Publié le 31 mai 2016Lecture 10 min
Entretien avec le Pr Alain Cribier
Propos recueillis par G. CELLIER, Fellow en cardiologie interventionnelle, Clinique Saint-Hilaire, Rouen
Comment vous êtes-vous orienté vers la médecine ?
Pr A. Cribier : Mon orientation vers la médecine remonte à l’enfance, et a été déclenchée par la lecture de nombreux livres de médecins célèbres qui m’ont absolument fascinés. C’est donc dès l’âge de 9 ans, que j’ai décidé de faire médecine. J’étais également passionné de voyages à l’époque, j’avais l’intention d’être médecin à bord de navires. Finalement, je ne suis pas devenu médecin de bord, mais ma carrière me permet de voyager très loin et régulièrement.
J’ai ensuite été orienté vers la cardiologie, par un premier contact, dès ma première année de médecine à Paris à l’hôpital Broussais. J’étais supposé être stagiaire en médecine interne et j’ai passé tout mon temps en chirurgie cardiaque, spécialité alors débutante, à observer des interventions chirurgicales. Mon intention initiale fut alors de devenir chirurgien cardiaque.
J’ai également entendu que vous aviez hésité avec une carrière artistique en tant que pianiste ?
AC : J’ai un peu hésité lorsque j’avais 16-17 ans entre la médecine et une carrière de pianiste, mais finalement mon choix a rapidement été fait. En fait, ça n’a pas été véritablement une hésitation.
Y a-t-il un enseignant qui vous a particulièrement marqué pendant votre externat ?
AC : Oui en effet, j’ai rencontré plusieurs personnes qui ont fortement influencé mon avenir. Tout d’abord le Pr Dubost, chirurgien cardiaque à l’hôpital Broussais, que j’admirais énormément et qui m’a vraiment donné la vocation de travailler en cardiologie. D’autres chefs de service m’ont aidé à construire ma carrière, comme le Dr Haiat qui travaillait à l’hôpital Tenon et qui est devenu ultérieurement le président de la Société Française de Cardiologie. C’est lui qui m’a poussé à faire mon internat et à venir à Rouen.
L’autre élément clé fut le contact que j’ai eu à Los Angeles pendant mon Fellowship au Cedar Sinai Medical Center où j’ai travaillé avec le Dr Ganz et dans le service du Dr Swan. Quand je suis arrivé, je pensais que le terme de Swan-Ganz était simplement le nom d’un cathéter et je me suis rendu compte que c’était le nom de deux personnes distinctes, qui avaient fait un travail absolument considérable de recherche. Je pense que mon séjour à Los Angeles a été déterminant pour m’intéresser notamment à tout ce qui touche aux innovations dans le domaine médical.
Comment avez-vous décidé de faire votre internat à Rouen ?
AC : En vérité, au moment où je suis venu à Rouen comme interne, j’étais sur le point de m’installer à Paris. Je ne suis venu à Rouen que parce que mon épouse a considéré qu’elle ne pouvait pas vivre à Paris et j’ai cherché la ville la plus proche de Paris. Quand je suis arrivé à Rouen, je ne savais même pas s’il existait un service de cardiologie sur place. J’ai donc passé mon internat un peu à reculons. J’avais en effet très peur de quitter Paris. En arrivant à Rouen, j’ai rencontré le Pr Letac qui m’a convaincu que j’avais fait le bon choix en venant ici. Il était justement à la recherche d’un cathétériseur puisque venait de s’ouvrir la première salle de cathétérisme à Rouen. Et de mon côté, j’avais fait mes premières armes à l’hôpital Tenon.
Auriez-vous une anecdote sur un fait médical pendant votre internat ?
AC : Je n’ai pas vraiment d’anecdotes, mais des événements qui m’ont vraiment marqués, comme les premiers cathétérismes gauches réalisés avec beaucoup de précautions dans le service, lorsque les coronarographies étaient des examens révolutionnaires et prenaient 2 h 30 à 3 h. Mes premières manipulations de sondes font partie des événements qui m’ont également marqués. Les premières publications dans des revues américaines par une équipe française, chose rare à l’époque, font également partie des événements importants.
Auriez-vous une anecdote sur un fait non médical pendant votre internat ?
AC : Ce qui me vient à l’esprit, c’est l’importance du tabagisme dans le service. Je me souviens des chefs de clinique et des internes qui fumaient en faisant la visite, jusqu’au jour où le Pr Letac a décidé que l’on ne devait plus fumer dans le service. Il était vraiment opposé à cela, à tel point qu’un jour, j’ai mis le feu à un dossier clinique en voulant dissimuler une cigarette alors qu’il arrivait derrière moi.
Vous avez donc fait votre clinicat à Rouen. Comment pouvez-vous décrire cette période ?
