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Insuffisance cardiaque

Publié le 30 nov 2013Lecture 6 min

Y a-t-il encore un intérêt pour la digoxine dans l’insuffisance cardiaque systolique ?

Y. JUILLIÈRE, C. SELTON-SUTY, Institut Lorrain du Cœur et des Vaisseaux, CHU de Nancy-Brabois, Vandœuvre-lès-Nancy

La digoxine est une des plus anciennes drogues de la pharmacopée dans le domaine cardiovasculaire, issue à l’origine d’une plante, la digitale pourpre. Elle a connu des heures de gloire lorsque le traitement de l’insuffisance cardiaque (IC) était basé sur un concept hémodynamique. Le traitement roi associait alors digoxine et diurétiques. À partir de la fin des années 1980 et l’avènement des IEC, ce concept a radicalement changé pour devenir neurohormonal. La digoxine a alors progressivement reculé dans l’arsenal thérapeutique de l’IC.

Les anciennes données   On connaissait depuis longtemps les effets favorables de la digoxine sur les paramètres hémodynamiques du cœur défaillant : renforcement de la contractilité, amélioration du débit cardiaque et baisse des pressions pulmonaires. Au début des années 1990, on s’est mis à ne jurer que par la réduction de la mortalité suite aux démonstrations successives de l’effet des IEC dans ce domaine. Or, concomitamment, plusieurs essais avec de nouveaux inotropes positifs per os dans l’IC se sont avérés négatifs avec excès de mortalité comparativement au placebo. S’est donc posée la question de savoir si finalement, la digoxine n’était pas aussi responsable d’un excès de mortalité à long terme. Les premières études furent des essais de retrait de la digoxine chez des patients IC traités par IEC (études RADIANCE et PROVED). Ces études ont montré l’effet défavorable du retrait de la digoxine, laissant donc penser que celle-ci était probablement utile. C’est dans ce contexte qu’a été conçue l’étude DIG(1). Ses résultats ont montré une absence d’effet sur la mortalité globale avec un effet très favorable sur la morbidité et une diminution importante des hospitalisations pour IC. Et comme d’autres classes médicamenteuses (bêtabloquants puis antialdostérones) réduisaient aussi la mortalité globale, l’absence d’effet de la digoxine sur ce paramètre lui a été préjudiciable et, progressivement, les cardiologues se sont détachés du produit. Il convient aussi d’ajouter qu’à la fin des années 1990, les diverses analyses post-hoc de grands essais ou registres retrouvaient une surmortalité chez les patients recevant de la digoxine comparativement à ceux qui n’en recevaient pas, même s’il est fort probable qu’un biais majeur existait, la digoxine étant souvent uniquement prescrite aux patients les plus graves. Enfin, au début des années 2000, une sous-analyse de DIG(2) effectuée pour comprendre la neutralité du produit sur la mortalité, a retrouvé une différence entre hommes et femmes, les femmes recevant de la digoxine ayant une surmortalité importante sans qu’on puisse réellement expliquer ce fait.   La nouvelle approche basée sur une digoxinémie < 1 ng/ml   C’est à cette période que des auteurs américains se sont demandés s’il n’y aurait pas un seuil critique de concentration sérique à considérer. À partir des essais PROVED et RADIANCE d’abord(3), puis à partir des données de DIG(4), il est apparu que la digoxine avait en fait des effets très favorables en termes de réduction de la mortalité globale et de la morbidité (hospitalisations pour IC) pour des concentrations sériques < 1 ng/ml. Au-dessus de ce seuil, le produit devenait délétère sur la mortalité, même s’il était toujours efficace sur la morbidité. Et la différence entre hommes et femmes s’expliquait par un niveau de seuil un peu plus bas chez la femme. Il a alors été démontré que le maximum d’efficacité de la digoxine sur les critères de morbimortalité était obtenu pour des concentrations entre 0,5 et 0,9 ng/ml(5). Malheureusement, la messe était dite. Et surtout, aucune nouvelle étude n’était envisagée en raison d’un manque de sponsoring pour une drogue peu chère et génériquée.   