Publié le 31 déc 2007Lecture 8 min
Faut-il tester, en salle de cathétérisme, la réponse aux antiagrégants plaquettaires ?
G. RANGÉ, Centre Hospitalier, Chartres
C’est incontestablement la polémique sur les thromboses intrastent (TIS) des endoprothèses actives (DES) qui a relancé l’intérêt pour la recherche de « résistances » aux clopidogrel et à l’aspirine. Que ce risque de thrombose se confirme ou pas, tester la réponse aux antiagrégants plaquettaires pourrait bien devenir en salle de cathétérisme une étape obligée dans la quête du traitement optimal voire même du choix de l’endoprothèse.
Thromboses tardives intrastent :
DES or not DEATH ?
Ces thromboses tardives (> l mois) et très tardives (> 1 an) sont plus fréquentes dans les registres que dans les études randomisées et leur incidence est actuellement estimée à 0,6 %/an. Ce pourcentage pourrait paraître négligeable s’il ne concernait pas un matériel aussi couramment utilisé (6 millions de DES implantés dans le monde) et s’il n’était pas grevé d’un pronostic aussi catastrophique (20 à 45 % de mortalité). Cela explique probablement la divergence des courbes de survie au-delà de la première année, observées dans de nombreuses études ayant comparé des BMS (bare metal stents) et des DES, en défaveur de ces derniers.
Le puissant effet antiprolifératif des drogues délivrées par les stents empêche, dans 50 % des cas, leur complète endothélialisation et prolonge ainsi le risque de TIS au-delà du premier mois(1). Il est actuellement impossible de savoir si ce risque va persister au long cours de façon linéaire ou s’il va s’estomper avec le temps. Il justifie néanmoins, pour de nombreux experts, de maintenir, chez les porteurs de DES, l’association aspirine-clopidogrel au moins 1 an voire à vie tant que la tolérance est bonne et que le risque hémorragique du patient reste faible. En effet, l’arrêt prématuré des antiagrégants plaquettaires majore dramatiquement le risque de TIS tardive (hazard ratio : 90)(2) et l’arrêt du clopidogrel après 1 an a un effet significativement défavorable tant sur les événements ischémiques que sur la survie de ces patients(3).
Résistance aux antiagrégants plaquettaires : facteur pronostique majeur de TIS
Néanmoins, ces TIS tardives surviennent fréquemment malgré une bithérapie antiagrégante bien conduite faisant suspecter une « inefficacité » de ces traitements chez certains patients. En effet, Waksman et son équipe (Washington) ont présenté au TCT 2007 (Transcatheter Cardiovascular Therapeutics) un remarquable registre de 83 patients ayant présenté une TIS confirmée et dont la majorité (66 %) était toujours sous clopidogrel au moment de leur thrombose. Ces données s’expliquent par l’existence, chez certains patients, de « résistance » aux différents antiagrégants plaquettaires.
De nombreuses études, d’abord biologiques puis cliniques, ont confirmé l’existence d’une grande variabilité individuelle de réponses tant à l’aspirine qu’aux thiénopyridines.
Résistance à l’aspirine
La résistance à l’aspirine s’est avérée être un facteur de risque d’infarctus au décours d’une angioplastie programmée(4) (figure 1). Sa fréquence varie entre 0,4 à 35 %, selon les populations étudiées et les méthodes d’évaluation, et est étroitement dépendante des doses utilisées. Dans certains cas, elle peut même être négligeable au-delà de 325 mg/j(5). La méthode d’évaluation de référence reste l’agrégométrie optique en plasma riche en plaquettes avec une stimulation par acide arachidonique.
Figure 1. Événements ischémiques après angioplastie coronaire programmée, selon la réponse à l’aspirine (d’après Chen et al.(4)).
Résistance au clopidogrel
De récentes études, dont une métaanalyse, ont également clairement démontré en analyse multivariée que la non-réponse au clopidogrel était le principal facteur de risque de survenue de décès et de thromboses post-stent au décours et à distance d’une angioplastie, notamment avec des endoprothèses actives (risque multiplié par 8)(6-7)(figure 2).
