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Polémique

Publié le 30 sep 2010Lecture 8 min

Les stents actifs sont-ils vraiment indispensables ?

P. COSTE, USIC et Plateau technique de cardiologie interventionnelle, Hôpital cardiologique, Université de Bordeaux 2, Pessac

« Curieusement, on cherche aujourd’hui à revenir à un stent qui au fil du temps est débarrassé de la drogue, du polymère, pour conserver in fine… un BMS ! » 
 
Depuis la preuve de leur efficacité sur la resténose en 2001, l’engouement pour les stents pharmacologiquement actifs (DES) a explosé et les stents métalliques inertes (BMS) semblent une technologie du passé. La cardiologie interventionnelle, friande d’innovations, n’a pas hésité à les employer rapidement dans des situations complexes où ils n’avaient jamais été validés, telles les lésions du tronc commun de la coronaire gauche.

Stent actif BioMatrixTM. Comme en informatique, les « bugs » de cette innovation ont surgi après quelques années et un vent glacial est venu perturber les pratiques car deux problèmes ont tempéré l’enthousiasme initial : la thrombose tardive, aléatoire mais mortelle dans 15 à 25 % des cas et la resténose qui persiste actuellement dans 3 à 5 % des cas. Le phénomène de resténose tardive reste encore discuté mais il faut rappeler que les revascularisations portant sur des lésions complexes sont associées à des taux de réintervention à 5 ans souvent supérieurs à 15 %(1).    La prise en charge n’est pas codifiée, et elle dépend des préférences individuelles du patient.  Curieusement, on cherche aujourd’hui à revenir à un stent qui au fil du temps est débarrassé de la drogue, du polymère, pour conserver in fine… un BMS !  En fait, certains BMS remplissent déjà le cahier des charges suivant :  - excellentes propriétés biomécaniques ;  - excellente biocompatibilité, pour prévenir les thromboses tardives ; - cicatrisation parfaite avec un recouvrement par un endothélium fonctionnel ;  - limitation de la prolifération cellulaire liée à la cicatrisation.    Aujourd'hui, les résultats angiographiques, mais aussi cliniques des BMS sont certes inférieurs à ceux des DES, mais ils sont bien meilleurs qu’il y a 10 ans dans les essais randomisés. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette situation :  - diminution de l'épaisseur de la maille ;  - meilleure biocompatibilité des alliages ;  - meilleure qualité d'implantation grâce aux progrès de l'imagerie radiologique, mais aussi grâce aux outils qui guident l'intervention tels que la mesure des gradients de pression en hyperhémie ;  - enfin, les cardiologues n’ont plus peur de mettre des endoprothèses conformes au calibre du vaisseau.  Il n'est pas rare de déployer un stent de 4 mm dans la portion proximale de l'interventriculaire antérieure ou de la coronaire droite.  Le combat entre stent actif et stent « nu » n'est plus à l'ordre du jour : les métaanalyses ont tranché ! La très belle étude de Kirtane(2) souligne la différence de résultats entre les études randomisées et les registres d’observation. Les registres analysent des populations plus larges que les travaux scientifiques souvent limités par des critères d'exclusion.  Près de 9 500 patients inclus dans 22 essais randomisés ont montré que les DES n'étaient pas dangereux, en tout cas pas plus dangereux que les BMS, en termes de mortalité cardiovasculaire ou de survenue d'infarctus du myocarde. La baisse du risque relatif de resténose ou d’une nouvelle revascularisation est nette, aux alentours de 55 %. En revanche, l'analyse de plus de 180 000 patients, dans 34 registres, serait en faveur d'une réduction du risque d'infarctus, voire d'une diminution de la mortalité cardiaque. Bien sûr, de nombreux biais sont susceptibles d'expliquer ces différences, en particulier les modifications du traitement antiagrégant plaquettaire, dans la durée et l'intensité.  Une dernière étude faite par l'université Cochrane(3), portant sur 14 700 patients dans 47 essais contrôlés ne retrouve aucune différence sur la mortalité cardiaque, le risque d'infarctus ou le risque de thrombose de stent. Les auteurs suggèrent logiquement que l'absence d'efficacité sur des événements cliniques « durs » devrait limiter le prix de remboursement des DES…  Le bénéfice médico-économique serait aujourd’hui discuté  Rien n'est plus difficile que l’analyse du rapport coût-bénéfice dans des systèmes d'assurance santé qui varient déjà au sein même de l'Europe(4). Un récent registre italien d'environ 3 000 patients multitronculaires ne trouve pas de différence entre une implantation systématique de DES, ou un panaché de DES et BMS(5). Une fois de plus, seuls les patients à haut risque de resténose bénéficient d'une stratégie « tout DES ». On remarque aussi une tendance à l'augmentation du risque de thrombose tardive dans ce groupe(3).  