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Thérapeutique

Publié le 31 mai 2014Lecture 4 min

Comment stratifier le risque hémorragique d’un traitement anticoagulant ?

G. MOUBARAK, Hôpital Saint-Joseph, Paris

Le traitement anticoagulant, par anti-vitamine K (AVK) ou anticoagulants oraux directs (AOD), est une pièce maîtresse de la prise en charge des patients présentant une fibrillation atriale, que celle-ci soit paroxystique ou permanente. La contrepartie de la réduction du risque d’AVC/embolies systémiques est l’existence d’un risque hémorragique (augmentation des saignements majeurs de 0,3-0,5 %/an, augmentation des saignements intracrâniens de 0,2%/an) qu’il faut pouvoir estimer chez un patient donné. 

Risque hémorragique sous AVK   Différents facteurs cliniques sont associés à un sur-risque hémorragique, notamment l’âge avancé, une maladie rénale ou hépatique, une HTA mal contrôlée, un cancer. Les chutes sont souvent un motif de non-prescription d’un traitement anticoagulant. Il apparaît toutefois que les saignements majeurs directement reliés à une chute sont plutôt rares. Un risque élevé de chutes est certes associé à un sur-risque de saignement intracrânien, mais le risque thromboembolique chez ces patients excède souvent le risque de saignement majeur, méritant une réflexion au cas par cas. L’administration concomitante d’antiagrégants plaquettaires potentialise le risque hémorragique des AVK. Ce risque est multiplié par deux par l’ajout d’aspirine et par plus de trois par l’ajout d’aspirine et de clopidogrel. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens, de même que la consommation d’alcool, augmentent également le risque. Certains facteurs génétiques pourraient également prédisposer à un saignement. Au moins 30 gènes sont associés au métabolisme et à l’action de la warfarine et certains polymorphismes de gènes (codant notamment pour VKORC1 et le cytochrome CYP2C9) sont responsables de 40 % des variations interindividuelles de la dose nécessaire de warfarine pour atteindre l’INR cible. Enfin, le risque de saignement majeur est deux fois plus élevé pour un INR > 3 qu’entre 2 et 3, et 2,4 fois plus élevé quand le TTR (time in therapeutic range, soit le pourcentage de temps où l’INR est entre 2 et 3) est < 60 % que quand le TTR est > 75 %.   Scores de risque hémorragique sous AVK   Plusieurs scores ont été établis en regroupant différents facteurs ci-dessus pour aider le clinicien à avoir une estimation plus globale du risque de saignement sous AVK. Trois principaux ont été appliqués à des patients en FA : - le score HEMORR2HAGES(1) (tableau 1), développé à partir de 3 791 patients du National Registry of Atrial Fibrillation suivis 36 mois ; - le score HAS-BLED(2) (tableau 2), développé à partir de 3 456 patients de l’Euro Heart Survey on Atrial Fibrillation suivis 12 mois ; - le score ATRIA(3) développé à partir de 9 186 patients provenant de diverses bases de données et suivis 6 ans.   Certains facteurs ont bien sûr été incorporés dans chacun de ces scores. Un score élevé indique un risque hémorragique élevé. Il est difficile de statuer si tel score est meilleur qu’un autre, les publications suggérant une supériorité du score HAS-BLED étant toutes cosignées par le créateur de ce score. Quoi qu’il en soit, on doit noter que ces scores ont été construits pour estimer l’incidence des saignements majeurs et qu’aucun score n’est très performant pour prédire la survenue des saignements intracrâniens (en partie parce que ces saignements-là sont assez rares). Enfin, la performance prédictive de ces scores est somme toute modeste dans les diverses populations de patients en FA dans lesquelles ils ont été appliqués(4). Les recommandations européennes ont choisi de préconiser l’utilisation du score HASBLED(5). Elles indiquent surtout que la décision de prescrire un traitement anticoagulant doit reposer essentiellement sur l’évaluation du risque thromboembolique (par le score CHADS2-VA2Sc), car le bénéfice clinique net existe même chez les patients à risque hémorragique élevé. Un score HAS-BLED ≥ 3 ne doit pas contre-indiquer un traitement anticoagulant, mais inciter à surveiller plus régulièrement le patient, à considérer la dose d’AOD la plus faible quand le choix existe et surtout à corriger activement les facteurs de saignement réversibles : - équilibration de la pression artérielle ; - réévaluation de la poursuite des autres médicaments à risque hémorragique ; - suivi plus régulier des INR et probablement changement vers un AOD quand l’INR est fluctuant.   Risque hémorragique sous AOD Le dabigatran, le rivaroxaban et l’apixaban ont tous les trois démontré une réduction significative des saignements intracrâniens comparativement à la warfarine. Leurs effets sur les autres types de saignements varient selon la molécule et la dose considérée. À l’heure actuelle, il n’existe pas de données publiées sur la performance des AOD chez un patient donné en fonction de son TTR individuel réel (par opposition à un TTR individuel prédit et non observé, ou un TTR par centre). On ne peut donc pas affirmer si le risque de saignement chez un patient bien équilibré par les AVK est diminué par un AOD. Aucun des scores de risque présentés ci-dessus n’a encore été validé dans une population sous AOD. En attendant cette validation, puisque les facteurs de risque hémorragique sous AOD sont très probablement les mêmes qu’avec les AVK (comme cela a déjà été démontré pour l’insuffisance rénale par exemple)(6), il apparaît cohérent de les utiliser également chez les patients sous AOD(5).   Conclusion   Le risque hémorragique sous anticoagulants peut modestement être estimé par plusieurs scores, dont le HAS-BLED, qui a été retenu dans les recommandations européennes. Un risque élevé ne doit pas constituer une contre-indication au traitement anticoagulant, mais inciter à corriger les facteurs de saignement réversibles.

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