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Explorations-Imagerie

Publié le 11 mai 2014Lecture 11 min

La voie radiale expose-t-elle vraiment le patient et l’opérateur à des doses de rayons supérieures ?

J.-L. GEORGES, Service de cardiologie, Centre hospitalier de Versailles, hôpital André-Mignot, Le Chesnay

Proposée depuis le début des années 1990, la voie artérielle radiale est devenue la voie d’abord prédominante en Europe et en France pour réaliser les coronarographies et les interventions coronaires percutanées (ICP). Ses avantages par rapport à la voie fémorale sont une immobilisation réduite du patient et une diminution du risque hémorragique au point de ponction.  
La voie radiale vient d’entrer dans les recommandations de l’ESC 2012 pour les procédures réalisées en phase aiguë d’infarctus (classe IIa, niveau de preuve B), grâce à deux études, RIVAL et RIFLE STEACS, qui ont montré qu’elle est associée à une réduction de la morbi-mortalité. Cependant, pour beaucoup de cardiologues, la voie radiale reste associée à des doses de rayons X (RX) plus élevées, tant pour le patient que pour l’opérateur. Qu’en est-il réellement ?

La voie radiale expose-t-elle le patient à une irradiation supérieure ?   Les données de la littérature Depuis 1996, une vingtaine d’études observationnelles ou randomisées ont comparé la voie radiale et la voie fémorale et ont inclus une estimation des doses reçues par le patient. Le tableau 1 résume les résultats des études ayant comparé le Produit Dose.Surface (PDS) exprimé en Gy.cm²(1). (Les lecteurs peu familiers des paramètres de doses et des valeurs habituelles sont invités à se reporter à l’encadré « Les mesures d’exposition : les 10 points clés ».). Pour faciliter la lecture, le tableau indique la différence absolue « Radiale-Fémorale des PDS médians ou moyens (une différence > 0 est en faveur de la fémorale et < 0 en faveur de la radiale).   Tableau 1.   Les mesures de l’exposition : les 10 points clés    1. La dose de rayonnement reçue par un patient peut être exprimée en gray (Gy) ou en sievert (Sv). 2. Le gray mesure la « dose absorbée » localement (1 Gy correspond à l’absorption d’une énergie de 1 J/kg de tissu). Les doses directement reçues par le patient, dites doses à la peau, s’expriment en Gy, et il existe un risque de brûlure cutanée ou de radiodermite pour des doses cumulatives > 2 ou 3 Gy(2).   3. La vraie dose à la peau du patient est rarement mesurée, car elle nécessite des films dosimétriques appliqués sur la peau du patient dans la zone recevant les rayons qui varie avec les arceaux mobiles.   4. Les appareils récents de cardiologie interventionnelle fournissent 2 chiffres d’exposition globale : le PDS (produit dose.surface) et la dose cumulée (ou Air Kerma total).   5. Le PDS exprimé en Gy.cm² est une estimation de la dose totale émise et reçue par le patient. Une coronarographie délivre en médiane 30 Gy.cm² et une angioplastie coronaire 60 Gy.cm². 6. La dose cumulée donnée en Gy ou en mGy est calculée par les systèmes à capteur plan pour un point situé 15 cm sous l’isocentre, et est censée estimer la dose à la peau (sans l’atténuation de la table et du matelas). 7. Deux autres paramètres sont recommandés pour quantifier l’exposition globale et la comparer à des valeurs de référence : la durée de radioscopie (en minutes) et le nombre d’images enregistrées en graphie. 8. Le sievert (Sv) est une unité de « dose efficace » qui tient compte de la quantité d’énergie délivrée, mais aussi de la sensibilité des différents tissus aux rayonnements ionisants. L’exposition en Sv ou plutôt milliSievert (mSv) représente mieux le risque aléatoire, sans effet de seuil, des rayons ionisants : risque de mutations et de cancers radio-induits.   