Polémique
Publié le 15 mar 2018Lecture 8 min
ORBITA ou « De l’ischémie myocardique faisons table rase »
Paul BARRAGAN, Ollioules ; Jean-Paul JOSEPH, Bandol.
Comment désormais se passer de l’angioplastie coronaire transluminale percutanée (ACTP) dans le traitement de l’angor stable ou comment « je ne dois pas moins soigneusement m’empêcher de donner créance aux choses qui ne sont pas entièrement certaines et indubitables, qu’à celles qui nous paraissent manifestement être fausses »(1).
Cette Polémique de l’unique revue de cardiologie interventionnelle de langue française, Cath’Lab, veut démontrer que l’ACTP reste depuis sa naissance, l’horizon indépassable du traitement de la coronaropathie athéromateuse obstructive.
Ce n’est rien de moins que le programme que nous proposent nos collègues britanniques de l’Imperial College Healthcare NHS Trust of London, à travers leur récente publication « ORBITA » dans la prestigieuse revue bicentenaire The Lancet du 4 janvier 2018(2). Ce travail prétend assurément remettre méthodiquement en doute les pratiques quotidiennes de tous les cathlabs européens où plus de 70 % des patients sont revascularisés pour angor stable. Cette injonction d’outre-Manche est-elle fondée ?
ORBITA in the menu
L’essai ORBITA (Objective Randomized Blinded Investigation with Optimal medical Therapy of Angioplasty in stable angina) est une étude randomisée, en simple aveugle au stade de la procédure (le suivi étant en double aveugle), évaluant l’ACTP versus placebo sur l’amélioration des symptômes angineux. Elle inclut des patients de 18 à 85 ans, cliniquement éligibles à une angioplastie coronaire, présentant des symptômes cliniques d’angor stable et une lésion coronaire monotronculaire proximale significative d’un gros vaisseau (³ 70 %) à l’exclusion du tronc commun gauche (TCG).
Méthodologie
Après enrôlement, les patients inclus ont parcouru plusieurs étapes :
– une première étape d’optimisation du traitement antiangineux de 6 semaines ;
– la phase suivante de prérandomisation consistant à une évaluation des symptômes, fréquence cardiaque, pression artérielle et des capacités cardiométaboliques durant l’effort, complétée d’une échographie de stress à la dobutamine ;
– une phase de randomisation (1:1) entre réalisation effective d’une angioplastie ou simulation d’acte d’angioplastie (avec angiographie coronaire et mesures FFR et iFR) ;
– une dernière étape de suivi en double aveugle durant 6 semaines.
• L’objectif primaire était de rechercher à 6 semaines une différence dans le temps d’exercice sur tapis roulant entre les 2 groupes.
• L’objectif secondaire consistait en l’évaluation de la réduction de l’ischémie par différents scores (limitation physique, fréquence cardiaque et qualité de vie) et par échographie dobutamine.
Résultats
Au final, 230 patients ont été enrôlés entre décembre 2013 et juillet 2017 dans 5 centres à « haut volume » du Royaume-Uni (soit 1 patient par mois et par centre) : 105 patients sont dans le groupe angioplastie et 95 dans le groupe placebo (figure 1). Les deux groupes étaient parfaitement appariés cliniquement (avec plus de 97 % de classe CCS II ou III) et angiographiquement (69 % IVA et 16 % CD avec sténose = 84 % ± 10,2 ; FFR = 0,69 ± 0,16 et iFR 0,76 ± 0,22 dans les 2 groupes). Tous les stents implantés dans le groupe angioplastie, étaient des stents actifs de dernière génération.
Figure 1. Schéma de l’étude(2).
L’essai n’a trouvé aucune différence concernant son objectif primaire (tableau 1) : à 6 semaines, l’augmentation de la durée de l’effort sur des tests d’effort calibrés, s’élevait à 28,4 secondes dans le groupe angioplastie et à 11,8 secondes dans le groupe placebo (IC 95 % ; p = 0,2), soit un gain modeste de 16,6 secondes.
Tous les autres critères secondaires de jugement étaient négatifs à « l’exception » d’une moindre ischémie (p = 0,0011) retrouvée par écho dobutamine dans le groupe angioplastie (tableau 2) !
Aucun décès n’était à déplorer au cours de l’étude. Quatre événements indésirables graves, liés aux mesures effectuées par les guides de pression FFR sont survenus dans le groupe placebo ayant nécessité une pose de stent en urgence. Enfin, il y a eu cinq saignements majeurs (2 dans le groupe angioplastie et 3 dans le groupe placebo).
