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Cardiologie générale

Publié le 14 déc 2014Lecture 10 min

Le syndrome cardiorénal

E. THERVET, Service de néphrologie, Département Hypertension artérielle, Prévention et Prise en charge des affections rénales et cardiovasculaires, Hôpital européen Georges Pompidou, Université Paris Descartes

Le syndrome cardiorénal (SCR) est le terme générique par lequel sont définies les conditions où l’insuffisance de la fonction, soit du cœur, soit du rein, est responsable directement de l’insuffisance de l’autre organe ou de son évolution. Derrière cette définition relativement simple se cachent des situations hétérogènes, complexes. Toutes ces formes sont associées à une augmentation de la morbi-mortalité. Les dernières années ont permis de proposer une classification simple, de nouvelles pistes de compréhension pour la physiopathologie pouvant, à terme, aboutir à de nouvelles approches thérapeutiques. 

Il s’agit d’une situation fréquente même si son incidence précise est souvent difficile à évaluer. Ainsi, une insuffisance rénale aiguë peut être présente, selon le délai et la définition de l’augmentation de la créatinine, chez environ 21 % à 45 % des patients dont le motif d’hospitalisation était une insuffisance cardiaque décompensée(1). Chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque aiguë décompensée, une augmentation de la créatinine sérique de plus de 26,5 μmol/l (3 mg/l) est associée à une augmentation de la durée du séjour et de la mortalité accrue(2).   Une évolution des définitions   La définition du SCR a évolué au cours du temps. Si des classifications physiopathologiques ont leur intérêt, la classification clinique paraît plus adaptée en pratique. Cette définition fait intervenir à la fois le caractère temporel (aigu ou chronique) et l’organe dont l’insuffisance initiale va entraîner la défaillance de l’autre. Il est habituel de proposer quatre grandes catégories de syndrome cardiorénal (figure ci-dessous)(3). Classification des syndromes cardiorénaux (d’après(3)). Il faut dans un premier temps rappeler les définitions des atteintes rénales et de leur caractère aigu ou chronique. La limite acceptée pour différencier l’insuffisance rénale aiguë (IRA) d’une insuffisance rénale chronique (IRC) est de 3 mois. L’IRA est de plus en plus appelée « agression rénale aiguë » ou Acute Kidney Injury (AKI) pour les Anglo-Saxons. Elle définit un sous-groupe de maladies pour laquelle des changements de la fonction rénale évoluent en une semaine. La classification AKIN recommande d’exclure les patients présentant une insuffisance rénale résolutive après restauration de la volémie ou secondaire à une obstruction des voies urinaires. Il existe trois stades. Une élévation d’au moins 26 μmol/l de la créatininémie est la définition du stade 1 et les patients ayant recours à l’épuration extrarénale sont classés en stade 3. La quantification des variations de la créatininémie doit se faire sur deux prélèvements sanguins réalisés dans un délai de 48 heures(4). L’insuffisance rénale chronique se définit par une diminution du débit de filtration glomérulaire estimé par une formule inférieure à 60 ml/min/1,73 m2. La formule recommandée actuellement est la formule CKD-EPI, même si la formule MDRD peut être utilisée. Il existe une classification de la maladie rénale chronique en cinq stades qu’il convient de connaître (tableau 1)(5). Le syndrome cardiorénal aigu (SCR de type 1) Le SCR de type 1 (SCR 1) se définit comme une situation clinique d’une aggravation aiguë de la fonction cardiaque conduisant à une insuffisance rénale aiguë(3). Le SCR1 survient souvent rapidement après hospitalisation. Elle est fréquemment due à des facteurs iatrogènes qu’il faudra donc éviter dans la mesure du possible et rechercher en tout cas pour une meilleure analyse de la situation. Il peut s’agir par exemple d’un surdosage en diurétiques, d’une ou de plusieurs injections de produits de contraste iodés, etc.(6). Une insuffisance rénale chronique préexistante représente un facteur favorisant important et fréquent. En ce qui concerne l’insuffisance cardiaque, si tous les types d’insuffisance cardiaque peuvent être en cause, il s’agit le plus souvent d’un patient admis pour une insuffisance cardiaque chronique décompensée et développant une aggravation de la fonction rénale pendant l’hospitalisation. Il faut aussi noter les syndromes coronariens aigus qui sont une autre grande cause de SCR1.   