La fréquence de cette non-réponse varie aussi entre 5 et 44 % selon :
– les populations étudiées : elle est plus fréquente chez les sujets ayant un syndrome coronaire aigu (SCA), obèses et diabétiques ;
– les méthodes de mesure.
L’augmentation des doses ne semble pas avoir d’influence sur cette résistance. La méthode d’évaluation de référence est le VASP (vasodilator-stimulatedphosphoprotein).
Figure 2. Mortalité cardiaque et TIS selon les données de l’étude RECLOSE (d’après Buonamici et al.(7)).
Méthodes d’évaluation de la réponse aux antiagrégants dites « point of care
Compte tenu de la haute technicité des méthodes d’évaluation de référence limitant leur expansion et leur démocratisation, des techniques plus simples, plus rapides et plus maniables se sont développées ces dernières années avec succès. Ces techniques sont également appelées « point of care » car elles sont utilisables au lit du patient ou en salle de cathétérisme par du personnel non qualifié (encadré).
Les techniques, également appelées « point of care », sont utilisables au lit du patient ou en salle de cathétérisme par du personnel non qualifié.
Techniques actuelles d’évaluation « point of care »
• PFA-100 : platelet function analyser (Dade-Behring)
• TEG® Platelet Mapping™ system : thromboelastograph (Haemoscope Corporation)
• Impact cone and platelet analyser (DiaMed)
• VerifyNow™ (Accumetrics)
VerifyNow™ est l’un des kits les plus prometteurs car il permet de tester spécifiquement, selon le kit utilisé, aussi bien l’aspirine, les thiénopyridines que les anti-GPIIb/IIIa (figure 3).
De plus, il est parfaitement corrélé aux différentes techniques de référence (figure 4) et plusieurs études cliniques récentes utilisant cette méthode ont confirmé la relation étroite entre la non-réponse aux différents antiagrégants testés et l’incidence des événements ischémiques après angioplastie coronaire(4-8,9). Enfin, cette méthode a été approuvée par la Food and Drug Administration (FDA).
Figure 3. Machine VerifyNow™ (distribuée par Stago) et ses 3 cartouches aspirine, P2Y12 (thiénopyridine) et IIb/IIIa.
Figure 4. Excellente corrélation du VerifyNow™ (P2Y12) aux deux techniques de référence.
L’expérience du CHG de Chartres
L’unité de cardiologie interventionnelle du CHG de Chartres utilise depuis octobre 2006 le kit VerifyNow™ en salle de cathétérisme pour tester la réponse au clopidogrel. À ce jour, le test a été réalisé chez 160 patients ayant eu une angioplastie coronaire avec stent et prétraités plus de 4 h par clopidogrel à la dose de charge. Les angioplasties réalisées en urgence et les patients sous anti-GPIIb/IIIa (interférence) n’ont pu être inclus.
Le test est pratiqué sur du sang total artériel, prélevé sur le désilet en début de procédure. Le résultat est obtenu en 10 minutes.
Les résultats, présentés au Congrès francophone de cardiologie interventionnelle, ont montré que 30 % des patients étaient non répondeurs au clopidogrel, la non-réponse étant définie comme < 10 % d’inhibition plaquettaire. Ce pourcentage s’élève à 44 % chez les patients de plus de 80 kg et semble plus élévé chez les diabétiques ; en revanche, il diminue en cas de prétraitement de plus d’1 semaine. La quasi-absence d’événements ischémiques hospitaliers (dont les taux de CPK à 24 h) de ce petit échantillon à faible risque n’a évidemment pas permis de mettre en évidence de corrélation avec la réponse au clopidogrel.
