Publié le 15 déc 2021Lecture 10 min
Qu’attend-on pour déployer des programmes RAAC en chirurgie vasculaire périphérique ?
Pascal ALFONSI, service d’anesthésie, Hôpital Paris Saint-Joseph, Université Paris Descartes
En une trentaine d’années, l’application du concept de réhabilitation améliorée après chirurgie (RAAC) a profondément transformé la prise en charge périopératoire de nombreuses chirurgies. Demain, les bénéfices des programmes RAAC vont certainement inciter les équipes de chirurgie vasculaire à entrer dans le mouvement.
Lorsque Henrik Kehlet et son équipe(1) ont élaboré à Copenhague au début des années 1990, le premier programme de fast-track surgery chez les patients opérés d’une chirurgie colorectale, ils n’imaginaient probablement pas que 30 ans plus tard, leur concept allait s’imposer à d’autres types de chirurgie et se propager sur tous les continents. Aujourd’hui, les programmes de réhabilitation améliorée après chirurgie (RAAC), connus sous le nom de Enhanced Recovery After Surgery (ERAS) ou Enhanced Recovery Programs (ERP) dans la littérature anglo-saxonne, sont le gold standard de nombreux parcours de soins chirurgicaux.
La consultation de PubMed montre qu’entre 2017 et aujourd’hui, plus de 80 métaanalyses ont été publiées. En France, leur mise en place est encouragée par les autorités de santé et de plus en plus de sociétés savantes françaises travaillent conjointement pour produire des recommandations. De nombreuses équipes de toutes spécialités adoptent les programmes RAAC car leur application réduit de manière importante les taux de complications postopératoires et les durées de séjour, et cela, sans augmenter le taux de ré-hospitalisations. L’impact est tellement marqué que le développement de la RAAC a permis aux équipes les plus expérimentées de réaliser en ambulatoire des actes chirurgicaux comme des arthroplasties de hanche ou de genou, des colectomies ou des hystérectomies. Tout cela apparaissait encore irréaliste il y a une dizaine d’années.
L’amélioration de la qualité des soins est une quête permanente en chirurgie
Malgré les progrès effectués lors des 50 dernières années, la chirurgie au sens large, c’est-à-dire intégrant l’anesthésie et les soins périopératoires, est associée à une mortalité au cours des 30 premiers jours postopératoires qui reste élevée, comparativement à d’autres activités humaines ou industrielles. En Europe, la mortalité chez des patients adultes opérés d’une chirurgie non cardiaque et non ambulatoire est en moyenne de 4 %. Aux États-Unis, la mortalité postopératoire est la 3e cause de mortalité chaque année. En appliquant le taux de 3,2 % rapporté dans l’étude de R.M. Pearse et al.(2), nous pouvons estimer qu’environ 50 000 patients décèdent chaque année en France dans le mois suivant une chirurgie, ce qui correspond à la 3e cause de décès derrière les cancers et les maladies cardiovasculaires.
Les causes de mortalité
Elles peuvent grossièrement être classées en quatre groupes. Pour commencer, il y a le risque chirurgical. Ensuite, il y a l’état général du patient : la mortalité est beaucoup plus élevée chez les patients ASA 3 ou 4. Le troisième groupe correspond aux aléas thérapeutiques (par exemple, le patient décède d’un choc anaphylactique après l’administration d’un curare). Enfin, le dernier groupe inclut, d’une part, l’ensemble des actes que nous faisons quotidiennement et qui favorisent la survenue de complications (des drainages inutiles, le maintien du jeûne ou de l’alitement, etc.) et, d’autre part, l’ensemble de ceux que nous ne faisons pas, ou de manière imparfaite, alors qu’il a été montré qu’ils réduisaient le taux de complications (par exemple, la check-list HAS, la reprise précoce de l’alimentation ou le maintien de la normothermie peropératoire).
Améliorer la qualité des soins
La RAAC s’inscrit dans une démarche d’amélioration de la qualité des soins. Elle est définie comme « une approche multidisciplinaire de la période périopératoire, visant au rétablissement rapide des capacités physiques et psychiques d’un patient opéré »(1). Aussi, l’établissement de programmes RAAC prendra en compte tous les éléments permettant d’assurer au patient la meilleure qualité des soins possibles et, sera basé sur trois éléments :
– constat de l’impact de l’agression chirurgicale ;
– la prise en compte d’un acteur essentiel dans le succès d’une chirurgie : le patient ;
– la remise en question de pratiques « ancestrales » non étayées scientifiquement.