Le syndrome cardiorénal chronique (SCR de type 2) Le SCR de type 2 (SCR 2) se caractérise également par une atteinte initiale de la fonction cardiaque mais cette fois-ci chronique qui va conduire à une insuffisance rénale chronique. Il s’agit d’une situation fréquente puisque environ 63 % des patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque ont un débit de filtration glomérulaire estimé (DFGe) inférieur à 60 ml/min/1,73 m2(7). Parmi les situations de maladie cardiaque chronique, on peut citer l’insuffisance cardiaque chronique, la fibrillation atriale, les cardiopathies ischémiques, les cardiopathies congénitales, en particulier les formes cyanogènes et la péricardite constrictive. La situation observée est une détérioration progressive de la fonction rénale chez un patient avec une insuffisance cardiaque chronique. Cette double atteinte va entraîner une augmentation du risque des complications des traitements (aggravation du DFGe et troubles électrolytiques). Une résistance aux diurétiques est également souvent observée, entraînant une prise en charge thérapeutique plus difficile(8). La diminution de la fonction rénale est donc un facteur prédictif important du mauvais pronostic de l’insuffisance cardiaque.   Le syndrome rénocardiaque aigu (SCR de type 3) Le SCR de type 3 (SCR 3) est le cas où une aggravation aiguë de la fonction rénale entraîne une dysfonction cardiaque aiguë. Les situations d’aggravation aiguë de la fonction rénale sont nombreuses et ce n’est pas le but de lister toutes ses causes. La prévalence du SCR3 est mal connue mais les insuffisances rénales aiguës (IRA) sont fréquentes en particulier chez les patients hospitalisés puisque certaines études rapportent 9 % d’IRA chez les patients hospitalisés, allant jusqu’à 35 % en unité de soins intensifs(9). L’IRA peut contribuer au développement d’une atteinte cardiaque pour de nombreuses raisons. On peut citer ici l’inflation hydrique menant à un œdème pulmonaire, l’hyperkaliémie responsable de troubles du rythme et l’acidose entraînant une vasoconstriction pulmonaire qui peut être responsable d’une insuffisance cardiaque droite. Une situation très spécifique mais qu’il faut savoir reconnaître est la sténose bilatérale des artères rénales (ou une sténose sur rein unique) responsable d’œdèmes aigus pulmonaires « flash » de pronostic parfois très défavorable.   Le syndrome rénocardiaque chronique (SCR de type 4) Le SCR de type 4 (SCR 4) se définit comme une anomalie chronique de la fonction rénale conduisant à la maladie cardiaque chronique. La coexistence d’une insuffisance rénale chronique et d’une maladie cardiaque chronique est une situation fréquente. Il est parfois difficile de savoir quel est l’organe touché en premier et les grands registres couplent souvent les SCR de type 2 (cf. supra) et les SCR de type 4. Il s’agit d’un patient atteint d’une maladie rénale chronique qui va contribuer à la survenue d’une diminution de la fonction cardiaque, d’une hypertrophie ventriculaire, d’une dysfonction diastolique et/ou à une augmentation du risque de survenue d’un événement cardiaque telle qu’une cardiopathie ischémique. Il s’agit d’une problématique importante de santé publique puisque l’incidence de la maladie rénale chronique ne cesse de croître dans le monde. On voit donc que cette définition est très large. L’incidence est mal connue. On peut noter que toute situation d’atteinte chronique rénale (même une simple microalbuminurie qui sort bien sûr du cadre des SCR) est un facteur de morbimortalité cardiovasculaire(10). La cause de décès pour les IRC de stade 5 est dans plus de 50 % des cas d’origine cardiovasculaire. Par exemple, la mortalité à 2 ans après infarctus du myocarde est de 50 % chez des patients présentant une insuffisance rénale chronique(11). Enfin, certains auteurs ont ajouté un syndrome cardiorénal de type 5 (SCR de type 5) ou syndrome cardiorénal secondaire chez lequel une affection systémique va entraîner un dysfonctionnement simultané du cœur et des reins, comme par exemple dans le cas de sepsis grave, de diabète, d’amylose, de lupus érythémateux disséminé ou de sarcoïdose.   Physiopathologie   Il est difficile dans le cadre de cette revue de donner une vision complète des hypothèses actuelles physiopathologiques. La vision traditionnelle est que la fonction rénale est due à une hypoperfusion rénale secondaire à une défaillance de la pompe cardiaque. Cette vision est actuellement considérée comme une simplification excessive. Plusieurs facteurs interviennent (revue in 12).   Mécanisme direct hémodynamique À côté de la conception classique (hypoperfusion rénale), de plus en plus d’éléments plaident en faveur du rôle majeur de l’élévation de la pression veineuse centrale. Il a été en effet montré qu’il pouvait exister un SCR chez des patients avec une fraction d’éjection ventriculaire gauche préservée. La congestion veineuse est considérée comme l’élément le plus important produisant d’une certaine manière un « rein cardiaque » comme existe le « foie cardiaque. » Pour étayer cette hypothèse, il faut rappeler des travaux qui ont prouvé qu’une augmentation de la pression intra-abdominale à plus de 8 mmHg est associée à une altération de la fonction rénale(13).   