AC : Cela a été une période particulièrement intéressante pour moi puisque je revenais des États-Unis et j’avais pleins d’idées concernant les innovations thérapeutiques. J’ai pu faire un premier pas vers la recherche appliquée, notamment en développant de nouveaux stents mais aussi dans les débuts de la revascularisation coronaire en phase aiguë d’infarctus, avec les tous premiers cas de thrombolyse intracoronaire.
Qu’est-ce qui vous a poussé à poursuivre dans la recherche après ce clinicat ?
AC : L’idée de poursuivre à l’hôpital était bien ancrée dans mon esprit. Je n’ai jamais envisagé de m’installer ailleurs, par exemple dans le privé, parce que j’étais particulièrement passionné par la recherche et les innovations. De plus, j’ai eu la possibilité d’obtenir un poste hospitalo-universitaire après une période de médecin adjoint (ce qui correspond à praticien hospitalier).
Vous avez rencontré beaucoup d’obstacles au cours du développement du TAVI, pensez-vous qu’ils seraient les mêmes aujourd’hui ?
AC : Je pense que nous aurions exactement les même obstacles aujourd‘hui, parce que quand on voit les valves mitrales qui se développent aujourd’hui ou les techniques interventionnelles sur les maladies structurelles cardiaques, elles se sont développées à partir du TAVI. Cela a été un catalyseur. Elles se sont développées car les gens se sont dit que si ça marchait pour la valve aortique, ça pouvait marcher pour les autres valves. Si le TAVI n’avait pas été inventé en 2002, on aurait exactement les mêmes obstacles.
Quelles ont été les innovations qui vous ont le plus marqué en cardiologie sur ces 40 dernières années ?
AC : Il faut savoir que quand je suis arrivé à Rouen, l’opinion générale était que tous les progrès qui devaient être faits en cardiologie avaient déjà été faits. C’est d’ailleurs la remarque qui avait été faite au Pr Letac par le Pr Lenegre, l’éminence de la cardiologie mondiale de l’époque lorsqu’il avait décidé de faire cardiologie. Il l’a découragé de faire de la cardiologie car c’était une spécialité sans avenir et qu’il fallait mieux faire de la néphrologie.
La cardiologie est sans doute la spécialité où les plus importants progrès ont été faits depuis les 40 dernières années. Pour commencer, la médecine préventive apparue après les résultats de l’étude Framingham dans les années 1970 a permis de diminuer de 35 à 40 % les décès relatifs aux maladies coronaires. Ensuite, il y a eu le développement des soins intensifs de cardiologie qui a permis une amélioration considérable de la prise en charge de l’infarctus du myocarde. On peut citer également l’apparition de nouvelles molécules telles que les bêtabloquants et la thrombolyse intracoronaire.
Le développement de la chirurgie cardiaque, avec l’apparition des pontages aorto-coronariens et de la chirurgie valvulaire, a été absolument phénoménal et a sauvé des centaines de milliers de vies notamment avec le travail du Pr Carpentier en France.
J’ai été également très marqué par le développement de l’imagerie. Il faut savoir que l’échocardiographie n’existait quasiment pas dans les années 1980. L’échographie suivie par le scanner et l’IRM ont complètement bouleversé la compréhension, le diagnostic et le traitement des maladies.
On peut également citer l’essor de la rythmologie et les avancées du traitement de l’insuffisance cardiaque. La cardiologie interventionnelle, avec, en 1976, le premier cas d’angioplastie coronaire par Gruentzig a été un tournant absolument décisif dans l’abord des maladies cardiovasculaires.
Dans les 20 dernières années, le TAVI a représenté un progrès fulgurant, puisque l’aboutissement de cette technique a non seulement permis de traiter d’une façon simplifiée le rétrécissement aortique, mais elle a aussi été le point de départ d’un très grand nombre de nouvelles technologies interventionnelles y compris pour d’autres affections. À mon avis, cela a marqué une frontière très forte en cardiologie.
Comment trouver l’équilibre entre prudence et audace dans la recherche médicale ?
AC : Cette question est vraiment difficile. Pour commencer, l’audace, c’est relativement facile. Il faut déjà avoir des idées audacieuses, c’est-à-dire, envisager quelque chose qui n’existe pas. En sachant que pour les observateurs externes, si une technologie que l’on propose n’existe pas, cela signifie qu’elle est impossible à réaliser.
L’audace vis-à-vis de l’innovation doit être contrebalancée par la prudence dans la réalisation ; une première mondiale, c’est très audacieux mais il faut s’être entouré d’une certaine prudence pour en arriver là. Il faut avoir en soi la certitude que tout ce qui pouvait être fait pour que le geste se passe bien a bien été fait. Il reste cependant toujours une part d’incertitude.
