Polémique
Publié le 30 nov 2011Lecture 8 min
Quel stent choisir dans l’angioplastie primaire ? Devons-nous naviguer à contre-courant ?
P. KARJALAINEN (1), W. NAMMAS (2), (1) Département de cardiologie, Hôpital Central Satakuntz, Sairaalantie 3, Pori, Finlande, (2) Département de cardiologie, Facult" de médecine, Université Ain Shams, Le Caire, Égypte
Depuis leur première introduction en 2002, les stents pharmacologiquement actifs (DES) sont devenus omniprésents dans les congrès dédiés à la cardiologie interventionnelle et occupent une place de premier plan dans les journaux référents de cardiologie. Les DES ont permis sans aucun doute, de réduire les taux de revascularisation (TVR) de plus de 50 % à 5 ans comparativement aux stents nus (BMS), avec des taux compris entre 10 et 15 %(1).
Bien que les DES aient obtenu l’approbation FDA pour des indications cliniques très sélectives, le succès de ces dispositifs a amené les cardiologues interventionnels à étendre leur utilisation à beaucoup d’autres indications non validées (off-label).
Cette tendance a été mise en évidence dans un rapport de la Cleveland Clinic (Ohio, États-Unis) dans lequel l’utilisation des DES a atteint un pic à 75 % des indications d’angioplasties primaires, très tôt après leur lancement en 2002(2). En fait, l’utilisation des DES hors indications est un véritable défi et n’a jamais été autant discutée qu’au royaume de l’angioplastie primaire dans l’infarctus du myocarde. À l’évidence, la présence de thrombus, le risque de mailles mal apposées, la résistance aux traitements antiplaquettaires et l’état pro-inflammatoire constituent un « milieu hostile » pour le stent à implanter. De fortes préoccupations liées à la sécurité de ces dispositifs sont apparues en s’amplifiant au fil de leur utilisation pour atteindre leur apogée en automne 2006. Ces inquiétudes ont fait suite à des rapports relatant des taux élevés de thromboses après implantation de DES(3). Ces résultats ont conduit, en 2007, à une réduction majeure de l’utilisation des DES dans le contexte de l’angioplastie primaire jusqu’à un plus bas niveau, d’environ 15 %(2). Certains patients ont même demandé le retrait de leur DES ! Finalement, un panel d’experts désignés par la FDA a conclu à la preuve d’un faible sur-risque non significatif de thromboses associées à l’implantation de DES(4). Les preuves étant loin d’être évidentes, de nouvelles études étaient donc fortement attendues.
Données cliniques
Un large nombre de publications a tenté de définir quel stent adopter en cas de rupture de plaque survenant dans le SCA. Les études randomisées sont le gold standard pour comparer des dispositifs entre eux puisqu’elles contribuent à minimiser l’influence des biais. Malheureusement, ces études n’ont souvent pas la puissance statistique nécessaire pour déceler les événements rares tels que les thromboses de stents et ne sont pas le reflet de la pratique réelle (critères d’exclusion).
Les études observationnelles donnent quant à elles, une image de la pratique en vie réelle, et permettent de détecter des événements cliniques rares. Cependant, même après ajustement statistique, ces études restent affaiblies par de nombreux biais. Dans ce contexte, les métaanalyses peuvent nous apporter beaucoup. Ainsi Choi et al. ont analysé les études randomisées et observationnelles publiées à ce jour dans l’infarctus(5).
Des études randomisées et observationnelles en faveur du DES
Quatorze études randomisées (n = 7 654) ont montré des taux de décès et de thromboses identiques entre DES et BMS (p = 0,26 et p = 0,59) et des taux d’infarctus récurrents et de TVR significativement abaissés en faveur du DES (p = 0,03 et p = 0,00001).
Trente-cinq études observationnelles (n = 44 894) analysées ont montré des taux d’infarctus récurrents et de thromboses similaires entre DES et BMS (p = 0,20 et p = 0,46) et des taux de mortalité et de TVR réduits significativement de 28 % (p = 0,0004) et 39 % (p = 0,00001) pour le groupe DES. À noter, une grande hétérogénéité parmi ces études observationnelles qui disparaît cependant après un classement en fonction du suivi réalisé, à savoir un suivi ≤ 1 an, ≤ 2 ans et > 2 ans. Ainsi, les taux d’infarctus récurrents et de thromboses de stent étaient significativement réduits avec les DES comparativement aux BMS pour les études avec suivi ≤ 1 an et étaient presque identiques entre les deux types de stents pour les études avec suivi ≤ 2 ans. Enfin, dans six études avec suivi > 2 ans, les taux de thrombose de stents étaient significativement supérieurs pour les DES comparativement aux BMS (Hazard Ratio : 1,73 ; p = 0,009).
