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La lettre du GACI

Publié le 25 mar 2020Lecture 4 min

L’expérience d’une journée pas comme les autres

Hakim BENAMER, pour le GACI

Comme dans beaucoup de services de cardiologie, cette journée commence par le staff interne. Où est notre cadre ? Il ne viendra pas, tout comme deux autres médecins du service qui sont malades ou Covid positifs !

S'organiser La première des choses est effectivement de savoir qui est présent ou pas. La baisse des effectifs médicaux et surtout paramédicaux rend l’organisation des soins de plus en plus en complexe. Raison pour laquelle certains secteurs d’activités spécialisées sont regroupés comme, par exemple, la neurologie et la cardiologie. L’organisation de ces services est comparable avec une unité d’hospitalisation et une unité de soins intensifs. Devant la baisse très importante de l’activité dite « froide », les forces vives paramédicales sont redistribuées sur les secteurs en surchauffe. Le regroupement permet aussi d’avoir une unité de soins intensifs Covid - et une autre Covid + pour recevoir les urgences cardiologiques et neurologiques. Chaque établissement doit, en fonction de ses moyens, s’organiser et redistribuer les effectifs médicaux et paramédicaux vers les secteurs dont l’activité ne cesse de monter en puissance. Poser le bon diagnostic Nous faisons la revue des patients entrés dans la nuit. Une embolie pulmonaire massive chez un patient jeune. Mais pourquoi ce patient est dans l’unité Covid + ? On répond qu’il était essoufflé et dyspnéique avec un sujet contact positif dans son entourage éloigné… mais il est apyrétique ! Sur le scanner, aucun argument en faveur de l’infection virale mais en revanche le sujet présente une embolie pulmonaire massive. Les prélèvements ont été faits, il faut maintenant attendre les résultats. Ils seront d’ailleurs négatifs. La problématique du clinicien est aujourd’hui plus complexe. Il existe un véritable effet tunnel de cette infection, ce que l’on peut comprendre, mais pour lequel nous devons rester très critiques. Ce phénomène va évidemment s’aggraver avec le nombre très croissant de patients infectés. Il est important en plus de la gestion du problème cardiologique d’avoir une approche probabiliste d’atteinte Covid associée. Celle-ci ne doit pas être prise à la légère et reste très complexe. Une autre urgence est arrivée dans la soirée, une femme adressée par le Samu pour un infarctus semi-récent antérieur. Elle est tritronculaire, a été dilatée pendant l’astreinte avec succès sur l’IVA, car elle continuait à souffrir. Elle a une grosse séquelle antérieure avec pour complication une insuffisance cardiaque, un thrombus apical et de la tachycardie ventriculaire non soutenue. Autre élément clinique, elle tousse et a une fébricule. J’ai le sentiment de retrouver les patients que je voyais au début de mon internat. « Mais pourquoi n’est-elle pas venue plus tôt ? Elle avait peur d’attraper le virus à l’hôpital ». D’ailleurs, elle est arrivée étiquetée Covid du fait de sa toux et sa fébricule. Elle est donc passée au scanner qui retrouve des images très suspectes. La PCR reviendra négative mais très vite étiquetée faux négatif ! La réalité est qu’après une bonne déplétion les images ont régressé au scanner, et que cette patiente est très probablement non infectée. La peur du SAMU et le débordement en soins intensifs Ce cas pose deux autres problèmes importants qui s’ajoutent à l’effet tunnel. Les patients n’osent plus contacter le Samu. Car aujourd’hui, pas de fièvre, pas de problème ! Ne surchargez pas le travail du Samu si vous n’avez pas de température. On oublie juste de préciser que l’infarctus du myocarde tue. Nous sommes nombreux à avoir l’impression qu’il y a moins d’urgences coronaires mais qu’elles sont plus graves. Mais pour le moment, les données épidémiologiques manquent. Le second problème que cela pose est que les cas de Covid augmentant, nous avons, à juste titre, des unités de soins intensifs totalement absorbées. Il faut absolument gérer au mieux, avec nos collègues réanimateurs, la nécessité de garder des places ou trouver une organisation pour la prise en charge des patients cardiaques. Le travail d’équipe et surtout la centralisation par une cellule de crise, qui a une vision globale des lits de l’hôpital est indispensable. En effet, les réanimateurs ont un travail énorme avec la nécessité d’augmenter le nombre de lits de réanimation, mais aussi de postréanimation (patients ventilés sur trachéotomie) et d’unité de soins intensifs pour les patients très oxygénodépendants. Il faut les aider et travailler en bonne intelligence et confraternité pour arriver à maintenir l’activité de cardiologie d’urgence qu’elle soit Covid - ou Covid +. Ce sujet n’est bien sûr pas polémique, mais simplement une mise garde : n’oublions pas de traiter les patients cardiaques ! Notre crainte est que l’évolution très rapide de cette pandémie n’absorbe la totalité des lits de soins intensifs de nos hôpitaux.

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