Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 15 déc 2013Lecture 8 min
Malaise à l’adolescence
D. ARMENGAUD, CHI de Poissy/Saint-Germain-en-Laye
Nyambura, une jeune fille africaine qui vit au Sénégal, est venue en France passer des vacances chez son oncle, chez qui elle séjourne depuis une quinzaine de jours. Soudainement, après un effort (montée au 3e étage avec un sac de courses), elle présente dans l’après-midi un malaise avec difficultés respiratoires et une probable perte de connaissance de quelques minutes.
Histoire clinique
Il n’a pas été constaté de mouvements anormaux et la régression spontanée rassure la famille présente, qui conclut à une fatigue après un effort un peu trop marqué.
Un deuxième épisode similaire survient le même jour, cette fois sans rapport avec un effort, puisque vers minuit, alors qu’elle se prépare à se coucher, Nyambura présente une perte de connaissance soudaine, avec chute. Cette fois, les pompiers sont appelés. Ils la conduisent aux urgences.
À l’entrée dans le service, elle paraît en bon état général, consciente, avec cependant une amnésie de ces deux épisodes et une douleur thoracique. Son interrogatoire nous apprend que depuis deux ans elle présente de temps à autre des malaises pour lesquels un traitement par valproate de sodium a été prescrit pendant quelques mois sans amélioration des symptômes, ce qui a conduit les parents à l’arrêter avant son voyage en France. C’est la première fois qu’elle présente une perte de connaissance, authentifiée par l’amnésie de ces épisodes, mais elle se plaint assez fréquemment de douleurs thoraciques, à type d’oppression, sans facteur déclenchant ou d’accompagnement particulier. L’auscultation met en évidence un souffle systolique intense 2-3/6 irradiant dans le précordium et le creux axillaire, pour lequel on apprend qu’une échographie avait été réalisée il y a quelques semaines en Afrique et qu’un traitement par bêtabloquant (bisoprolol) avait été prescrit, également arrêté avant le départ. La pression artérielle est à 98/53 mmHg, la fréquence cardiaque à 69/min. La température est de 36°7 C et le poids de 51 kg pour une taille de 163 cm.
L’examen de l’abdomen est normal, sans hépato- ni splénomégalie, l’examen neurologique est normal. Il n’y a pas de troubles de la conscience, la motricité est normale, symétrique, de même que le tonus musculaire. Les paires crâniennes sont normales. Le reste de l’examen est tout aussi rassurant.
Un bilan biologique est prélevé, un ECG et une radio de thorax réalisés.
Figure 1. Radiographie pulmonaire : cardiomégalie, modérée avec surcharge pulmonaire.
Figure 2. ECG : rythme sinusal, QRS fins, hypertrophie ventriculaire avec petit sous-décalage de ST.
Que conclure face à ces symptômes ?
Histoire clinique (suite)
La survenue d’un malaise pose toujours un dilemme diagnostique entre l’expression de troubles fonctionnels à connotation psychoaffective et la rareté d’une cause organique, notamment chez l’enfant ou l’adolescent. Cependant, il faut différencier de prime abord un « malaise banal » que traduit une sensation de faiblesse généralisée progressive, avec diminution du tonus (et chute possible, mais rarement traumatique), sensation vertigineuse, étourdissement et maintien d’une conscience partielle « crépusculaire », avec parfois perte de connaissance, d’une syncope survenant sans prodrome, de manière « inattendue », plus brutale, avec une perte de connaissance et du tonus postural simultanée qui aboutit à une chute, sans retenue et plus traumatisante.
Deux grandes étiologies se confrontent :
• neurologique : en pédiatrie, c’est d’une crise convulsive qu’il s’agit le plus souvent. La récupération lente de la conscience (phase postcritique) est très en faveur d’une telle crise, tout comme la constatation d’un examen neurologique normal au décours, sans déficit, éliminant de ce fait un accident vasculaire cérébral (hémorragie cérébroméningée ou accident thrombotique), beaucoup plus rare ;
• cardiaque, dont la survenue sans prodromes ou à l’effort, doit faire l’objet d’un ECG systématique à la recherche d’un trouble de la conduction ou du rythme cardiaque :
- le bloc auriculo-ventriculaire congénital est généralement dépisté par la surveillance... du rythme cardiaque fœtal, mais une révélation tardive est toujours possible et conduit bien sûr à l’implantation d’un stimulateur,
- le syndrome de Wolff-Parkinson-White, caractérisé par une voie accessoire court-circuitant la conduction auriculoventriculaire avec un risque de syncope grave, voire mortelle. L’aspect de préexcitation ventriculaire avec épaulement de l’onde R (onde delta) est caractéristique. La neutralisation de cette voie accessoire se fait par radiofréquence au cours d’un cathétérisme cardiaque,
- le syndrome de QT long est le plus souvent congénital et doit faire l’objet d’un dépistage familial lorsqu’un cas index a été diagnostiqué. La syncope révélatrice survient à l’effort prolongé (natation par exemple), mais aussi dans des situations de stress, de stimulation auditive, ou même la nuit, ce qui pourrait ne pas faire évoquer ce diagnostic de prime abord. Certains médicaments peuvent également être à l’origine de son allongement et son évaluation doit être réalisée, en fonction de la fréquence cardiaque (QT corrigé), par la formule de Bazett : durée QT (en ms) divisée par la racine de l’intervalle RR précédent (en ms). Il doit rester inférieur à 450 ms,
- une hyperréactivité vagale, peut avoir été repérée dans l’enfance lors de malaises du nourrisson ou chez le petit enfant lors de spasmes du sanglot, mais se révéler aussi à l’adolescence. Le plus souvent, le caractère « provoqué » par un stress, une stimulation vagale (nausées, expiration forcée à glotte fermée, manœuvre de Valsalva, douleur, orthostatisme prolongé) est évocateur, tout comme une composante nettement plus psychoaffective (sensation d’enfermement, vue du sang, piqûres, etc.). La normalité de l’ECG suffit alors à poser le diagnostic. Celui-ci peut être confirmé par un tilt test (test d’inclinaison) démontrant une mauvaise réponse adaptative à l’orthostatisme (hypotension, bradycardie),
- effort et émotion peuvent aussi provoquer une tachycardie catécholergique se traduisant, au-delà d’un seuil d’accélération du rythme cardiaque, par des extrasystoles ventriculaires parfois perçues par le sujet, dont le danger serait le passage en fibrillation ventriculaire mortelle. L’ECG d’effort permet de la caractériser et conduit à la prescription de bêtabloquant.