9. Les doses reçues par le personnel (dosimétrie) sont mesurées en mSv, la limite à ne pas dépasser est fixée à 20 mSv/an. Pour donner un ordre de grandeur, la radioactivité naturelle en France est en moyenne d’environ 2,4 mSv/an. 10. Il existe une relation entre l’exposition mesurée en Gy.cm2 et celle mesurée en mSv. Pour la coronarographie et l’angioplastie coronaire, compte tenu des organes traversés par les RX, l’équation habituellement proposée est : équivalent de dose efficace (en mSv) = 0,2 x PDS (en Gy.cm2).    Pour la coronarographie, toutes les études publiées indiquent des durées de scopie ou des doses de radiations supérieures pour la voie radiale, la différence tendant à se réduire pour les études plus récentes. Pour l’angioplastie coronaire, les résultats sont plus discordants. Les études les plus anciennes montrent un PDS supérieur avec la voie radiale. Deux études plus récentes, dont une randomisée(2), ne montrent pas de différence significative. L’étude la plus récente concernant l’angioplastie primaire de l’infarctus aigu montre une différence significative, mais en faveur de la voie radiale ! Les 5 études mettant en évidence une exposition supérieure pour la voie radiale ont en commun leur relative ancienneté : 3 sont issues de la même équipe et rapportent des niveaux de PDS très élevés, largement supérieurs aux valeurs de référence, une étude est basée sur de très petits effectifs. L’étude de Brasselet(3) est plus récente et détaillée, mais souffre de nombreuses limites : non randomisée, effectif modeste, nombreuses exclusions (syndromes coronaires aigus, contrôle de pontages), niveau relativement élevé de l’exposition, et centre de moyen volume pour la voie radiale. À ces études sur le PDS, il faut ajouter une étude observationnelle récente, montrant elle aussi un excès de dose cumulée de 23% pour la voie radiale, constante pour les différents opérateurs(4). D’après les données publiées, il existe donc une tendance pour une irradiation supérieure par voie radiale dans les premières études comparatives, non retrouvée dans les essais randomisés, et qui semble s’estomper dans les études les plus récentes, et même s’inverser dans l’expérience de centres à haut volume pour la radiale. Toutes les comparaisons sont issues d’études monocentriques, et aucune ne mentionne l’ancienneté du passage du centre à la voie radiale au moment de l’analyse.   Les données françaises de l’enquête RAY’ACT L’enquête RAY’ACT est une enquête multicentrique française réalisée en 2011 sous l’égide du Collège national des cardiologues des hôpitaux dans 48 hôpitaux généraux, ESPIC et hôpitaux militaires. Ses résultats portent sur 60 000 actes consécutifs (33 000 coronarographies, 27 000 ICP) réalisés en 2010, sans exclusion, représentatifs de la pratique quotidienne. Ils ont été présentés au Congrès de l’ESC 2012(5) et sont en cours de publication. Les comparaisons brutes montrent que les actes réalisés par voie radiale en France sont en moyenne moins irradiants que ceux réalisés par voie fémorale (tableau 1). Après ajustement sur l’âge, l’IMC, etc., la durée de scopie et le PDS restent inférieurs pour la voie radiale pour les ICP, et ne diffèrent pas significativement entre les deux voies pour la coronarographie.    L’effet volume pour la voie radiale Le caractère multicentrique de l’enquête permet d’approfondir l’analyse de ces résultats discordants avec une partie des données publiées. Par exemple, si on classe les centres en 3 groupes selon le pourcentage d’actes réalisés par voie radiale, on s’aperçoit que les centres à faible volume de radiale (< 50%) ont effectivement une irradiation supérieure avec cette voie, alors que c’est l’inverse pour les centres à moyen (50-70%) ou haut volume (> 80%) de radiale (figure 1). De plus, il existe une nette tendance, moins attendue, entre le niveau global d’irradiation toutes voies confondues et la voie dominante, les centres à haut volume de radiale délivrant en moyenne des doses de RX beaucoup plus basses, tant pour la coronarographie que pour les ICP. Comme dans toute étude observationnelle, des biais sont possibles. Par exemple, on peut imaginer que dans un centre préférant en routine la voie fémorale, on réserve la voie radiale aux patients très