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Cardiologie générale

Publié le 31 mar 2013Lecture 10 min

Maladie de Tako-Tsubo : ce que le praticien peut en savoir

E. FERRARI, Pôle Spécialités médico-chirurgicales du Haut Pasteur, service de médecine cardiovasculaire – CHU de Nice, Hôpital Pasteur

En 1990, des cardiologues japonais décrivaient une sidération du ventricule gauche survenue après un stress. Sidération majeure mais régressive. L’aspect du ventricule gauche en systole avec une hyperkinésie de la base alors que toute la partie antérieure du ventricule gauche était akinétique, leur avait fait évoquer une forme de récipient dont se servaient leurs grands-pères pour aller pêcher le poulpe, d’où le nom de Tako-Tsubo. Depuis, quelque 4 500 références sur ce thème ont été engrangées, qui ont fait évoluer les connaissances de cette maladie.  

Quelques données épidémiologiques   Ce que l’on sait actuellement :  - cette cardiopathie touche avec une grande prédilection la femme, dans près de 90 % des cas ;  - il existe un contexte de stress déclencheur, tant psychologique que physique, dans plus de 80 % des cas.  Parmi les stress qui peuvent déclencher cette sidération du ventricule gauche, classiquement le décès ou l’annonce d’une maladie grave chez un proche est évocateur, mais une dispute, une grande colère, une histoire de divorce qui se passe mal, une perte financière, un accident de voiture sans forcément qu’il y ait un grand traumatisme, un épisode de claustrophobie, peuvent suffire à déclencher un Tako-Tsubo.  Paradoxalement, certains stress plutôt positifs, comme une « fête surprise », la prise de parole, des gains aux jeux, peuvent entraîner les mêmes effets sur le myocarde.  Quant au stress physique, il peut s’agir d’une intervention chirurgicale, d’un épisode d’insuffisance respiratoire aiguë, d’un asthme ou d’un pneumothorax, de l’exacerbation d’une maladie et en particulier d’une crise d’épilepsie.    Rappelons que les mêmes stress psychologiques peuvent aussi déclencher des ruptures de plaques et provoquer d’authentiques syndromes coronariens, comme cela a encore été récemment documenté, avec une augmentation majeure de l’incidence d’authentiques événements coronariens après le décès d’un proche(1). Ces connaissances se rajoutent à des données un peu plus anciennes montrant qu’un événement footballistique pouvait entraîner des syndromes coronariens aigus (l’affaire avait été rapportée après la coupe du monde de football qui se passait en Allemagne, ou après chaque match intéressant l’équipe germanique, on notait une augmentation du pic d’incidence des événements cardiovasculaires) ou une catastrophe naturelle comme un tremblement de terre ou un raz-de-marée favorisaient les SCA.    En dehors de ces deux données épidémiologiques majeures, certaines situations sont plus fréquemment retrouvées chez les patients ayant présenté un Tako-Tsubo : les pathologies dépressives ou des troubles de l’humeur, voire des troubles psychiatriques plus graves (avec le plus souvent leur traitement concomitant) ainsi que des pathologies oncologiques en cours de traitement. L’équipe toulousaine avait déjà montré une augmentation d’à peu près 3 fois de l’incidence des désordres psychiatriques, notre équipe a montré une prévalence également multipliée par près de 3 d’antécédents psychiatriques et de prise d’antidépresseurs ou de psychotropes chez les patients présentant un Tako-Tsubo(2).   Quelle est l'incidence des Tako-Tsudo ? Ces cardiopathies de stress sont loin d’être rares. Dans les premières analyses épidémiologiques, les équipes japonaises rapportaient qu’1 % des événements coronariens, avec sus-décalage du ST, étaient en fait des Tako-Tsubo. La Mayo Clinic rapportait que cette prévalence était de 2,2 %. En revanche, si on ne considère que les femmes, la prévalence du Tako-Tsubo, qui donne initialement le change avec un syndrome coronarien aigu, serait de 7 %, ce qui est un chiffre impressionnant.   Clinique La symptomatologie clinique peut tout à fait mimer celle d’un syndrome coronarien aigu auquel se rajoute, le plus souvent, un essoufflement qui peut aller jusqu’à l’œdème aigu du poumon ; parfois la situation est encore plus grave avec un choc cardiogénique. Des troubles du rythme graves à la phase aiguë peuvent apparaître. Possiblement, le Tako-Tsubo pourrait expliquer une partie non négligeable des morts subites que l’on attribue souvent trop vite à un syndrome coronarien.    