Analyse critique de l’essai
La faute originelle d’ORBITA : l’ischémie myocardique occultée
S’appuyant sur l’essai randomisé COURAGE, nos auteurs britanniques considèrent avec assurance que désormais la seule utilité de l’ACPT dans cette indication d’angor stable est d’améliorer les symptômes angineux à l’effort : « Angina relief remains the primary reason for PCI in stable coronary artery disease »(2), occultant que le pronostic du patient coronarien stable est conditionné non pas par la douleur mais par l’ischémie myocardique, comme nous le rappelle l’ESC à travers ses dernières recommandations sur la revascularisation myocardique dans l’angor stable (tableau 3)(3). Une célèbre étude antérieure, l’essai des Veterans, ACME(4) évaluant l’angioplastie coronaire au seul ballon (105 patients) versus un traitement médical (107 patients) chez le coronarien monotronculaire, avait démontré dès 1992 exactement le contraire : à savoir une capacité à prolonger plus durablement la durée d’exercice sur bicyclette ergométrique (2,1 groupe ballon vs 0,5 minutes groupe médical ; p < 0,0001).
Bien évidemment c’est toujours l’essai COURAGE(5) qui est mis en exergue par les détracteurs de l’angioplastie coronaire pour minimiser son importance. Rappelons que cette étude randomisée a péniblement inclus 2 287 patients entre juin 1999 et janvier 2004, dans 50 centres nord-américains, soit environ 9 patients/an/centre ! Aucune réduction de mortalité ou d’infarctus du myocarde n’avait été notée effectivement dans les deux groupes à 7 ans.
Cependant, la sous-étude scintigraphique de COURAGE est édifiante(6) : diminution significative du taux de mortalité ou d’infarctus dès que l’ischémie résiduelle est supérieure à 5 %. Des patients avec des lésions sans preuve ischémique ont selon toute vraisemblance été inclus dans l’essai COURAGE.
La deuxième grande étude citée par les auteurs d’ORBITA concerne la métaanalyse BARI 2D(7) s’intéressant à des patients diabétiques de type 2 avec maladie coronaire « légère à modérée ». Cet essai n’a pas retrouvé non plus de différence significative à 5 ans concernant le critère décès ou infarctus (13,2 % groupe angioplastie vs 13,5 % groupe médical ; p = 0,97) mais 42,1 % des patients du groupe traitement médical optimal seul ont finalement eu besoin d’une revascularisation dans les 5 ans. L’essai FAME II(8) fait les mêmes constatations, à savoir aucune différence concernant les décès ou infarctus à 3 ans chez les patients stables, sélectionnés par FFR (447 PCI + OMT vs 441 OMT). Mais 17,2 % des patients traités médicalement ont été revascularisés en urgence par angioplastie (vs 4,3 % ; p < 0,001). De plus, 44 % des patients du groupe traitement médical optimal seul ont subi au cours de ces 3 ans une angioplastie. Le taux élevé de cross-over vers l’angioplastie justifie bien évidemment l’impossibilité éthique de démontrer désormais une différence de ce critère principal taux de décès ou d’infarctus.
Nous attendrons avec patience les résultats du suivi à plus long terme (qu’est-ce que 6 semaines dans une vie de coronarien ?) dans les deux groupes d’ORBITA.
La méthodologie spécieuse d’ORBITA
• Patients peu symptomatiques
Les patients inclus dans l’étude étaient peu symptomatiques en prérandomisation : temps d’exercice 8 minutes et 48 secondes dans le groupe angioplastie, et 8 minutes et 10 secondes dans le groupe placebo. Ce qui cadre mal avec un taux de 39 % en classe 3 CCS.
Manifestement, les patients volontaires inclus n’étaient pas très gênés par leurs symptômes d’où leur adhésion à l’essai malgré leur connaissance de se savoir porteurs d’une sténose coronaire serrée. Cet essai versus placebo a donc incontestablement sélectionné des patients à faible risque.
De là à imaginer que les 83 patients sur les 368 enrôlés (1 sur 5) jugés admissibles ont refusé l’enrôlement parce que plus graves ! Par ailleurs, le traitement médical intensif comportait en règle trois antiangineux et a été optimisé par trois consultations téléphoniques hebdomadaires, stratégie thérapeutique quasi incompatible avec la pratique quotidienne en France et encore moins avec celle du National Health Service britannique.
• Biais statistiques ?
