen national. Cette mission est confiée à l’Agence technique pour l’information sur l’hospitalisation (ATIH) qui procède à partir de données recueillies chaque année dans un échantillon d’établissements volontaires, mettant en œuvre une comptabilité analytique spécifique. A partir de ces données, l’ATIH calcule un « coût de production constaté par séjour » qu’elle ramène au périmètre du GHS, en excluant tout ce qui n’est pas « payé » par le GHS : les dispositifs médicaux implantables (DMI) – dans le cas de la cardiologie : essentiellement les stents ou les stimulateurs, etc. –, les suppléments pour journées en unité de soins intensif, voire de réanimation, voire de surveillance continue, et en secteur privé, les honoraires des médecins libéraux (y compris pour les actes d’imagerie, et de laboratoire, etc.). L’ATIH définit ainsi chaque année, et pour chaque GHM, un « Tarif issu des coûts » (TIC), en général très peu différent d’une année sur l’autre, qui lui permet de construire une échelle de hiérarchisation des tarifs sur laquelle elle distribue la part de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) hospitalier dévolue aux tarifs des GHS, en s’efforçant, depuis l’injonction donnée par la Cour des Comptes en 2012, renouvelée chaque année par les différents cabinets ministériels, de fixer les tarifs de l’année au plus près des TIC. La comptabilité analytique utilisée pour ce recueil distingue les charges directes qu’il est possible d’affecter au séjour (temps d’occupation du bloc opératoire ou du plateau technique, médicaments administrés ou dispositif implantable utilisé pour le séjour particulier, etc.), et les charges générales de l’établissement (salaire de la totalité des personnels, et totalité des charges diverses, etc.) par journée d’hospitalisation. Un séjour « ambulatoire », en hospitalisation de jour, sera ainsi forcément moins valorisé qu’un séjour ayant comporté une ou plusieurs nuitées d’hospitalisation, même si on sait que l’essentiel de la mobilisation de ressources a lieu le jour de l’utilisation du plateau technique, les jours postopératoires étant généralement peu consommateurs de ressources (suivi infirmier, hôtellerie, etc.). Même dans le cas d’un séjour uniquement médical, le maximum de l’effort de soins est généralement produit au cours des 24, ou au maximum des 48, premières heures d’hospitalisation. L’activité Matériels et méthodes Recensement de la fréquence des actes de la CCAM(1) : DDAF001 à DDAF010 (dilatation intraluminale d’un ou plusieurs vaisseau(x) coronaire(s), avec ou sans pose d’endoprothèse, avec ou sans artériographie coronaire, par voie artérielle transcutanée), dans les bases PMSI MCO nationales publiques et privées(2), de 2006 (date de mise en œuvre du recueil de l’information au moyen de la CCAM) à 2017(3). Les actes (figures 1 à 3) En progression constante depuis un quart de siècle, l’angioplastie coronaire se rapproche en 2017 du cap des 200 000 actes répertoriés annuellement dans le PMSI (190 000 et 193 000 si on inclut les actes d’athérectomie intraluminale d’artère coronaire). Si la plupart de ces gestes sont réalisés en hospitalisation complète, une part de plus en plus grande donne lieu à une hospitalisation avec une seule nuitée d’hospitalisation (14 %) voire à une prise en charge en hospitalisation de jour (3 %). Le virage ambulatoire reste timide en France. Figure 1. Évolution du nombre d’angioplasties coronaires selon la durée d’hospitalisation. Figure 2. Évolution du taux d’ambulatoire des séjours avec angioplastie coronaire (en %, et selon le secteur d’hospitalisation : public ou privé). Figure 3. Évolution du taux d’angioplastie coronaire réalisées en hospitalisation d’une seule nuitée. Cependant, ce « virage ambulatoire » progresse très rapidement dans de nombreux pays occidentaux, alors qu’il reste timide en France. La question est donc de savoir si, indépendamment des évolutions de technique médicale proprement dite, les modalités de financement peuvent expliquer cette timidité. Les établissements qui développent cette activité Dans la base PMSI MCO 2017, 380 établissements ont enregistré