Le constat : la chirurgie reste une agression pour l’organisme
Malgré tous les progrès effectués ces dernières décennies en techniques mini-invasives, le stress induit par la chirurgie provoque un déséquilibre de l’homéostasie qui, par réaction, entraîne la mise en jeu de mécanismes compensateurs avec des modifications hormonales, métaboliques et physiologiques, qui vont ralentir la convalescence et favoriser la survenue de complications.
Plusieurs études conduites chez des sujets sains ont montré que l’agression activait, via des afférences neurohumorales, l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien avec une augmentation des sécrétions des hormones dites du « stress » : cortisol, glucagon et adrénaline. La perfusion de ces hormones à des concentrations plasmatiques semblables à celles observées après une agression d’intensité faible à modérée, provoque une augmentation significative du métabolisme, une négativation des bilans azotés et potassiques, une hyperglycémie par le développement d’une résistance à l’insuline et une rétention hydrosodée. Chacune de ces modifications a des conséquences sur l’organisme :
– l’accroissement du métabolisme se traduit par une augmentation de la consommation d’oxygène et la recherche de nutriments pour faire face au stress et assurer la cicatrisation ;
– la résistance à l’insuline est responsable de complications cardiaques et infectieuses ;
– la rétention hydrosodée favorise la création d’oedèmes, à l’origine de prolongation de l’iléus postopératoire ou de fuites anastomotiques.
D’autres facteurs aggravent les conséquences du stress chirurgical, par exemple, la douleur postopératoire qui favorise l’activation du système neurovégétatif et la résistance à l’insuline qui augmente les taux circulants de cytokines pro-inflammatoires.
Le patient : acteur principal de sa convalescence
L’état général préopératoire et l’investissement du patient dans sa prise en charge influent sur la récupération postopératoire. Plusieurs travaux ont montré un lien entre, d’une part, le niveau des capacités fonctionnelles du patient en préopératoire et, d’autre part, la fréquence et la gravité des complications postopératoires. Des exercices de renforcement musculaire en préopératoire associés à une prise en charge nutritionnelle permettent de réduire le taux de complications postopératoires.
D’autres facteurs fréquemment présents chez le patient « à risque élevé », comme une anémie ou une dénutrition influencent négativement les suites postopératoires. Il est établi de longue date qu’un tabagisme actif, l’absence de sevrage en alcool ou une pathologie métabolique ou cardiovasculaire mal équilibrée favorisent la survenue de complications postopératoires.
Le rôle des acteurs de soins dans le cadre des programmes RAAC est d’identifier et de corriger au maximum ces désordres en préopératoire afin d’amener le patient le jour de la chirurgie dans le « meilleur état possible ».
Par ailleurs, le patient est, non seulement au centre de l’attention de tous les soignants, mais il doit, également, être acteur de ses soins. En effet, l’obtention de l’adhésion et de l’implication du patient dans son processus de guérison et de convalescence est une des clés du succès des programmes RAAC.
Des prises en charge inadaptées aggravent les effets du stress chirurgical
La liste est longue des événements habituellement associés à la chirurgie ou à l’anesthésie ayant des conséquences négatives sur les suites postopératoires : le saignement, la curarisation résiduelle, l’hypothermie, etc. De même, une analgésie basée sur les opiacés est non seulement peu efficace lors de la mobilisation, mais elle va également favoriser la survenue de complications postopératoires (somnolence, nausées-vomissements, ou détresse respiratoire). La résistance à l’insuline induite par le stress chirurgical est aggravée par le jeun alimentaire pré- et postopératoire. Les apports hydriques intraveineux excessifs en per- et postopératoire majorent les troubles de la microcirculation et la rétention hydrosodée, facilitant la survenue de complications médicales ou chirurgicales. À l’inverse, des apports liquidiens trop réduits sont à l’origine d’hypoxie tissulaire. La mise en place ou le maintien de drainages, urinaires ou au niveau du site opératoire, favorisent les infections postopératoires. Le sondage gastrique ralentit la reprise du transit, empêche la reprise de l’alimentation par voie orale, favorise les complications pulmonaires, et est la plupart du temps, inutile en chirurgie abdominale. De plus, la gêne occasionnée par les perfusions et les drainages associée à une analgésie insuffisante à la mobilisation, vont favoriser l’alitement et l’immobilité responsables de complications de décubitus, d’une fonte musculaire qui ralentissent le retour à l’autonomie et aggravent le déficit azoté.
Le contenu d’un programme RAAC repose sur la médecine basée sur les preuves
Le choix des moyens composant les programmes de réhabilitation est basé sur l’état des connaissances et est adapté à la chirurgie concernée. Dans un programme RAAC sont intégrées toutes les mesures qui permettent d’optimiser l’état général du patient en préopératoire, de proposer la technique chirurgicale la moins invasive, et de mettre en oeuvre tous les actes avant, pendant et après la chirurgie qui ont un impact positif sur la prévention de complications.
