Cardiologie générale
Publié le 31 déc 2014Lecture 7 min
Les biostatisticiens nous affirment que la métaanalyse, c'est-à-dire le regroupement et l'analyse statistique de données statistiques, se situe au sommet de la pyramide des preuves amenées par les études cliniques. Actuellement en médecine, on peut constater que ce sont ces données qui façonnent notre pratique, et qu'elles seules possèdent cette propriété, à l'exclusion de toute autre méthode. Cette « exclusivité » confère donc à cette méthode un caractère absolu. On peut ainsi l'appliquer à tout ce qui concerne la médecine ; les résultats obtenus possèdent en outre un caractère d'évidence. Un tel mode de pensée, qui concerne l'absolu et l'évidence ou l'indiscutable, présente les mêmes caractéristiques qu'une pensée divine ! Ce qui ne lasse pas de surprendre de la part de scientifiques.
Cet article se propose de montrer qu'outre la méthode utilisée ne reste finalement qu'une méthode, son utilisation systématique peut constituer un frein à l'évolution de la science.
Des références historiques vont être évoquées, ce qui implique quelques définitions • L’empirisme est actuellement défini par opposition au déterminisme : telle attitude thérapeutique est considérée comme empirique car prenant sa source dans une habitude ou dans l’expérience et ce, sans connaître la raison de l’efficacité du traitement entrepris. • Jusqu’au vingtième siècle, une science empirique était synonyme de science expérimentale, car concernant des faits concrets, par opposition à d’autres sciences telle que la philosophie. • Causalité et nécessité reflètent la même chose, vue sous un angle différent : les causes (ou déterminants) du débit cardiaque sont la fréquence cardiaque et le volume d’éjection systolique. Le débit cardiaque suppose nécessairement fréquence et volume d’éjection systolique. En appliquant la méthode statistique comme « outil » de vérité, nous mettons en pratique la philosophie de Hume que l’on peut exposer de la manière suivante : L’origine de nos idées vient de ce que l’on peut observer dans la nature. Par exemple, l’effet Doppler ou transmission d’ondes peut être assimilée à des vagues produites à la surface de l’eau après la chute d’une pierre. Les liaisons (ou connexions) entre ces idées sont de trois ordres : la contiguïté, la simultanéité, et la plus forte des trois : la causalité. Cette causalité, ou connexion nécessaire, ne vient nullement de notre raison, de nos raisonnements, mais uniquement de l’habitude créée par la répétition d’un phénomène, d’un fait. Si je suis sûr que le soleil se lèvera demain, ce n’est nullement par la connaissance des lois de Newton et encore moins de celles d’Einstein, c’est uniquement par l’habitude. L’expérience, selon Hume, c’est-à-dire la confrontation à la répétition du même fait, va entraîner la plus ou moins grande conviction et par là, la certitude sur la survenue et les conditions de survenue de ce fait dans l’avenir. Hume s’interroge sur l’origine de nos connaissances. Il situe dans l’esprit, et non dans les choses, le lien de nécessité. Claude Bernard précisera ce qu’il entend par « les faits ». « C’est un fait, un fait brut, répète-t-on souvent, il n’y a pas à raisonner, il faut s’y soumettre » (on pense naturellement à ces grandes études de morbimortalité dans lesquelles le raisonnement est remplacé par le dénombrement). « Je pense que la croyance aveugle dans le fait qui prétend faire taire toute raison est aussi dangereuse pour les sciences expérimentales que les croyances de sentiment ou de foi qui elles aussi, imposent silence à la raison. » Selon Claude Bernard, le fait n’existe pas en soi, il n’existe que des interprétations ou des hypothèses. La méthode expérimentale va précisément consister à vérifier ce fait selon le « critérium » simple qu’est le raisonnement. La raison est basée sur un déterminisme absolu qui régit toute chose. La vérification expérimentale d’une hypothèse scientifique consiste à répéter le phénomène dans des conditions identiques, le résultat sera alors le même. La seule preuve qu’un phénomène joue le rôle de cause par rapport à un autre, c’est qu’en supprimant le premier on fait cesser le