Qu’en est-il des taux de TVR ?
Ils étaient significativement réduits pour les DES versus BMS dans les études avec suivi ≤ 1 an et ≤ 2 ans (63 % et 32 % de réduction, p < 0,00001 et p = 0,004). Cependant ce bénéfice disparaît dans les études ayant un suivi > 2 ans, la différence n’étant plus significative (p = 0,26).
Enfin, quand le niveau de preuve a été évalué pour les études randomisées, celui-ci était considéré élevé pour le TVR, modéré pour les décès et les infarctus récurrents et faible pour la thrombose de stent. Le niveau de preuve évalué pour les études observationnelles était considéré comme faible ou très faible pour tous les paramètres étudiés !
Données pathobiologiques
Que nous enseignent les résultats issus de la recherche ? Des études anatomo-pathologiques sur des coronaires humaines ont démontré que plus de 50 % des mailles de DES ne sont toujours pas couvertes par l’endothélium à 24 mois(6).
De plus, l’incidence de thromboses tardives à l’autopsie est de 9,8 % chez les patients porteurs de BMS, un taux bien plus bas comparé à celui des DES (50 %)(6,7). Enfin, le temps médian de thromboses pour les BMS était de 70 jours, période bien plus courte que pour les DES (173 jours). Ces résultats corroborent tout à fait la durée de cicatrisation allongée après implantation de DES comparativement aux BMS(6,7).
Les modalités de cicatrisation d’une plaque rompue sont-elles donc les mêmes que celles d’une plaque stable après implantation de DES ?
Des études autopsiques sur des patients stentés par DES (Cypher® et Taxus®), depuis plus de 30 jours, ont démontré que le site responsable de l’infarctus avait moins de croissance néo-intimale, une plus grande inflammation, plus de fibrine et de mailles non couvertes comparativement à des lésions non responsables(8). De plus, les lésions coupables chez les patients ayant un infarctus du myocarde, présentaient un plus grand délai de cicatrisation artérielle (persistance de fibrine et de mailles non couvertes) comparativement à des patients présentant un angor stable, la prévalence de thrombose tardive étant également significativement plus importante(8). Ceci souligne le rôle déterminant de la morphologie de la plaque dans la réponse artérielle à l’implantation d’un DES.
Bien que ces mécanismes pathobiologiques ne soient pas complétement compris, plusieurs possibilités ont pu être émises. Tout d’abord, le sirolimus et le paclitaxel étant hautement lipophiles(9), il est probable que ces molécules aient une affinité plus élevée pour les plaques riches en lipides (noyau nécrotique) où le principe actif reste ainsi plus longuement en contact que pour des plaques plus fibreuses. De plus, les lésions à noyau nécrotiques riches en lipides sont moins vascularisées et comportent moins de cellules que les lésions stables et seraient donc moins susceptibles d’être recouvertes par des cellules adjacentes pouvant migrer et proliférer. Par ailleurs, le thrombus peut également jouer un rôle en assimilant partiellement la molécule(10).
Toutes ces données soulignent l’impact complexe des DES sur la cicatrisation artérielle dans l’infarctus du myocarde et leur potentiel d’effets indésirables pouvant majorer le risque de thrombose tardive.
À ce stade, il est intéressant de rappeler les récents échos quant à l’effet moins thrombogène des DES de 2e génération qui permettrait d’abaisser le risque de thromboses et donc de favoriser leur utilisation dans l’infarctus. Une étude, présentée lors de l’ESC à Paris en 2011, a comparé les DES de 2e et 1re générations dans une population tout venant. Les taux de thromboses (certaines ou probables) sont à 4 ans de 6,5 % pour XIENCE V, 7,6 % pour Cypher® et 10,4 % pour Taxus® !(11) (figure 1).