L’importance de la fréquence cardiaque   Pourtant, à la fin des années 2000, l’étude SHIFT est venue apporter de nouveaux éléments à prendre en considération. Cette étude démontrait l’intérêt de l’ivabradine pour réduire la morbimortalité de patients IC conservant une fréquence cardiaque élevée malgré un traitement bêtabloquant(6). Il apparaissait un rôle majeur de la fréquence cardiaque comme marqueur de mauvais pronostic dans l’IC(7). Or, la digoxine est un produit qui réduit la fréquence cardiaque par des effets différents ou supplémentaires de ceux des bêtabloquants et de l’ivabradine : réduction de l’activité sympathique, augmentation de l’activité parasympathique avec sensibilisation des baroréflexes(8). Ainsi, une étude a comparé les résultats obtenus avec l’ivabradine dans SHIFT sur le critère principal retenu dans cette étude (mortalité cardiovasculaire et hospitalisations pour IC) à ceux qu’aurait eus la digoxine dans DIG sur le même critère(9). Et de constater que l’impact est tout à fait comparable (HR = 0,85 ; p < 0,001 pour digoxine et HR = 0,82 ; p < 0,0001 pour ivabradine) pour des populations de malades similaires, en sachant tout de même que les patients de DIG ne recevaient pas (ou très peu) de bêtabloquants. L’impact sur l’ensemble des critères secondaires habituels de morbimortalité est également très comparable.   De fait, un grand registre publié récemment confirme l’absence de surmortalité liée à la digoxine dans l’IC en routine clinique(10) et une étude basée sur deux groupes de 1 421 patients IC appariés selon la technique des scores de propensité démontre le rôle très favorable de la digoxine sur la mortalité(11).   Quelles recommandations ?   Au final, lorsqu’on cherche la digoxine dans la stratégie thérapeutique de l’IC systolique proposée par les dernières recommandations européennes(12), on la trouve à la dernière ligne d’une stratégie présentant pourtant beaucoup de paliers. On peut toutefois se demander pourquoi. Les indications de la digoxine ont toujours varié au gré des différentes versions des recommandations de 2001 à 2012(13), diminuant sans cesse d’importance sans qu’il y ait de réelles nouveautés depuis l’étude DIG. Et n’oublions pas que la digoxine a toujours représenté un des traitements de base de tous les grands essais randomisés (le pourcentage moyen de patients sous digoxine dans l’ensemble des essais thérapeutiques concernant l’IC systolique ou à fraction d’éjection préservée est d’environ 50 %).   La stratégie de 2012 met en exergue la nécessité de tenir compte de la fréquence cardiaque, peut-être d’ailleurs un peu tardivement dans le schéma proposé. Si on est certain que la posologie bêtabloquante est optimale, il convient d’envisager l’ivabradine.   La question qui demeure est pourquoi ne pas aussi envisager la digoxine. Certes, elle a un effet toxique que n’a pas l’ivabradine. Mais prescrite à des posologies très faibles de 0,067 ou 0,125 mg par jour, le risque de toxicité devient très faible puisqu’on vise une digoxinémie < 1 ng/ml et que la toxicité rythmique apparaît pour des digoxinémies > 1,7 ng/ml. Il faut tout de même être vigilant chez le sujet âgé et les patients avec insuffisance rénale. De même, il ne faut pas prescrire la digoxine chez un patient coronarien qui conserve des sténoses coronaires serrées, a contrario de l’ivabradine qui peut s’avérer utile. Dans un grand nombre de cas, on pourrait donc utiliser la digoxine ou l’ivabradine pour accompagner un traitement bêtabloquant partiellement inefficace sur la fréquence cardiaque, avec quelques avantages supplémentaires pour l’ivabradine. Mais la digoxine a pour elle un dernier atout : celui du prix qui, pour un impact quasiment identique, est presque 23 fois moindre.   En pratique    Cibler une concentration sérique < 1 ng/ml La digoxine est une vieille drogue qui conserve des atouts incontestables. On a trop longtemps minimisé le bénéfice substantiel qu’elle peut apporter en oubliant son rôle de thérapeutique de base dans tous les grands essais. Elle a juste le grand tort de ne plus faire l’objet de promotion car génériquée et d’un prix de vente très bas. Si vous souhaitez l’utiliser, retenez une seule chose : cibler une concentration sérique < 1 ng/ml. Sir William Whitering serait fier de voir que plus de 200 ans après sa découverte, ce produit continue à faire parler de lui.

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