Congrès et symposiums
Publié le 14 mar 2015Lecture 9 min
Les outils disponibles pour améliorer le contrôle tensionnel
C. MOUNIER-VÉHIER, Médecine vasculaire et HTA, Centre d’excellence européen d’hypertension artérielle, CHRU de Lille
JESFC
À l’occasion des Journées européennes de la Société française de cardiologie, ont été abordés les points clés d’amélioration du contrôle tensionnel en France :
- la nécessité d’assurer une veille épidémiologique de l’HTA avec l’enquête nationale Flash 2014, pour évaluer l’impact des recommandations sur les prises en charge ;
- la prise en compte plus systématique par le praticien des 4 facteurs clés du contrôle tensionnel : observance, persistance, non-adhésion et inertie thérapeutique ;
- l’élaboration de recommandations simplifiées et accessibles pour tous ;
- la mise en œuvre d’une consultation d’information et d’annonce ;
- le dialogue avec le patient et la négociation ;
- un traitement personnalisé, simplifié et réévalué ;
- l’accompagnement du patient avec un travail motivationnel.
L’hypertension artérielle est une pathologie très fréquente avec 15 millions d’hypertendus en France. Parmi eux, 20 % des hypertendus connus ne sont pas traités. Bernard Vaïsse (Marseille), président du Comité français de lutte contre l’hypertension artérielle (CFLHTA), a mis en exergue les messages forts de la dernière enquête Flash (French League Against Hypertension Survey ; www.comitehta.org). Cette enquête souligne la persistance d’une inertie thérapeutique, malgré une large diffusion de la brochure « Objectifs 2015 » parue en janvier 2012. L’analyse des hypertendus traités entre 2004 et 2014 souligne que le contrôle tensionnel stagne à 50 % contre les 70 % initialement visés. Les antagonistes des récepteurs à l’angiotensine 2 restent en tête des prescriptions suivis de près par les bêtabloquants. Les plurithérapies sont encore insuffisantes avec seulement 36 % des prescriptions comportant deux familles d’antihypertenseurs (avec un peu plus de combinaisons avec calcium- bloqueurs en 2014). L’observance avoisine toujours les 50 % de patients ! Il est nécessaire de poursuivre nos efforts en sensibilisant le grand public par les médias et par des campagnes à thème du CFLHTA (« Quand l’hypertension fait perdre la tête », en 2014) tout en rationalisant nos pratiques.
L’épidémiologie du risque cardiovasculaire (CV) nous amène à réfléchir aux facteurs d’observance et de persistance côté patient et à l’inertie thérapeutique côté médecin. La prise en compte des attentes du patient, de son environnement, de l’acceptation de sa maladie, l’explication claire du traitement, la recherche d’éventuels effets indésirables, le dépistage de la mauvaise observance et la connaissance des médecins sont autant de facteurs qui peuvent agir positivement sur la persistance. Nous devons tenir compte de tous ces éléments dès l’initiation du traitement. L’inobservance et l’inertie thérapeutique sont des causes inacceptables d’accidents CV alors que nous disposons de stratégies thérapeutiques efficaces et bien codifiées dans nos recommandations(1,2).
Observance du patient et inertie médicale : facteurs clés du contrôle tensionnel
L’observance correspond au degré de concordance entre l’attitude du patient et les prescriptions qui lui sont faites. L’observance diminue avec le temps entre deux consultations, d’où la nécessité de rapprocher les visites chez les patients polymédicamentés. L’adhésion thérapeutique implique une participation active du patient dans sa prise en charge. Elle est une composante essentielle du contrôle tensionnel. De l’observance découle la persistance. Elle correspond à la durée pendant laquelle le patient continue à prendre son traitement en accord avec la durée et la prescription(1,3). La persistance s’exprime en pourcentage de patients qui restent avec le même traitement, 50 % des abandons de traitement pour l’HTA auront lieu pendant les 3 premiers mois (enquête Flash 2012 sur www.comitehta.org). La persistance commence par la « non-adhésion au traitement ».