Mécanismes non hémodynamiques Il existe de nombreuses pistes parmi lesquelles on peut citer en particulier le rôle de médiateurs neurohormonaux et des mécanismes inflammatoires et oxydatifs. L’hyperactivité sympathique est un des mécanismes compensatoires négatifs qui a été mis en avant. Le système rénine-angiotensine joue aussi un rôle important. Le mécanisme est une vasoconstriction qui résulte en une augmentation de la surcharge cardiaque et une diminution du débit cardiaque. De plus, l’angiotensine II va entraîner la synthèse de cytokines proinflammatoires, réguler la prolifération cellulaire, la fibrose et l’apoptose(14). Elle va aussi induire une hypertrophie myocardique et vasculaire ainsi qu’une dysfonction endothéliale. Les récepteurs minéralocorticoïdes et l’aldostérone jouent également un rôle dans l’hypertrophie, la dilatation cardiaque et la dysfonction endothéliale. Les mécanismes inflammatoires et oxydatifs sont encore plus complexes avec une balance entre le monoxyde d’azote (NO), les espèces réactives de l’oxygène (ROS) et l’inflammation(15). Le NO et les ROS interviennent dans la balance sodée, l’hémodynamique systémique et rénale ainsi que pour la régulation de la fonction cardiaque. D’autres intervenants sont extrêmement étudiés en ce moment, et en particulier l’interleukine 6 qui pourrait jouer un rôle de connexion important entre le cœur et le rein(12). Enfin la place directe de la protéinurie, de l’anémie et de la carence martiale ainsi que les anomalies du métabolisme phosphocalcique et en particulier de la vitamine D et du FGF23, est avancée actuellement(16).   Prise en charge thérapeutique   Les prises en charge sont bien sûr différentes selon le type de SCR. Nous ne reprendrons ici que les grandes lignes des traitements des SCR de type 1 et de type 2. En effet, les SCR de type 4 se rapproche du type 2 et la prise en charge des SCR de type 3 est liée au traitement d’une insuffisance rénale aiguë et donc de sa cause. Enfin le traitement des SCR de type 5 (amylose ou autre) n’entre pas dans le cadre de cette revue. En cas de SCR de type 1, la prévention est primordiale. Il faut assurer un bon contrôle de la pression artérielle, avec l’utilisation des médicaments bloquant le système rénine-angiotensine-aldostérone, et des bêtabloqueurs. Il faut aussi corriger les facteurs de risque coronarien, respecter des règles hygiéno-diététiques et traiter rapidement les facteurs précipitants conjoncturels (infection, trouble du rythme, etc.). En ce qui concerne la prise en charge thérapeutique, en l’absence de consensus, il faut privilégier une stricte gestion des fluides et une bonne oxygénation périphérique. L’utilisation des diurétiques de l’anse est primordiale pour assurer la déplétion du volume extracellulaire à une vitesse inférieure à celle qui permet le remplissage depuis l’interstitium vers le compartiment intravasculaire. Enfin, la place des traitements vasodilatateurs tels que les dérivés nitrés est importante également. Les autres traitements (nitroprussiate de sodium ou le nésiritide) peuvent être discutés. Dans certains cas, en particulier en cas de résistance aux diurétiques, une ultrafiltration extracorporelle peut permettre une correction de la balance hydrosée. Cependant les preuves scientifiques de l’intérêt de cette prise en charge restent pour le moins limitées, voire absentes ou négatives(17). En cas de choc cardiogénique, il convient d’utiliser des traitements pour augmenter le débit cardiaque et restaurer le flux sanguin rénal (dobutamine ou dopamine)(18). D’autres traitements, comme les inhibiteurs de phosphodiestérase, la milrinone et le lévosimendan, peuvent être utilisés même si leur rapport efficacité/tolérance reste à démontrer. En cas de SCR de type 2 (chronique), le traitement préventif est extrêmement important. Il faut utiliser les traitements démontrés pour améliorer l’insuffisance cardiaque (bloqueurs du système rénine-angiotensinealdostérone, bêtabloqueurs, vasodilatateurs et resynchronisation cardiaque). Il faut aussi insister sur l’importance de la gestion optimale de la rétention hydrosodée (régime sans sel, diurétiques). L’hypertension artérielle comme l’hypotension sont des facteurs de risque de SCR2. Malheureusement, la pression artérielle optimale chez l’insuffisant cardiaque chronique n’est pas clairement définie. Enfin, il faut éviter les facteurs d’aggravation de type néphrotoxiques (anti-inflammatoires non stéroïdiens, produits de contraste iodés, etc.). D’autres éléments ne doivent pas être oubliés, tels que le correction de l’anémie. En pratique   Même si le concept d’atteinte double, cardiaque et rénale, est familier, cette entité a pris depuis quelques années une dimension nouvelle. Les définitions et les classifications ont été précisées, la physiopathologie est mieux comprise. Ceci a abouti à une modification de la prise en charge tant sur le plan diagnostique, que sur le plan thérapeutique. Les biomarqueurs nouvellement décrits pourront sans doute permettre un suivi plus précis en le personnalisant. Nous n’avons pas pu traiter cet aspect dans le cadre de cette revue. 

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