Pour finir de rendre le scénario encore plus complexe, les résultats cliniques à long terme des DES sont étroitement liés à la compliance des patients à la bithérapie antiplaquettaire. Celle-ci est nécessaire sur une longue période d’au moins 12 mois après DES et tout arrêt peut donc être risqué, particulièrement après un infarctus. La résistance au clopidogrel est également associée à un risque accru d’événements récurrents chez les patients après un IDM(12).
Figure 1. Taux de thromboses certaines ou probables après 4 ans.
Une alternative ?
Récemment, les stents bioactifs (BAS) ont été introduits dans l’arène. La sécurité du stent bioactif revêtu d’oxynitrure de titane (Titan2®, Hexacath, France) a été démontrée dans de nombreuses études « vie réelle » sur des populations non sélectionnées(13, 14). Une première étude randomisée TITAX-AMI a montré de meilleurs résultats cliniques avec le BAS (Titan2®) par rapport à un DES de 1re génération (Taxus® Liberté™) chez des patients présentant un infarctus(15) (figure 2).
Figure 2. Résultats à 5 ans de l’étude TiTAX-AMI.
Une deuxième étude randomisée BASE-ACS (Late Breaking Trials, EuroPCR 2011) a comparé le BAS (Titan2®) à un DES de 2e génération (XIENCE V) chez des patients présentant un SCA(16) (figure 3).
Figure 3. Résultats à 1 an de l’étude BASE-ACS.
À 12 mois, les taux de MACE étaient similaires entre les deux groupes : 9,6 % versus 9,0 % pour le DES, atteignant ainsi l’objectif primaire de non-infériorité. Les taux de thromboses certaines de stent étaient faibles dans les deux groupes avec une tendance plus basse pour le BAS.
Un sous-groupe de 28 patients non diabétiques, indemnes de resténose à la coronarographie, a été étudié par OCT à 9 mois. Le pourcentage de mailles couvertes est significativement supérieur et le poucentage de mailles non apposées significativement plus faible pour le BAS (p < 0,001 )(17). Dans ce même sous-groupe, la vélocité du flux coronaire a été mesurée par échocardiographie transthoracique afin de déterminer la réserve de flux coronaire (CFR). La CFR était significativement plus basse dans le groupe DES comparé au groupe BAS (p < 0,001). De plus la non-couverture des mailles ou leur mal apposition est associée à une diminution de la CFR (p = 0,02). L’analyse statistique fait apparaître le DES comme un facteur prédictif indépendant de CFR anormale(18).
Qu’en est-il des registres ?
Un registre multicentrique prospectif a étudié une population de 226 patients traités par angioplastie primaire avec BAS en phase aiguë de SCA ST+. Le taux de MACE est de 5,7 % à 12 mois et aucun patient n’a présenté de thrombose de stent(19).
Enfin, dans un large registre multicentrique CATS-AMI (Late Breaking Trials, EuroPCR 2011) chez 2 137 patients ayant un infarctus du myocarde (1 452 STEMI et 685 NSTEMI) traité par BAS, le taux global de MACE était de 3,6 % à 30 jours et de 9,8 % à 12 mois(20) (figure 4).
En définitive, les résultats prometteurs du BAS dans le SCA pourraient modifier notre pratique de manière radicale.
Figure 4. Résultats à 1 et 12 mois du registre CATS-AMI.
Conclusion
Actuellement, le dilemme concernant le choix du stent dans les situations cliniques complexes telles que les SCA semble loin d’être résolu. Plusieurs points clés peuvent cependant être mis en évidence sur la base de l’ensemble des données cliniques existantes :
Les DES n’abaissent pas la mortalité à court et long termes chez les patients ayant un infarctus du myocarde.
Le bénéfice à long terme apporté par les DES dans la réduction du TVR diminue avec le temps, pour finalement disparaître à 3 ans.
Le risque à long terme de thromboses de DES et les incertitudes sur la compliance des patients à une bithérapie longue devraient être de nature à nous interroger sur l’utilisation des DES dans un contexte clinique pro-thrombotique et inflammatoire. A contrario, les propriétés de l’oxynitrure de titane et les résultats cliniques du BAS dans le SCA positionnent le stent Titan2® comme un compétiteur sérieux dans l’angioplastie du SCA.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.
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