Environ 20 % des patients ne vont pas chercher leur premier traitement. Ensuite se pose la question de la non-observance. L’efficacité du traitement et sa tolérance dans les premiers mois sont des facteurs clés de persistance(4). La famille d’antihypertenseurs et le nombre de prises médicamenteuses agissent aussi sur la persistance(5). D’autres facteurs d’observance dépendent de la relation médecinpatient ou du patient lui-même (âge, sexe masculin, faible niveau socio-économique et intellectuel, croyances du patient, acceptation par l’entourage et couverture sociale). Il est nécessaire d’évaluer plus systématiquement l’observance lors de chaque renouvellement d’ordonnance en utilisant le questionnaire de Girerd. Ce questionnaire permet de définir trois profils d’observance ; « bonne observance = 0 oui », « minimes problèmes d’observance = 1-2 oui », et « mauvaise observance = ≥ 3 oui ». La Société française d’HTA (SFHTA) recommande de réaliser aussi le MMSE (Mini Mental State Examination) chez tout patient de plus de 70 ans pour détecter d’éventuels troubles de la mémoire, cause fréquente d’inobservance(6). L’enquête Flash 2014 révèle ainsi que 15 % des hypertendus traités et contrôlés ont des troubles de la mémoire, 20 % des hypertendus traités non contrôlés (www.comitehta.org). À ce problème d’observance s’associe souvent l’inertie thérapeutique, définie comme l’absence d’augmentation ou de modification du traitement antihypertenseur chez un patient non contrôlé en consultation (PA ≥ 140/90 mmHg)(7,8).
Proposer des recommandations accessibles pour tous
Pour optimiser le contrôle tensionnel, la SFHTA a proposé en 2012 des recommandations simplifiées de prise en charge de l’HTA de l’adulte, destinées aux professionnels de santé et aux patients(6). Elle propose « les rendez- vous de l’hypertendu » avec : la phase initiale avant de débuter un traitement ; le plan de soins pour les 6 premiers mois et le plan de soins à long terme. Elle souligne la nécessité d’une consultation mensuelle jusqu’à l’obtention du contrôle tensionnel (PA < 140/90 mmHg). Ce calendrier a pour objectif de réduire l’inertie médicale pour obtenir un contrôle tensionnel en 6 mois.
Favoriser le dialogue avec son patient : la consultation d’information et d’annonce
L’originalité des recommandations françaises est d’avoir réfléchi à la mise en place d’une consultation d’information et d’annonce, outil clinique, pour renforcer l’observance du patient. Celle-ci repose sur 4 éléments : la relation médecin-patient, la discussion, la négociation et l’explication de la maladie et de ses traitements(6). Thierry Denolle (Dinard) a souligné les points clés de cette consultation « dédiée » avec des objectifs ciblés :
- définir l’hypertension artérielle ;
- expliquer son origine et ses conséquences ;
- expliquer la réversibilité du risque attribuable ;
- expliquer les différents moyens et schémas thérapeutiques ;
- expliquer les objectifs du traitement à mener au long cours, soulignant la notion de temporalité de la prise en charge ;
- expliquer les avantages et les inconvénients du traitement, s’inscrivant bien dans une balance décisionnelle avec un véritable regard croisé médecin-patient.
La consultation d’annonce doit être personnalisée à chaque patient, en tenant compte de son âge, de son contexte clinique, de son environnement familial et professionnel. La situation est différente chez un sujet jeune, une femme enceinte, un sujet âgé, un sujet en prévention primaire ou en prévention secondaire. La durée de cette consultation va dépendre du contexte clinique. Elle sera plus longue (au minimum 30 minutes) chez un sujet jeune asymptomatique qui n’aura qu’une HTA à traiter. Elle doit se faire sur un temps séparé d’une consultation usuelle. En prévention secondaire, après l’accident aigu qui fait basculer le patient dans une situation à haut risque de récidive, il est utile d’associer un accompagnement psychologique car ces patients présentent souvent une note anxiodépressive. L’isolement social dans lequel ils se retrouvent plongés brutalement, la dépendance vis-à-vis de l’entourage, le suivi médical plus intensif participent de ce syndrome anxio-dépressif. La rééducation pourra être un temps fort pour ces patients pour se retrouver dans un groupe identitaire avec un projet positif de remise en condition physique de « normalité ». Il s’agira, dans ce contexte, de consultations d’information plus courtes : 15 minutes en moyenne par petites touches répétées sur la semaine. La consultation d’annonce pourrait s’enrichir d’un questionnaire sur le risque de « non-adhésion », en utilisant, par exemple, le BMQ (Beliefs about Medicines Questionnaire) traduit en français. Détecter la non-adhésion et tenter de l’améliorer sont des tâches difficiles. L’adhésion à un traitement prescrit ne résulte pas d’un simple processus de conformité (observance ou obéissance) du patient aux prescriptions. L’adoption (ou pas) de comportements durables de santé résulte d’une interaction entre plusieurs facteurs liés au patient, liés à la maladie et à son traitement, liés à l’entourage et aux soignants(2,3). Un questionnaire avec 18 items, le BMQ, développé par Horne(9), permet d’évaluer les représentations des médicaments et l’importance que les patients attribuent à leur traitement. La première partie, le BMQ général (8 items), évalue les croyances que les patients développent sur la médecine en générale. La seconde partie, le BMQ spécifique (10 items), mesure les représentations que les patients formulent par rapport à leur prescription.