Une question d’actualité : à l’EuroPCR 2016, un travail présenté par John Webb montrait un signal négatif sur la durabilité des valves implantées par voie transcathéter, qu’en pensez-vous ?
AC : Je rappelle que ce rapport comprend les patients de Rouen. Pour moi c’est une annonce non scientifique et surtout prématurée. La définition de la dégénérescence valvulaire utilisée ne se retrouve dans aucun autre travail, c’est une définition personnelle et qui ne correspond en aucun cas à la définition de dégénérescence valvulaire telle qu’elle est donnée par les chirurgiens quand ils parlent de la dégénérescence des bioprothèses chirurgicales. Sur notre série rouennaise, un seul patient a eu besoin d’une nouvelle procédure pour dégénérescence de la bioprothèse.
On sait pertinemment qu’il y aura des valves qui vont dégénérer, notamment chez les patients en insuffisance rénale. On sait aussi que si l’on baisse l’âge d’implantation des valves, on aura davantage de resténoses. Chez Edwards, les valves sont similaires aux valves implantées par voie chirurgicale. Il y a une petite incertitude sur la possibilité que les valves aient été détériorées par l’inflation du ballon, mais aucune étude n’a montré que les ruptures de fibres de collagène lors de l’inflation du ballon impactaient la durabilité de la valve.
Il y a une possibilité pour que les bioprothèses transcathéter aient une durée de vie plus courte que les bioprothèses chirurgicales mais on ne peut pas l’affirmer actuellement. Cela a été montré par l’étude PARTNER A : à 5 ans, il n’y a pas de dégénérescence valvulaire ni d’augmentation du gradient ou de diminution de la surface valvulaire, mais on ne sait pas ce qui se passe après. Donc pour contrecarrer cette présentation, les patients de PARTNER vont être reconvoqués et la surveillance échographique prolongée sur plusieurs années afin d’avoir des certitudes sur l’apparition éventuelle d’une augmentation de gradient ou d’une insuffisance aortique et cela comparativement aux résultats chirurgicaux.
Comment voyez-vous l’avenir en cardiologie interventionnelle ?
AC : L’avenir en cardiologie interventionnelle est brillant. À mon avis, concernant les coronaropathies, on va assister à une sorte de stagnation. Je pense que l’angioplastie a atteint son maximum par rapport aux avantages de la chirurgie cardiaque. On arrive à un équilibre entre les revascularisations par angioplastie et les revascularisations chirurgicales. Mais il devrait y avoir des progrès sur les stents donc je ne veux pas être défaitiste. En ce qui concerne le TAVI, je pense que l’avenir est réellement brillant ; même si l’on s’en tient aux indications actuelles (hauts risques et contre-indications chirurgicales), on prévoit déjà une augmentation de 40 % du nombre d’implantations sur les 10 ans à venir. C’est une évolution vraiment rapide qui ne va aller qu’en s’accentuant du fait du vieillissement de la population. L’extension probable aux sujets à risque intermédiaire va encore alimenter cette explosion des indications. À moins que nous n’ayons une mauvaise surprise sur la durabilité des valves.
Concernant l’extension de la technique aux autres valves, j’ai un gros point d’interrogation, notamment sur la mitrale pour laquelle j’ai toujours été un peu sceptique. On s’intéresse beaucoup à l’insuffisance mitrale fonctionnelle, or nous sommes dans une problématique complètement différente du rétrécissement aortique puisque dans l’insuffisance mitrale fonctionnelle il y a la maladie sous-jacente qui va continuer d’évoluer pour son propre compte. Les problèmes techniques inhérents à l’implantation des valves mitrales sont également un point d’interrogation pour le futur de ces techniques, que ce soit le remplacement ou le mitra clip.
Une dernière question, doit-on dire un ou une, TAVI ou TAVR ?
AC : C’est difficile à dire puisque TAVI est un terme anglais ; pour ma part je dis « on va faire un TAVI ». Je le mettrais plutôt au masculin. TAVI c’est le terme qui est utilisé en Europe et TAVR aux États-Unis. Il faut comprendre qu’aux États-Unis, le terme de remplacement à la place d’implantation a été soigneusement choisi pour pouvoir présenter à la FDA des résultats qui étaient comparables aux résultats du remplacement chirurgical pour éviter les confusions dans les données. Pour la validation des études et pour l’accord de la FDA, c’est important d’utiliser ce terme de remplacement. Mais TAVI pour moi c’est plus pertinent parce que l’on fait une implantation, pas un remplacement.
En plus TAVI en français, donne « ta vie », c’est très beau. Et cela correspond à ce que l’on cherche à faire. Donc TAVI va rester en Europe et TAVR va rester en Europe et TAVR va certainement rester aux États-Unis.
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