obèses ou aux patients artéritiques polyartériels, ce qui pourra majorer le PDS des procédures par voie radiale. À l’inverse, un centre à haut volume de radiale réservera la voie fémorale aux chocs cardiogéniques, aux échecs de voie radiale, donc à des procédures potentiellement plus longues ou complexes et plus irradiantes. Cependant, étant donné le volume d’actes analysé dans RAY’ACT, il est probable que l’interaction observée entre la différence d’exposition radiale-fémorale et le volume d’actes réalisés par voie radiale ait d’autres explications, comme la courbe d’apprentissage de la voie radiale.   Figure 1.   L’expérience de notre centre va dans ce sens. Depuis fin 2001, nous suivons les paramètres d’exposition du patient aux radiations pour toutes les procédures consécutives de coronarographie et d’ICP, sans exclusion(6,7). L’évolution sur les 10 dernières années des PDS des angioplasties coronaires est représentée sur la figure 2. La période 2002-2005 est marquée par une augmentation considérable (+ 50%) des doses émises, qui débute exactement lors du passage à la voie radiale (juillet 2002). Ce n’est qu’au bout de 3 ans que les PDS regagnent le niveau du 1er semestre 2002, lorsque la voie fémorale était quasi exclusive. Il semble réaliste d’imputer l’augmentation transitoire des PDS à la seule courbe d’apprentissage de la voie radiale droite, aucune autre modification de pratique, d’équipement ou d’opérateurs n’ayant été enregistrée dans cette période.   Figure 2. Effet de la courbe d’apprentissage de la voie radiale et du programme d’optimisation des doses.     La deuxième période (2006-2007) montre l’effet spectaculaire d’un programme simple de réduction des doses, dont les modalités ont été publiées(8) (figure 3) et sont rappelées dans l’encadré ci-dessous. La dernière baisse de PDS (2008- 2009) correspond au changement d’équipement radiologique qui a permis, entre autres, de réduire les flux d’images en graphie de 15 images/sec à 7,5 images/sec. Durant ces 10 ans, le pourcentage de voie radiale n’a cessé d’augmenter, se stabilisant à 90%, et les différences de doses de RX entre la voie radiale et fémorale se sont inversées. Il est donc tout à fait possible de réaliser l’ensemble de son activité de cardiologie interventionnelle coronaire en privilégiant la voie radiale et en exposant le patient à des doses de RX très faibles, 5 à 10 fois inférieures aux valeurs habituelles de référence(9).   Figure 3. L’excès de dose pour la voie radiale n’est observé que pendant la phase d’apprentissage, se réduit après mise en place du programme d’optimisation des doses, puis s’inverse.           La voie radiale expose-t-elle l’opérateur à une irradiation supérieure ?   Les 3 études, dont une randomisée, qui ont comparé de façon spécifique l’exposition des opérateurs selon la voie d’abord sont unanimes (tableau 2) : l’exposition de l’opérateur mesurée par dosimétrie est environ le double lorsque la coronarographie est réalisée par voie radiale par rapport à la voie fémorale, et multipliée par 1,5 dans le cas des ICP. Comment expliquer cette différence ?   Les durées de scopie ou de PDS supérieures par voie radiale n’expliquent pas à elles seules la surexposition de l’opérateur observée dans les études comparatives. Si on compare les études de Lange et de Brasselet(2,3), on voit qu’il n’y a pas de parallélisme entre l’exposition globale (PDS) et celle de l’opérateur.   Tableau 2.   À niveau de protection individuelle égal, l’analyse par opérateur ne montre pas non plus de parfaite concordance entre la dose totale et la dose reçue par l’opérateur(3). Toutefois, quel que soit le niveau absolu d’exposition pour l’opérateur, la différence radiale et fémorale reste constante. Est-ce parce que l’opérateur est plus proche de la source de RX lors de la mise en place et de la manipulation des guides et des sondes par voie radiale ? Si c’était le cas, la différence radiale-fémorale serait plus importante pour les ICP (l’opérateur est proche de la source dans toutes les phases irradiantes : mise en place du cathéter-guide, franchissement de la sténose, mise en place du ballon ou du stent, etc.) que pour les coronarographies (l’opérateur n’est proche de la source que durant le positionnement des sondes en scopie et peut se reculer pour les acquisitions en graphie), alors que c’est l’inverse qui est observé. Quoi qu’il en soit, il paraît capital de mettre en œuvre toutes les mesures de radioprotection, pour le patient et l’opérateur, lorsqu’on choisit de travailler par voie radiale.   