Un programme RAAC pour une chirurgie dédiée (par exemple, mise à plat d’un anévrisme de l’aorte abdominale sous-rénale), correspond à un parcours de soins débutant au moment de la consultation chirurgicale et se terminant après le retour du patient à son domicile. Le programme se décline en trois périodes (pré, per et postopératoire), au cours desquelles une ou plusieurs mesures du programme vont être appliquées par un ou plusieurs acteurs. Toutes ces mesures, prises individuellement, ont fait la preuve qu’elles limitaient la survenue de complications postopératoires et réduisaient les durées de séjour. Au total, un programme RAAC comprend entre 15 et 25 mesures. La plupart des mesures se reproduisent d’une chirurgie à l’autre (tableau) : l’antibioprophylaxie, la limitation des drains, la limitation du jeûne périopératoire, la reprise précoce de la déambulation, etc. Les autres mesures sont spécifiques à telle ou telle chirurgie. Point essentiel : le succès des programmes RAAC n’est garanti que si, à chaque patient, au moins 66 à 75 % des mesures sont appliquées.
La RAAC : remise en question des pratiques et des relations intrahospitalières
La principale difficulté dans la mise en place de programmes RAAC dans un service ou un établissement de soins est que son déploiement implique une remise en question de pratiques cliniques « ancestrales ». En effet, nous avons appris que la perfusion intraveineuse, la transfusion sanguine, la mise en place de drains ou le maintien, pendant plusieurs jours, de sondages gastriques ou urinaires, étaient gages de sécurité pour le patient.
L’analyse de la littérature montre, au contraire, que ces actes sont, dans la majorité des cas, sources de complications et ralentissent la récupération postopératoire. L’acculturation à la RAAC ne se résume pas à l’acquisition de nouvelles techniques comme, par exemple la chirurgie endovasculaire, mais, également, à mettre à bas des dogmes, à changer ses pratiques et à reconsidérer les interactions entre soignants mais aussi avec le patient. Un programme RAAC correspond à un parcours de soins au sein duquel toutes les personnes impliquées forment une équipe. Celle-ci va établir conjointement le contenu du programme et répartir les différents rôles, avec en guest-star, le patient qui est au centre de toutes les attentions et joue un rôle prépondérant dans le succès du programme.
Le déploiement d’un programme RAAC peut être assimilé à un pilotage de projet dont le succès nécessite l’adhésion de tous les acteurs, soignants et patients. Celle-ci s’obtient grâce à des actions de conduite du changement basées sur la communication, la formation et la création de « nouveaux métiers hospitaliers » : le référent RAAC et la consultation RAAC.
La RAAC en chirurgie vasculaire périphérique : c’est demain !
La population opérée d’une chirurgie vasculaire périphérique est âgée et présente fréquemment des comorbidités, en particulier le diabète, l’hypertension artérielle ou l’insuffisance coronarienne, qui grèvent le pronostic. Des techniques miniinvasives se sont développées au cours des 25 dernières années, permettant de réduire drastiquement le stress chirurgical. Mais, paradoxalement, les soins associés n’ont pas évolué : maintien prolongé du jeûne périopératoire ou de l’alitement, apports intraveineux, drainages et sondages maintenus plusieurs jours après l’opération, etc.
L’application de programme RAAC en provoquant la réflexion et la remise en question de nos pratiques nous permet de les améliorer en cherchant à optimiser l’état général du patient en préopératoire et en facilitant la récupération postopératoire. Comme pour toutes les chirurgies, l’application de programmes RAAC en chirurgie vasculaire périphérique permettra de réduire le taux de complications postopératoires et d’accélérer la récupération de nos patients.
Pour en savoir plus
• Wilmore DW. Ann Surg 2002 ; doi: 10.1097/00000658- 200211000-00015.
• Kehlet H, Wilmore DW. Ann Surg 2008 ; doi: 10.1097/SLA.0b013e31817f2c1a.
• Bessey PQ et al. Ann Surg 1984 ; doi: 10.1097/00000 658-198409000-000000004.
• https://www.has-sante.fr/jcms/c_1763416/fr/programmes- de-recuperation-amelioree- apres-chirurgieraac
• Zhang W et al. Medicine (Baltimore) 2020 ; doi: 10.1097/ MD.0000000000023266.
• Scott MJ et al. Acta Anaesthesiol Scand 2015 ; doi: 10.1111/ aas.12601. Epub 2015 Sep 8.
• Nygren J. Best Pract Res Clin Anaesthesiol 2006 ; doi: 10.1016/ j.bpa.2006.02.004.
• Thorn CC et al. Int J Colorectal Dis 2016 ; doi: 10. 1007/ s00384-016-2588-4.
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