Pourquoi ne pas utiliser les stents actifs en routine ? Deux bonnes raisons : le BMS fait aujourd’hui mieux que dans les études de référence et la resténose n’est pas une maladie mortelle. Rappelons qu’environ 1 patient sur 2 n’aura pas besoin de nouvelle intervention, puisqu’une resténose induit une angiogenèse, et cette circulation collatérale pourrait limiter l’étendue d’un infarctus en cas d’occlusion brutale du vaisseau. En France, malgré un taux d'utilisation de DES de 50 %, l'activité d'angioplastie pour resténose diminue, autour de 7 à 10 % des cas en Aquitaine, par exemple. Les études de physiologie coronaire font remarquer que les patients qui ont une bonne compensation par une collatéralité ont aussi une meilleure survie à long terme (figure 1)(6) ; la suppression définitive de la lésion épicardique est associée à une régression du réseau de suppléance(7).    Figure 1. Valeur pronostique à long terme dʼune circulation collatérale sur la mortalité. Enfin, les détracteurs de la resténose doivent savoir que le pronostic de la maladie coronaire est avant tout lié à l’étendue de l’ischémie et à sa tolérance(1). La quantification d'une lésion coronaire est aujourd'hui toujours basée sur des critères géométriques qui sont très mauvais. Dans l’étude FAME, 17 % des lésions n’entraînaient pas de retentissement sur la perfusion myocardique(8).  Quelles sont les bonnes indications pour les stents actifs ?  Ce sont les patients à haut risque de resténose :  - les resténoses de BMS ;  - les lésions du tronc commun ;  - les lésions dont la longueur dépasse plus de 20 mm ;  - les vaisseaux dont la lumière est inférieure ou égale à 2,5 mm ;  - les occlusions chroniques.  Les diabétiques profitent du DES, mais là encore, par la diminution des actes de revascularisation. Il n'y a pas à ce jour de démonstration d'une réduction de la mortalité cardiovasculaire, ou d’une réduction de l'infarctus du myocarde. De plus, le risque de thrombose tardive serait augmenté dans cette population(9,10).  Le maintien ou l'arrêt des agents antiagrégants plaquettaires est un souci quotidien  La population de coronariens dilatés est vieillissante, elle est à risque de cancer, de chirurgie et aussi de traumatisme crânien. Environ 20 % des patients de plus de 80 ans ont une fibrillation auriculaire et nécessitent un agent anticoagulant au long cours. Dans une étude récente sur plus de 5 000 patients, le risque d’hémorragie majeure liée à la prise de clopidogrel est supérieur ou égal à 2 % mais en revanche, on observe aussi un bénéfice en termes de réduction d’infarctus du myocarde et mortalité cardiovasculaire(10).      Les partisans du DES sont convaincus de la réduction de la mortalité par les DES, mais cʼest oublier un peu rapidement que le traitement antiagrégant influence la zone stentée, mais aussi lʼensemble de lʼarbre coronaire. Quelles seront les conséquences de molécules plus efficaces telles que le prasugrel ou le ticagrélor ?    L’arrêt des traitements antiagrégants (AAP) pose problème. On ne peut pas se permettre d’implanter en routine des prothèses sans savoir répondre cette question. Pour l’instant, il semble que l’arrêt du clopidogrel avant le 6e mois soit associé au risque d’infarctus du myocarde(1,9,10). Les dégâts secondaires à la thrombose de stent ne sont pas négligeables (figure 2). Pour le stent au sirolimus, les thromboses précoces avant le 30e jour ont un taux de mortalité à 1 an de 22 %, peu différent de celui des thromboses très tardives au-delà d’un an (23 %)(9). Les chiffres sur l’observance et l’efficacité au long cours du traitement antiagrégant plaquettaire ne sont pas toujours disponibles, même pour les études randomisées qui prévoient souvent l’arrêt entre 6 mois et 1 an.    Figure 2. Le risque de thrombose de stent à 1 an dépend surtout de la population de coronariens, il semble plus élevé pour les syndromes coronaires aigus. Plusieurs essais sont en cours, mais on peut parier qu'ils ne vont pas révolutionner notre pratique médicale lorsqu'ils seront disponibles. En effet, le risque de thrombose tardive des dernières générations de DES semble plus faible(11).  Que nous disent les recommandations en 2010 ?  Sitôt publiées… sitôt oubliées, l’analyse remarquable de la Haute Autorité de Santé (HAS) concerne principalement les stents au sirolimus et au paclitaxel, implantés en France depuis 2002. L’intérêt du DES pour une lésion d’un segment proximal sur un gros vaisseau est discuté et le BMS conserve ici une indication simple et économique. Néanmoins, toutes les données sur le DES ne sont pas applicables à tous les modèles et il n’y a pas réellement d’effet « classe ». Les dernières générations pourraient avoir un comportement à long terme différent en termes de thrombose puisque la réendothélialisation semble de meilleure qualité(11,12).     En 2010, les recommandations de l’ESC(1) préconisent le stent actif chaque fois que possible, pour prévenir la resténose, et en lʼabsence de contre-indication au traitement antiagrégant prolongé. L’opérateur devra optimiser les indications en traitant les patients à haut risque.

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