L’effet des mesures de radioprotection sur l’exposition par voie radiale   Réduire les doses émises Les mesures d’optimisation des doses totales émises, qui bénéficient à la fois au patient et au personnel, et les mesures individuelles de protection du personnel sont d’égale importance. Les nombreuses techniques de réduction des doses, rappelées dans les formations obligatoires des cardiologues interventionnels à la radioprotection, sont détaillées dans une revue récente(10). Elles sont peu coûteuses, peu contraignantes, et ont des résultats spectaculaires tout en préservant la qualité diagnostique de l’examen.     Mieux protéger l’opérateur Les mesures individuelles de radioprotection du personnel sont aussi capitales, et doivent être optimisées lorsqu’on travaille par voie radiale. Les différences observées entre les études de Lange et de Brasselet(2,3) illustrent l’effet protecteur de ces mesures (tableau 2). Dans la première, les PDS des ICP sont modestes (de l’ordre de 50 Gy .cm2) et les doses reçues par l’opérateur sont élevées (de 110 à 166  μ Sv/examen), alors que c’est l’inverse dans l’étude de Brasselet (PDS élevés > 100 Gy.cm2, doses reçues par l’opérateur modérées, entre 41 et 69 μ Sv). L’explication réside certainement dans l’utilisation par l’équipe de Brasselet de dispositifs de radioprotection plus efficaces pour l’opérateur. Sont- ils pour autant optimaux, comme le titre de l’article le suggère ? Une vitre plombée haute, un écran plombé bas (équivalents à 0,5 mm de plomb), un tablier de plomb, et des consignes pour que l’opérateur se tienne le plus éloigné possible du tube à RX paraissent un minimum. Dans notre centre, on y ajoute systématiquement pour tous les opérateurs le port d’un calot plombé, de lunettes plombées avec verres latéraux (prévention de la cataracte radique), l’utilisation systématique de prolongateurs de tubulure > 80 cm, et de façon récente, d’un injecteur automatique et d’un deuxième écran protecteur sur roulettes, les commandes de la table étant situées aux pieds du patient. Le résultat (tableau 3) : il est possible d’utiliser quasi exclusivement la voie radiale droite avec des niveaux d’exposition très bas pour les opérateurs, < 0,10  μ Sv par acte et < 40 μ Sv par an (pour un seuil maximal toléré de 20 000  μ Sv), ce qui est sans commune mesure avec ce qui est rapporté dans la littérature.   Tableau 3. Ce qu’il faut retenir   La voie radiale n’expose pas le patient ou l’opérateur à des doses de radiations supérieures lorsque les opérateurs sont familiers avec cette voie ou dans les centres à haut volume de radiale : « La voie radiale irradie moins quand on la pratique beaucoup, et plus quand on la pratique peu » . La sur-irradiation existe transitoirement lors du passage de la voie fémorale prédominante à la voie radiale prédominante, et il faut plusieurs mois pour que l’ensemble des opérateurs d’un centre maîtrise la technique spécifique de la voie radiale et stabilise les durées de scopie ou les doses de RX par cette voie.   La différence d’irradiation entre voie fémorale et radiale devient cliniquement négligeable lorsqu’un programme d’optimisation des doses est suivi. Les opérateurs utilisant la voie radiale sont susceptibles de recevoir des doses de RX supérieures lors des coronarographies et surtout des angioplasties coronaires. Ils doivent bénéficier de mesures de radioprotection individuelles maximales.

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