Cardiologie générale
Publié le 14 fév 2014Lecture 5 min
Vécu psychique du patient à l’annonce du diagnostic : quelle place doit-on laisser au déni ?
O. STCHEPINSKY, Y. THEODOSE, C. LEBLANC, Centre William Harvey, Saint-Martin d’Aubigny
Le terme de « déni » est avancé par S. Freud en 1923 pour caractériser un mécanisme de défense par lequel un sujet nie la réalité d’un fait qu’il perçoit et qu’il ne peut cependant admettre. Le mot « déni » exprime un refus catégorique de reconnaître ce que les sens montrent. Le déni est un mécanisme de défense qui est souvent associé au processus de deuil : par exemple, le deuil d’être en bonne santé, ce qui implique à terme l’acceptation d’être malade transitoirement ou définitivement.
Nous analyserons ainsi les stratégies d’adaptation à la maladie chronique, les déterminants pour un processus réussi d’intégration de la maladie, les conséquences du déni et, enfin, nous essaierons de définir les attitudes des soignants les plus adaptées.
Les stratégies d'adaptation à la maladie chronique
Nous devons à Freud le concept de « travail de deuil » et, plus récemment, à E. Kübler-Ross l’identification des réactions émotionnelles successives des patients en fin de vie. Le processus d’intégration, appelé « stades d’acceptation de la maladie », correspond à une dynamique psychique où la souffrance est vécue pour être dépassée. Mais ce processus d’intégration peut être mis en échec par une angoisse insupportable à l’annonce du diagnostic responsable d’un déni total, mécanisme de défense ultime et responsable d’un blocage du travail psychique.
Deux processus différents face à la maladie se distinguent selon A. Lacroix (travail du deuil inspiré de Freud).
Dans le processus dit « d’intégration», l’annonce du diagnostic engendre une stupeur avec une incrédulité passagère pour se protéger de la réalité angoissante. Cette courte période de dénégation est un mécanisme de défense transitoire permettant de rechercher un compromis avec sa propre réalité, afin d’intégrer le processus d’adaptation vers la guérison psychique et l’apaisement. À l’inverse, une réaction d’évitement, de « blocage », c’est-à-dire une réaction de déni face à la perte, peut se constituer, entraînant initialement une adaptation protectrice, mais interdisant le travail dynamique psychique.
Le déni interdisant le travail dynamique psychique d’adaptation à la maladie conduit, à terme, inéluctablement à la dépression sévère.
Ce déni pourra se maintenir jusqu’au jour où les résistances s’effondreront brutalement à la faveur de complications ou d’aggravations inéluctables. Cet effondrement des résistances survient sur un état psychique figé, risquant d’entraîner un état dépressif sévère teinté de résignation.
Les déterminants pour un processus réussi d'intégration de la maladie
L’appropriation, terme préférable à l’acceptation, qui est une notion trop passive, correspond à une stratégie active qui va permettre de mieux vivre avec sa maladie. Cette stratégie correspond à une réorganisation psychique.
L’épreuve de la maladie par le passage à une capacité dépressive transitoire est l’occasion d’un approfondissement, permettant de se réapproprier son histoire, de lui donner sens, et ainsi de contribuer à l’intégration psychique de la maladie.
Les croyances du patient à propos de l’origine et du contrôle de sa maladie seront déterminantes pour sa motivation et sa participation active vers l’adaptation et l’apaisement.
Si le patient a une représentation d’un lieu de contrôle interne de la maladie, il rassemblera ses ressources intérieures pour entrer dans une démarche active d’appropriation et de changement, et donc d’adaptation optimale à sa maladie.
Si, au contraire, le patient aune représentation d’un lieu de contrôle externe de sa maladie, il considérera que le devenir de sa maladie dépendra d’un pouvoir extérieur (soignant, famille, Dieu, etc.) et risquera de s’abandonner sans trouver une énergie active de gestion de la situation.