second. Critique On peut constater qu’il existe des analogies chez les philosophes précédemment cités : ils situent tous deux les faits dans la pensée et non dans les choses, le premier les comptabilise, le second les analyse. La méthode qu’ils utilisent est similaire, à savoir la répétition d’un même phénomène. La critique du déterminisme a déjà été menée, notamment sur la raison : celle-ci repose sur la relation de cause à effet mais « il nous a été donné de connaître le comment, mais pas le pourquoi ». Le déterminisme (ou cause prochaine ou déterminante des phénomènes), est selon Claude Bernard absolu mais son domaine d’application ne l’est pas ! Donc, il n’est pas absolu. Le principe de cause à effet représente un principe qui se contredit lui-même : la cause est elle-même un effet qui suppose une autre cause, et ainsi indéfiniment de telle sorte que l’on ne trouve jamais de cause suffisamment déterminée a priori. Le raisonnement n’est donc qu’un moyen qui ne possède aucun caractère d’absolu, mais qui peut nous être utile. Ce même déterminisme occupé à « descendre » dans le phénomène, pour l’expliciter, ne verra pas le pluralisme d’une cause tels les facteurs de risque mis en évidence par l’épidémiologie via les statistiques. Pour autant, faire de ces statistiques la base de toute la médecine, c’est réhabiliter les « faits » que l’on comptabilise, faits qui, comme on l’a vu, se situent dans notre pensée, c’est donc prendre notre pensée pour la réalité. Heisenberg fut l’un des « promoteurs » de l’application pratique des statistiques en physique quantique. Critiquant les philosophes empiriques, il déclara que prendre nos perceptions pour la réalité ne nous mènerait pas loin dans le domaine scientifique. Plus encore, mettre en pratique la philosophie de Hume signifierait la fin de toute science empirique (!), entendant par là science appliquée. Ce qui emporte notre conviction, à nous autres médecins, c’est en fait la « méthode » utilisée, une méthode issue des mathématiques, ce qui nous rapproche d’une science dite « exacte ». Si nous étions cohérents, nous adopterions l’ensemble de la philosophie de Hume, qui distinguait deux types de vérités : - les vérités mathématiques que l’on peut toujours démontrer, car reposant sur des axiomes, qui eux sont indémontrables, et n’admettent pas la contradiction, sinon l’édifice s’écroule ; - les vérités de faits, qui elles, admettent toujours leur contraire. « Le contraire d’un fait quelconque est toujours possible, car il n’implique pas contradiction, et l’esprit le conçoit aussi facilement et distinctement que s’il concordait pleinement avec la réalité : le soleil ne se lèvera pas demain, cette proposition n’est pas moins intelligible et elle n’implique pas plus contradiction que l’affirmation : il se lèvera ». Ceci signifie qu’il ne faut pas confondre la précision d’un calcul et la pertinence de l’hypothèse mesurée par ce calcul. Buffon arrivait « à ces conclusions qu’il y avait 74 832 ans que la terre avait été détachée du soleil par le choc d’une comète, et que dans 93 291 années elle serait tellement refroidie que la vie n’y serait plus possible », la précision du calcul, qui est peut être juste si l’on admet l’hypothèse de départ, ne vient nullement conforter celle-ci. En fait, toute la difficulté réside en cela qu’il faut réfléchir pour mesurer et non pas mesurer pour réfléchir. Conclusion En médecine, comme dans toute science, nous utilisons des méthodes. Il s'avère que même la Raison tant glorifiée par Claude Bernard n'est qu'une méthode, un moyen, comme les statistiques qui occupent actuellement le haut du pavé. Par définition, toute méthode possède ses limites. Les statistiques ne mettent en évidence que « le plus grand nombre de ». Si d'aventure on l'appliquait à la pensée humaine, découvrirait-on par là quelque vérité autre ? Ou trouverait-on plutôt la pensée commune au plus grand nombre ? Pour en savoir plus Hume D. Enquête sur l’entendement humain. Éd. GF Flammarion, 2006. Bernard C. Introduction à l’étude de la médecine expérimentale. Éd. Flammarion, 2008. Heisenberg W. Physique et philosophie. Éd. Albin Michel, 1971.
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