Dans le cas présent, l’origine cardiaque a été d’emblée suspectée par la présence d’un souffle systolique ancien, mais dont l’origine n’était pas clairement connue de la famille. Il ne semblait pas s’agir d’une cardiopathie congénitale et la bonne hémodynamique, sans hypertension artérielle était rassurante. L’ECG a révélé un rythme sinusal, un QTc à 411 ms, avec une hypertrophie ventriculaire gauche et un petit trouble de repolarisation (sous-décalage ST). L’augmentation significative du BNP (encadré) a été une preuve supplémentaire de l’origine cardiaque, ce qui a conduit à réaliser rapidement une échocardiographie. Celle-ci a mis en évidence une cardiomyopathie hypertrophique obstructive avec une fraction d’éjection du ventricule gauche conservée, mais un important gradient intraventriculaire à 160 mmHg et une cinétique anormale de la valve mitrale (SAM : systolic anterior movement) participant à la réduction de la fraction d’éjection à l’origine des malaises.
Commentaire
• Les cardiomyopathies sont un ensemble de pathologies, de causes multiples dont la classification se fait en fonction :
- de l’aspect du myocarde (et du cœur) « dilaté » ou hypertrophique ;
- du caractère obstructif ou non obstructif ;
- d’une origine secondaire ou primitive (tableau).
L’hypertrophie du myocarde, inadaptée, asymétrique, se fait plus au profit du septum interventriculaire qu’au niveau de la paroi du ventricule gauche (VG) et la contractilité du myocarde n’est pas altérée à :
- une diminution de la compliance du VG et une altération de son remplissage ;
- une obstruction à son éjection à laquelle participe un mouvement antérieur inadapté de la valve mitrale à l’origine du souffle systolique, ici révélateur.
Après l’identification, en 1989, d’une mutation sur le bras long du chromosome 14, plus de 400 mutations sur 15 gènes et 6 chromosomes différents ont été identifiées. Les anomalies engendrées touchent l’agencement des protéines du sarcomère à l’origine de fibrose et d’hypertrophie des fibres, dont la progression avec le temps explique la révélation « secondaire » de cette pathologie constitutionnelle, d’une grande hétérogénéité clinique, au sein parfois d’une même famille.
Le degré d’obstruction varie selon les cas :
- avec l’exercice, où il augmente habituellement, comme dans le cas présent, et se révèle par des syncopes d’effort, voire une mort subite ;
- avec la volémie de manière paradoxale du fait du défaut de compliance du VG et de l’augmentation de la précharge (une réplétion augmente l’obstruction, une déplétion augmente le débit).
• La révélation habituelle se fait par la survenue d’une dyspnée d’effort, voire d’une syncope ou même d’une mort subite, dont le risque de survenue semble lié à l’existence d’un trouble du rythme secondaire (tachyarythmie ventriculaire) ou d’une ischémie myocardique. L’existence d’un souffle systolique d’insuffisance mitrale, perçu à l’apex et en axillaire, oriente bien sûr le diagnostic et l’échographie le confirme en objectivant une hypertrophie septale évocatrice.
• Le traitement est complexe :
• symptomatique, en première intention par la prescription de bêtabloquants qui stabilisent la situation en limitant la fréquence cardiaque et en améliorant le remplissage diastolique ;
• « préventif » par la mise en place d’un défibrillateur implantable en cas d’antécédents de mort subite dans la famille ou d’une hypertrophie septale > 30 mm qui semble en être un facteur de risque ;
• curatif, avec divers types d’interventions possibles :
- réduction du septum par embolisation sélective à l’alcool absolu,
- myomectomie septale, qui est l’intervention de choix, corrigeant l’obstruction ventriculaire et le mauvais fonctionnement mitral (figure 4),
- intervention de Konno modifiée correspondant, pour les formes les plus sévères, à une septectomie associée à un élargissement de la sténose sous-aortique tout en conservant la valve aortique (figure 5).
Figure 4. Myotomie septale (d’après N Engl J Med 2004 ; 350 : 1320-7).
Figure 5. Intervention de Konno modifiée (C : septectomie associée à une plastie de la chambre de chasse sous-valvulaire ; D : respectant la valve oaortique).
Histoire clinique (suite et fin)
Cette adolescente sera mise sous traitement par bêtabloquants, puis transférée dans le service de cardiologie pédiatrique où le diagnostic sera confirmé. Du fait de la présence de facteurs de risque (syncopes initiales et septum > 31 mmHg), elle sera hospitalisée en vue de l’implantation d’un défibrillateur. L’évolution sous traitement médical, avec maintien d’une pression élevée dans le ventricule gauche 250 mmHg, conduira à poser l’indication d’une intervention de Konno modifiée.
"Publié dans Pédiatrie Pratique"
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