Si le sujet situe le lieu de contrôle de sa maladie en lui-même et non pas à l’extérieur, il rassemblera ses ressources intérieures pour mieux s’adapter et se réorganiser psychiquement.
Conséquences du déni
Le déni est un mécanisme de défense psychologique assez fréquent, en tout cas de façon partielle : on ne dénie pas tout, mais une partie des informations données sont « oubliées ». Ce mécanisme a un rôle protecteur et permet d’absorber progressivement les informations, notamment les plus graves. Ce type de déni n’empêche pas le patient d’accepter les soins et d’évoluer progressivement vers une prise de conscience plus complète de la situation.
Le déni partiel à court terme est protecteur et bénéfique dans la maladie coronarienne, à l’inverse du déni à long terme, qui présente un impact négatif sur le pronostic.
Lorsqu’il s’agit du déni total – qui peut s’accompagner d’un refus de soin –, le patient peut se mettre au contraire en danger. Dans la maladie coronarienne, le déni immédiat après une hospitalisation pour infarctus du myocarde, angor sévère ou pour pontage coronarien, diminue l’anxiété, avec un effet favorable sur les scores de dépression.
D’autres études ont montré une durée d’hospitalisation plus courte chez les « dénieurs » par rapport aux « non-dénieurs » pour pouvoir stabiliser la maladie coronarienne avec une nette diminution des épisodes angineux et des signes de décompensation cardiaque. Le déni a un effet favorable sur le devenir psychologique à court terme, à condition qu’il n’empêche pas le recours rapide aux soins.
En revanche, l’impact du déni à long terme paraît beaucoup plus négatif, avec une mauvaise adaptation dans les phases tardives après pontage coronarien et une aggravation du pronostic organique en diminuant l’adhésion des patients aux soins avec moindre respect des recommandations thérapeutiques et vulnérabilité psychologique.
Quelles sont les approches possibles pour les soignants ?
La manière d’annoncer la maladie et ses implications va conditionner la cinétique des étapes suivantes : une mauvaise qualité de l’annonce, une dramatisation, l’annonce du caractère irréversible de la situation peuvent être déterminants vers le blocage psychique et le déni. Placé par le médecin comme spectateur de ce qui lui arrive, le patient se sentira détaché de la situation.
En cardiologie, l’annonce du diagnostic doit être associée à la présentation des stratégies thérapeutiques efficaces qui seront choisies et du soutien qui leur sera apporté par les équipes soignantes.
Le soignant doit renforcer et valoriser les ressources intérieures du patient et ainsi ses capacités intrinsèques à surmonter la maladie et donc à s’adapter.
L’annonce du diagnostic, du pronostic et des stratégies thérapeutiques choisies doit être approchée de façon à s’adapter aux ressources psychiques du patient.
Plutôt que de brandir la menace des complications impliquant la « nécessaire adhésion au traitement et au changement de mode de vie », il convient de miser sur la confiance et l’espoir : face à un patient en déni, le soignant doit tenter de relativiser les menaces pour rendre la situation plus tolérable.
Le déni est un mécanisme de défense associé au processus de deuil qui ne doit être que partiel et temporaire pour être bénéfique à court terme, avant d’être suivi par les autres étapes du processus dynamique psychique d’intégration.
Figure. Annonce du diagnostic.
Conclusion
Le déni comme moyen de défense durable par blocage du travail psychique est responsable en cardiologie d’une aggravation du pronostic et doit être évité.
La manière d’annoncer le diagnostic, et donc le pronostic, contribue fortement à l’angoisse du patient et au risque de blocage psychique et de déni durable ; ils doivent donc être approchés de façon à laisser toujours de l’espoir.
Renforcer les capacités ou ressources intérieures du patient et l’aider à repérer les soutiens extérieurs familiaux ou institutionnels contribuera à lui donner confiance pour surmonter l’épreuve de la maladie.
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