Cet essai, ayant pour but de détecter une différence de 30 s avec une puissance de 80 %, en incluant 230 patients manquait-il de puissance compte tenu de son faible effectif ? Pas nécessairement. Rappelons que l’essai ACME(4) avec son objectif de gain fixé à 60 s en faveur de l’angioplastie n’avait inclus au total que 200 patients.
Mais ce qui frappe d’emblée, c’est l’hétérogénéité majeure de cette population de patients réunis sous la même bannière « angor stable ». En effet, les écart types des temps d’exercice étaient au départ respectivement de 179 et de 195 s et à 6 semaines de 179 et 191 s pour les groupes angioplastie et placebo ; avec des déviations standards 6 fois plus grandes que le bénéfice escompté (tableau 1) !
Par ailleurs, la valeur de l’intervalle de confiance à 95 %, comprise entre - 8,9 et + 42,0 secondes, était beaucoup trop large, et laissait une trop grande possibilité que le groupe angioplastie l’emporte.
Quoiqu’il en soit, qu’y avait-il à attendre d’une telle étude où des patients stables pouvaient pédaler allègrement entre 8 et 9 minutes et présentant dans 29 % des cas un index FFR > 0,80 ? Manifestement pas grand-chose, et seul un résultat positif aurait eu un intérêt. Ce résultat négatif n’autorise donc aucune conclusion.
L’essai ISCHEMIA en cours ayant déjà inclus plus de 4 300 patients (sur 5 000 prévus) évaluant une stratégie invasive (coronarographie suivie d’une angioplastie ou d’un pontage) à un traitement médical optimal exclusif, chez des patients en angor stable, avec ischémie myocardique documentée. 10 %, même s’il s’agit d’un essai ouvert, est attendu pour confirmer (ou pas) le rôle essentiel de l’ACTP dans le traitement de l’angor stable. Le critère principal est un critère relativement dur associant décès cardiovasculaires ou IDM non fatals, d’où son intérêt.
À qui profite le crime ?
La question n’est pas outrancière eu égard aux conclusions péremptoires des auteurs de l’essai ORBITA et de l’éditorial délirant annexé à sa publication(9) : « Le dernier clou du cercueil de l’angioplastie dans l’angor stable ».
L’industrie du médicament est comme toujours le premier suspect. Aucun auteur d’ORBITA ne déclare cependant avoir de conflits d’intérêts avec cette dernière, hormis avec Philips-Volcano, fabriquant les guides pressions. Accordons-donc à tous nos collègues invasifs le bénéfice du doute.
Cherchons ailleurs : il s’agit d’une étude britannique financée quasi exclusivement par des fonds publics du National Institute for Health Research (NIHR) et le National Health Service (NHS). Faut-il voir dans la construction d’un tel essai, une tentative de désengorgement des listes d’attente des ACTP des candidats en angor stable, en dévalorisant cette dernière ? Le NHS est en situation de quasi-faillite organisationnelle ; un simple exemple : 257 028 patients ont attendu 12 heures ou plus aux urgences des hôpitaux de Sa Gracieuse Majesté de 2016 à 2107(10). Cette situation ne devrait que s’aggraver dans le temps en raison du départ effectif ou programmé de nombreux médecins et infirmiers, consécutif au Brexit. L’alternative médicale proposée par l’essai ORBITA ne ferait qu’accentuer paradoxalement cet engorgement du système si tous les angineux stables du royaume devaient discuter au téléphone plusieurs fois par semaine avec leur cardiologue et si une telle vigilance devenait la norme. De plus, sur un plan strictement comptable FAME II(8) avait déjà démontré l’équivalence des coûts à 3 ans entre les deux stratégies (figure 2).
Figure 2. Coûts respectifs à 3 ans (FAME 2) entre les groupes angioplastie + traitement médical versus traitement médical.
Conclusion
L’angioplastie coronaire dans l’angor stable reste plus que jamais une recommandation forte (IA ou IB) de notre Société européenne de cardiologie pour son intérêt pronostique et symptomatique. L’étude ORBITA ne nous dissuadera pas de modifier nos pratiques quotidiennes.
Souhaitons à nos amis britanniques de voir leur système de santé s’améliorer comme leur ont promis leurs ardents promoteurs du Brexit. Faisons aussi le voeu qu’ils ne suscitent pas de nouvelles vocations de Cauchon calaisiens ou d’ailleurs, pour instruire à charge sur notre continent, le procès de l’angioplastie coronaire dans l’angor stable, et appelons avec force Shakespeare au secours : « Let your own discretion be your tutor »(11).
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