au moins une fois l’un des actes ciblés, mais si on écarte tous ceux qui ont enregistré moins de 10 actes dans l’année (erreur de codage, prestation inter établissements, etc.) il reste 255 établissements, dont 80 privés et 175 publics. Parmi ces établissements, 193 ont, au moins une fois, produit un séjour avec angioplastie coronaire et sans nuitée d’hospitalisation. Si on recherche à présent les établissements dont le taux de réalisation en ambulatoire égale ou dépasse le taux moyen national de 2,9 %, il n’y a plus que 41 établissements (15 privés, 9 CHU, 12 CH, 5 ESPIC ou privé à but non lucratif), avec la distribution suivante : – entre 2,9 % et 10 % de l’activité développée avec 0 nuitée : 26 établissements ; – entre 10,1 % et 20 % : 9 établissements ; – entre 20,1 % et 30 % : 4 établissements ; – supérieur à 30 % : 2 établissements. Le contexte médical Pendant de nombreuses années, la crainte du cardiologue interventionnel après la réalisation d’une angioplastie coronaire était la thrombose coronaire aiguë, complication redoutable, issue d’une période antérieure à l’avènement de la double antiagrégation plaquettaire. Cette crainte a perduré expliquant la volonté d’une surveillance accrue, en USIC et télémétrée, de nos patients pendant de nombreuses années. De multiples facteurs ont convergé pour faire disparaître les complications précoces, en particulier l’occlusion coronaire : amélioration technologique (qualité de l’imagerie en particulier avec le StentBoost [Philips], l’imagerie endocoronaire, pour ceux qui l’utilisent, les dernières générations de ballons et de stents, etc.), double antiagrégation plaquettaire, dextérité des opérateurs. La 2e complication redoutée, à savoir les complications hémorragiques de la voie d’abord, a été, elle aussi, éradiquée par l’utilisation quasi exclusive de la voie radiale. Les rares procédures utilisant la voie fémorale ont, quant à elles, bénéficié des systèmes de fermeture très efficaces. Ainsi la plupart du temps, une complication postprocédurale se situe dans la continuité d’un événement procédural. Dans les différents registres, la survenue d’un événement après 6 heures suivant la procédure est rarissime lorsque la procédure elle-même est non compliquée et considérée comme un succés. Par ailleurs les complications différées surviennent en général à distance des 48 h de la procédure, le plus souvent à la rupture d’un traitement antiagrégant ou d’un événement intercurrent imprévisible augmentant la résistance au traitement antiagrégant classique. Que disent les études ? L’angioplastie coronaire en ambulatoire a été expérimentée et validée dans de nombreux pays. Malheureusement, les conditions de prise en charge et de financement y sont totalement différentes. Quoi qu’il en soit, deux études importantes ont été publiées visant à comparer, en termes de sécurité, l’angioplastie en hospitalisation classique (1 nuit) et l’angioplastie ambulatoire (same day discharge). La premiére est un registre observationnel multicentrique portant sur la période 2004-2008 (> 100 000 patients stables), la seconde une métaanalyse plus récente (2013) portant sur 7 études randomisées et 30 études observationnelles (> 12 000 patients). Dans ces deux publications, il n’a pas été noté de « sur-risque » de mortalité, d’infarctus, de redilatation ou de complications hémorragiques locales à 30 jours. Depuis la parution de ces deux publications, d’autres études avec des cohortes réduites mais randomisées et tenant compte des évolutions les plus récentes, confirment la parfaite innocuité de l’angioplastie réalisée en ambulatoire. À qui s’adresse l’angioplastie ambulatoire ? L’angioplastie ambulatoire impose néanmoins le respect de certaines règles, indépendantes de la volonté des patients qui, sans ambiguïté, plébiscitent l’hospitalisation de jour. Il semble préférable de réserver l’angioplastie ambulatoire aux patients présentant les lésions les plus simples. L’angioplastie ambulatoire s’adresse avant tout aux patients stables (angor stable ou ischémie silencieuse) sans signes d’insuffisance cardiaque et FEVG conservée, à fonction rénale