Passer de pratiques « pifométriques » à une évaluation quantitative
Sensibilisée par l’impact de cette « résistance » au clopidogrel sur le devenir de leur patient stenté, la grande majorité des angioplasticiens n’ayant pas de systèmes pour mesurer la réponse au clopidogrel et/ou à l’aspirine, a tenté d’adapter « à l’aveuglette » sa prescription :
• parfois, en augmentant systématiquement les doses de clopidogrel (150 mg) chez les patients de plus de 80 kg, surdosant par là même environ 56 % de ces patients bon répondeurs à 75 mg, et majorant d’autant leur risque hémorragique ;
• souvent, en limitant à 1 mois ces fortes doses, notamment chez les porteurs de DES, en considérant probablement que la thrombose tardive ne justifiait pas le surrisque hémorragique lié à cette prescription. Pourtant, une étude italienne a clairement démontré que les TIS très tardives étaient non seulement beaucoup plus graves que les TIS précoces (risque de mortalité multiplié par 10) mais évidemment plus importantes au fil des années (effet cumulé : 0,6 %/an multiplié par le nombre d’années du suivi)(10) ;
• parfois, enfin, en ajoutant systématiquement une dose de charge chez des patients sous clopidogrel au long cours alors qu’une récente étude présentée au TCT 2007 (ARMYDA 4) n’a démontré aucun bénéfice de cette attitude.
Apprécier au mieux le rapport bénéfice-risque
Toutes ces habitudes couramment pratiquées paraissent le plus souvent irrationnelles, inadaptées, voire dangereuses. Les résultats récents de TRITON-TIMI 38 avec le prasugrel ont rappelé que majorer systématiquement le traitement antiplaquettaire risquait de remplacer un risque ischémique par un autre… hémorragique(11). L’association clopidogrel-aspirine présente déjà, à elle seule, un risque d’hémorragie grave non négligeable et comparable à celui des antivitamines K (AVK ; environ 2,4 % par an selon l’étude ACTIVE )(12).
Si l’on voulait faire un parallèle, nous pourrions considérer que l’association clopidogrel-aspirine est à la prévention de la TIS, ce que les AVK sont à la prévention de la thrombose de valve mécanique.
Peut-on envisager aujourd’hui de mettre tous les patients porteurs de valves mécaniques sous une dose unique d’AVK sans contrôler leur INR, en sachant que 30 % d’entre eux seront « résistants » ou insuffisamment dosés, et à haut risque de thrombose valvulaire, souvent mortelle, et que d’autres seront surdosés à haut risque hémorragique ? Non, évidemment.
C’est pourtant ce qui se pratique actuellement chez les patients coronariens porteurs de stents actifs à qui on prescrit l’association clopidogrel-aspirine à dose unique.
Tout l’art de l’exercice médical, n’est-il pas d’apprécier au mieux le rapport bénéfice-risque de chaque thérapeutique ?
Cette expérience a confirmé la faisabilité de cette méthode d’évaluation de la réponse au clopidogrel en salle de cathétérisme, et l’intérêt évident du résultat pour le cardiologue interventionnel durant une angioplastie coronaire pouvant lui permettre :
• de définir le choix du ou des stent(s) à implanter (faut-il éviter le stent actif chez un non-répondeur ?) ;
• de majorer l’inhibition plaquettaire en cas de non-réponse (anti-GPIIb/IIIa ? Nouvelle dose de charge ?) ;
• de vérifier la qualité de l’environnement pharmacologique en cas d’angioplastie à risque ou de complication per-procédure ;
• d’adapter individuellement et rationnellement la posologie du clopidogrel au décours de l’intervention.
Des études en cours
Pour valider l’intérêt d’une telle évaluation systématique des traitements antiplaquettaires en salle de cathétérisme, avant ou pendant une angioplastie coronaire avec stent, il faudra probablement attendre les résultats de grandes études randomisées en préparation :
• GRAVITAS : évalue 5 900 patients traités par un DES en randomisant, chez les non-répondeurs, 75 vs 150 mg de clopidogrel pendant 1 an (VerifyNow™).
• STENT THROMBOSIS STUDY : c’est un registre regroupant 10 000 patients traités par un DES et testés avec VerifyNow™.
• ARTIC : est une étude incluant 2 500 patients implantés avec un DES, randomisés entre le traitement habituel et le monitoring avec VerifyNow™.
Conclusion
Ces nouvelles techniques de mesure simples, fiables, utilisables 24 h/24, dès à présent accessibles à tous et peu coûteuses permettent de stratifier individuellement les patients dilatés selon leur risque de TIS et d’adapter, en conséquence, leur thérapeutique.
Gageons que ces études pourraient, chez nos patients coronariens dilatés notamment avec des stents actifs, nous aider à équilibrer au mieux cette délicate balance qui oscille en permanence entre thrombose et hémorragie.
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