C’est bien la ressemblance avec un SCA qui est la problématique de ce syndrome. La douleur est indiscernable d’une douleur d’origine coronarienne, l’électrocardiogramme est le plus souvent également difficile à distinguer de celui d’un syndrome coronarien à ses débuts.    À peu près tous les signes électrocardiographiques susceptibles de survenir dans un syndrome coronarien ST+ ou ST peuvent être présents dans le Tako-Tsubo, le segment ST peut être sus-décalé, parfois de plusieurs millimètres, et les ondes T largement négatives avec une tendance à l’allongement du QT, des ondes Q peuvent apparaître, tout à fait assimilables à des ondes Q de nécrose dans le territoire antéro-septal.  L’ECG d’un Tako-Tsubo peut aussi ressembler à celui d’une péricardite avec des sus-décalages plutôt concaves vers le haut. L’évolution des signes électriques est souvent rapide avec de grandes modifications en quelques heures, qui tendent le plus souvent vers une grande négativation des ondes T en antérieur et un allongement du QT.    Certaines caractéristiques sont cependant importantes à noter : un sous-décalage du segment ST est très rare dans le Tako-Tsubo, dans 2 % des ECG. Lorsqu’un sus-décalage existe, il n’y a pratiquement jamais d’image en miroir à type de sous-décalage. Lorsque l’électrocardiogramme évoque une péricardite, il n’apparaît jamais de sous-décalage de PQ. Enfin, les ondes Q, qui peuvent exister de façon très précoce, auront tendance à disparaître avec une réapparition des ondes R dans le même territoire. L’autre caractéristique du Tako-Tsubo, mais qui n’est pas pathognomonique, est que tant le sus-décalage que la négativation des ondes T débordent largement le territoire antérieur et sont retrouvés dans les dérivations inférieures et latérales hautes.    Certains auteurs se sont penchés sur des caractéristiques électrocardiographiques qui pouvaient permettre de discerner une thrombose de l’IVA d’un Tako-Tsubo. Ils remarquent que la dérivation en V1 est très souvent peu concernée dans le Tako-Tsubo, alors qu’en aVR il existe très souvent un sus-décalage du ST. Leur proposition est qu’un sus-décalage du ST en VR sans modification du ST en V1 serait assez évocateur de Tako-Tsubo, avec une sensibilité de 91 %, une spécificité de 95 % et une valeur prédictive positive de 95 %… (que nous ne retrouvons pas dans notre série de plus de 100 patients).   Biologie Le profil biologique d’un Tako-Tsubo est assez caractéristique avec le plus souvent une élévation très modérée de la troponine aux alentours de 20 à 40 fois la normale, ce qui donne des troponines à 2 ou 3 ng/ml pour une norme à 0,03 par exemple, alors que le BNP augmente de façon beaucoup plus importante. Cela peut s’expliquer par le fait qu’il n’y a pas de grande nécrose cellulaire, donc relativement peu d’élévation de la troponine, alors que clairement la sidération du ventricule gauche entraîne une insuffisance cardiaque. Paradoxalement, la troponine, qui à l’entrée d’un Tako-Tsubo mime un SCA avec sus-décalage de ST, est souvent plus élevée que celle d’un authentique SCA ST+. Paradoxalement, la copeptine, qui nous est présentée comme l’hormone de stress par excellence, n’est pas augmentée ou très peu augmentée dans le Tako-Tsubo, alors qu’elle l’est dans le SCA ST+.   Échocardiographie L’échocardiographie dans les formes typiques montrera une large akinésie antérieure qui ne correspond pas à un territoire perfusé par une seule coronaire. Cette akinésie sur un territoire non « coronarien » fait d’ailleurs partie des 4 critères retenus par la Mayo Clinic pour avancer le diagnostic d’un Tako-Tsubo. La cinétique basale est conservée, voire exagérée. Peuvent exister une insuffisance mitrale, un épanchement péricardique, voire un thrombus apical compte tenu de la sidération du myocarde.   Coronarographie La coronarographie est obligatoire pour confirmer le diagnostic. On ne peut effectivement pas s’affranchir d’aller vérifier que les coronaires sont normales, même devant une forte suspicion de Tako-Tsubo. D’ailleurs, un des 4 autres critères de diagnostic de la Mayo Clinic est l’absence de lésion coronaire.  La coronarographie permettra d’aller pratiquer la ventriculographie qui montre dans les formes classiques la typique ballonisation du ventricule gauche avec une tendance à l’hypercontractilité de toute la base. Il est actuellement bien démontré que cette akinésie n’est pas causée par une pathologie coronaire épicardique puisque des échos endocoronaires réalisées pendant la phase aiguë d’un Tako-Tsubo ne montraient aucune rupture de plaque. En revanche, on retrouvait un flux parfaitement normal.   IRM La résonance magnétique nucléaire est un examen très utile dans le Tako-Tsubo.  