normale. Même, si dans certains pays (Royaume-Uni), il n’existe pas de critères anatomiques d’exclusion, il semble préférable dans un premier temps de réserver ces procédures aux patients présentant les lésions les plus simples (exclure les angioplasties de CTO, les dilatations du tronc commun, les procédures de Rotablator®, etc.). Des critères socioéconomiques doivent être considérés en excluant les patients vivant seuls, ou loin du centre ainsi que ceux qui paraissent mal comprendre les consignes simples. Enfin, certaines procédures initialement prévues en ambulatoire pourront faire l’objet d’un repli en cas de phénomènes intercurrents ou de complications (perte de branche, douleur persistante avec modifications ECG, état hémodynamique instable quel qu’en soit la nature, complications perprocédurales même jugulées, etc.). En France, peu de centres ont une expérience de cette procédure (CHU Henri Mondor à Créteil, CHG de Versailles, CHU Ambroise Paré é Boulogne-Billancourt, Institut Montsouris à Paris) mais tous ont le même retour sur son innocuité et sa parfaite sécurité après l’avoir expérimenté de façon progressive. Outre la sélection initiale qui pourra varier avec l’expérience du centre, les facteurs primordiaux sont l’organisation et la logistique hospitalière : local d’accueil centralisé et adapté, secrétariat parfaitement « huilé » pour assurer une hospitalisation fluide chez des patients informés et sélectionnés au préalable sur les critères détaillés plus haut. Le suivi postopératoire doit être codifié et peut varier d’un centre à l’autre en fonction des pratiques locales (appel téléphonique, passage d’une IDE HAD, dosage enzymatique, téléconsultation, etc.). Le contexte financier Le mode de financement actuel Le principe de la tarification à l’activité appliquée en France n’est pas une rémunération à l’acte, et le tarif proposé pour un séjour n’a pas vocation à couvrir la totalité des ressources mobilisées pour un cas précis. Ce tarif constitue un forfait calculé à partir de la moyenne des coûts de production constatés dans un échantillon d’établissements, et redressée statistiquement. Ainsi un établissement plus performant, c’est-à-dire produisant la même activité à un moindre coût, sera avantagé par ce mode de financement. La grille tarifaire distingue l’angioplastie réalisé à l’occasion d’un infarctus du myocarde, et celle réalisée pour une pathologie coronarienne à risque, mais hors d’un contexte aigu. Mais, fort inopportunément, dans ce second cas, le tarif est commun avec celui de toutes les prises en charge pour pose d’endoprothèse vasculaire par voie percutanée, y compris périphérique. S’appuyant sur la classification PMSI, ce tarif varie avec la durée d’hospitalisation et la sévérité des complications ou morbidités associées prises en charge au cours du séjour. Ainsi, les séjours pour angioplastie coronaire réalisés en hospitalisation de jour ou avec une seule nuit d’hospitalisation sont rémunérés à l’identique, au même tarif (GHM en T). Mais dès que le séjour a comporté au moins deux nuits d’hospitalisation, c’est un tarif supérieur qui s’applique, majoré de 40 % (dans chacun des deux secteurs d’hospitalisation ; GHM de niveau 1). Pourtant ce niveau 1 a une durée moyenne de séjour de 2,5 jours, et 75 % des séjours de ce GHM n’enregistrent que 2 nuitées d’hospitalisation. En application des différents plans d’économie mis en œuvre depuis plusieurs années, ce tarif s’est tassé, perdant jusqu’à 3,4 % sur les 5 ans en secteur public, suivant en cela l’évolution subie par un très grand nombre de GHS (figure 4). Figure 4. Évolution des tarifs des GHS. L’impact du mode de financement sur la pratique Dans le cas précis de l’angioplastie coronaire, le GHS ne représente pas la totalité de la rémunération que percevra l’établissement, puisque le séjour comporte généralement la pose de stent(s), rémunéré(s) en sus, et possiblement une hospitalisation en unité de soins critiques justifiant la facturation d’un supplément journalier de 402 € en secteur public et 324 € en secteur privé (dans le cas d’une USIC), par tranche de 24 h, et évidement non