On a longtemps pensé que le Tako-Tsubo donnait des IRM myocardiques normales et que cela permettait de distinguer cette pathologie d’un infarctus sous-endocardique ou d’une myocardite. En fait, la littérature s’est enrichie de belles séries où les IRM ont été pratiquées de façon systématique.  Dans ces séries, les IRM sont loin d’être normales. La première anomalie est un œdème du myocarde qui est observé dans plus de 80 % des cas et qui touche toute la portion sidérée. La seconde anomalie, qui peut être trompeuse, est la présence d’un authentique rehaussement tardif comme dans une myocardite ou dans un infarctus sous-endocardique.  Ces notions sur l’IRM sont capitales puisqu’il s’agit de ne pas repousser le diagnostic de Tako- Tsubo sous prétexte que l’IRM montrerait un œdème ou un rehaussement au gadolinium.   Les formes atypiques ou inversées L’histoire serait simple si le Tako-Tsubo se caractérisait toujours par l’image de ballonisation apicale facile à reconnaître. De plus en plus de formes atypiques ou inversées ont été décrites. Dans ces situations, la pointe du ventricule gauche se contracte tout à fait normalement, voire de façon hyperkinétique alors que la base (dans les Tako-Tsubo strictement inversés) ou la partie médiane du ventricule gauche (dans les Tako-Tsubo médians) sera sidérée et ne se contractera pas.  La continuité entre les deux formes de Tako-Tsubo n’est pas aussi évidente que certains veulent nous le faire croire. Les données épidémiologiques du Tako-Tsubo inversé montrent que, dans ces formes, il n’y a plus de prédominance féminine, la troponine s’élevant beaucoup plus que dans le Tako-Tsubo classique, alors que le BNP s’élève de façon moins importante. En revanche, dans ces formes atypiques l’incidence des phénomènes de stress déclencheur est au moins aussi importante. Ces formes inversées seraient plus souvent associées à un phéochromocytome.   Prise en charge et traitement La prise en charge initiale avant confirmation définitive doit être celle d’un syndrome coronarien aigu dans la mesure où rien sur le plan clinique et/ou électrocardiographique ne permet d’affirmer un Tako-Tsubo. Cela suppose que ces patients seront traités par des antiagrégants plaquettaires jusqu’à la coronarographie. Il n’y a, à ce jour, pas de traitement étiologique, la prise en charge initiale en USIC se contentera de prévenir ou de traiter les complications : diurétiques si insuffisance cardiaque, héparines pour éviter le caillotage dans le ventricule gauche, possiblement bêtabloquant pour prévenir les troubles du rythmes, etc.  Dans certaines formes graves de Tako-Tsubo, la situation peut être hémodynamiquement très compromise avec nécessité d’une assistance circulatoire, d’autant plus nécessaire que la réversibilité est attendue. C’est bien sur cette réversibilité de la sidération myocardique que l’on compte pour une évolution favorable.   Taux de complication L’évolution du Tako-Tsubo est habituellement bonne avec une réversibilité de la sidération myocardique. Pour autant, des taux de mortalité de 4 % ont été décrits dans le registre nord-américain qui collige un nombre de possibles Tako- Tsubo impressionnant (plus de 24 000). Cette mortalité est deux fois plus importante lorsque des hommes sont concernés.    Des récidives de Tako-Tsubo ont été décrites mais elles restent rares (nous en avons authentifié 2 cas sur notre série de 100 patients).  Enfin, cette pathologie n’est connue (ou plutôt caractérisée) que depuis 1990.  Nous avons tous en mémoire des dossiers de patients avec des « pseudo-syndromes coronariens » à coronaires saines avec une large akinésie antérieure qui récupérait, des précordialgies avec de petites élévations de la troponine et des coronaires parfaitement lisses, ou encore des tableaux d’insuffisance cardiaque aiguë sur une dysfonction systolique prédominant en antérieur qui récupéraient ad integrum à J7.  Nous avons évoqué les « épidémies » de diagnostic de syndrome coronarien aigu après des catastrophes naturelles, des coupes du monde de football ou des raz-de-marée. Il est possible que, parmi ces « soi-disant » syndromes coronariens aigus, il existait là encore des Tako-Tsubo.  Enfin, étant donné la gravité de certaines formes et le potentiel arythmogène à la phase aiguë, cette maladie pourrait être responsable de morts subites.   Figure 1. Tako-Tsubo : forme apicale typique.  Figure 2. Tako-Tsubo médioventriculaire.  Figure 3. Tako-Tsubo : pronostic. Figure 5. Tako-Tsubo et IRM.  Figure 6. Tako-Tsubo et IRM.  

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