facturable en cas d’hospitalisation de jour. Pour dire que le prix payé par l’Assurance maladie a un impact sur le mode de prise en charge, encore faut-il démontrer qu’il est très différent du coût réel de production du séjour et de la mobilisation de ressource engagée par l’établissement. Le mode de financement n’explique pas à lui seul le faible développement de l’ambulatoire. Sauf à faire cette démonstration, on ne peut pas imputer au seul mode de financement le faible développement de l’ambulatoire, surtout parce que le prix du séjour ambulatoire (0 nuitée) est identique à celui du séjour avec une nuitée. Si 17 % des prises en charge (les « 0 nuitée » et les « 1 nuitée ») sont rémunérées au même tarif, mais que 14,3 % passent tout de même une nuit d’hospitalisation, il faut bien penser que c’est une raison médicale (justifiée ou non) qui détermine cette modalité de prise en charge. Mais il est vrai que : • Dès la seconde nuit d’hospitalisation, le tarif progresse de 40 % (à un niveau identique en secteur public et en secteur privé), ce qui met la seconde nuit d’hospitalisation à 538 € en secteur privé et à 709 € en secteur public. Pourtant, on peut penser que la quasi-totalité de l’effort de soin a déjà été délivrée et que la seconde nuit d’hospitalisation offre surtout des prestations d’hôtellerie et très peu de prestations médicales. • Le mode de construction des tarifs repose sur les données de l’échelle nationale de coûts (ENC), c’est-à-dire sur le recueil dans un échantillon d’établissements volontaires de données de comptabilité analytique liées à chaque séjour. • Or, si l’ambition de ce recueil ENC est d’identifier les charges directes liées é chaque séjour, on sait que 70 % des charges dans un hôpital public, et un peu moins de 60 % des charges dans une clinique privée, sont liées aux salaires des personnels, qu’il n’est pas possible de prendre en compte autrement que par une valeur journalière. C’est ce qui explique le poids de la durée de séjour dans la détermination du tarif, au détriment de l’utilisation du plateau technique. Discussion Si en France, la prise en charge ambulatoire de l’angioplastie coronaire en dehors de l’infarctus, ne progresse pas plus rapidement, la raison peut en être imputée : – à des raisons médicales ou de pratique professionnelle ; – à l’impossibilité de facturer le ou les suppléments journaliers pour hospitalisation en USIC ; – à une sous-évaluation du tarif du GHS et son corollaire : une connaissance souvent insuffisamment précise du coût de production réel de l’activité au sein de chaque établissement concerné. La progression très importante, surtout sur les 3 ou 4 dernières années, de la prise en charge avec une nuitée d’hospitalisation témoigne qu’un pas a déjà été franchi, et que l’obstacle financier n’est peut-être pas aussi prégnant qu’imaginé. Pour accélérer le virage vers l’angioplastie ambulatoire, deux pistes doivent être sérieusement envisagées : • La convergence des tutelles et des syndicats d’hospitalisation afin de s’accorder sur un tarif médian entre le tarif actuel du GHM en T et celui du GHM de niveau 1 avec un objectif quantifié (en pourcentage d’activité par exemple afin d’assurer une réelle économie sur les coûts de santé). • L’optimisation du taux de remplissage des lits grâce au concept de lit d’opportunité (figure 5). Les lits d’hospitalisation laissés libres par l’ambulatoire pourraient permettre de désengorger les listes d’attente, assurer des disponibilités en USIC pour admettre les urgences, privilégier l’hospitalisation de patients dont la prise en charge est mieux valorisée (insuffisance cardiaque, etc.). Figure 5. Concept de lits d’opportunité. 1. CCAM : Classification commune des actes médicaux. 2. Le terme public désigne les établissements de santé publics ou ESPIC, c’est-à-dire anciennement sous Dotation globale de financement et le terme « privé » les établissements privés anciennement sous Objectif quantifié national. 3. Les actes d’artériectomies : DDFF001 et DDFF002 n’ont pas été recensés en raison de leur rareté relative.

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