Des outils thérapeutiques pour améliorer l’adhésion du patient
Rationaliser la stratégie thérapeutique
La SFHTA recommande de bien choisir le premier traitement, en tenant compte du rapport efficacité/durée d’action longue/tolérance/persistance(6). Par ordre de fréquence, les ARAII et les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (70 % de persistance à 4 ans), les calcium-bloqueurs (60 %), les bêtabloquants (50 %), les diurétiques thiazidiques, les antialdostérones (20 % de persistance à 4 ans)(10). Pour favoriser la persistance et déjouer l’inertie thérapeutique, la SFHTA préconise de respecter la séquence monothérapie, puis bithérapie fixe en titrant les dosages, enfin trithérapie, par paliers de 4 semaines, en s’appuyant sur l’automesure et la mesure de pression artérielle sur 24 heures(6). En dehors de toute comorbidité, la trithérapie comportera une bithérapie fixe (bloqueur du système rénine-angiotensine et dihydropyridine) et un diurétique thiazidique. Le traitement sera à adapter en fonction de la consommation sodée, des événements intercurrents (chaleur, anesthésie, fièvre) et de l’âge (prudence chez le sujet de plus de 80 ans).
Travailler la motivation du patient
Le bénéfice du travail motivationnel (encore qualifié par certains de « coaching ») chez l’hypertendu est important à souligner, faisant intervenir le médecin, la diététicienne, les infirmières spécialisées, le pharmacien, etc.(11). Ce travail fait partie intégrante des programmes d’éducation thérapeutique. Ceux-ci se déploient principalement aujourd’hui dans des centres de réadaptation, faute de moyens financiers pour pérenniser les programmes ambulatoires en ville. Il est important de savoir aussi que, si la cognition n’intervient pas dans la motivation du patient, elle intervient par contre dans la balance décisionnelle. Cédric Lemogne (psychiatre, Paris), rappelle que l’information doit être réellement partagée entre le patient et son médecin. Les éléments « négatifs » que le médecin doit connaître et qui interviennent dans la balance décisionnelle sont les risques du traitement, le coût du changement avec notamment le risque d’effets secondaires et les « bénéfices » de l’absence de changement (en d’autres termes, « qu’est-ce que je gagne, moi patient, à me traiter alors que je ne ressens aucun symptôme et que mon hypertension est de découverte fortuite ? »). Le médecin doit prendre le temps d’explorer la notion du bénéfice de l’absence de changement. Expliquer au patient le bénéfice concret du traitement et s’impliquer dans le travail motivationnel sous-tend que le médecin connaît bien son patient, son environnement, ses contraintes, ses objectifs et qu’il va prendre le temps nécessaire pour arriver à contrôler durablement son hypertension. L’objectif du travail motivationnel est aussi de réduire l’état émotionnel négatif perçu par le patient et le déni de la maladie.
Le déni sous-tend que l’information « quitte l’esprit » du patient et qu’il ne prend pas ou plus en compte les risques objectifs liés à son absence de prise en charge. Si le patient est dans le refus ou le déni, il est préférable de le laisser réfléchir et de lui proposer un nouveau rendez-vous un mois plus tard avec, par exemple, un relevé d’automesure tensionnelle. Il est nécessaire que le patient fasse le deuil de son « immortalité » et de la bonne santé. Les motivations entre le patient et le médecin peuvent donc jouer le grand écart. Pour le soignant, le « bien suprême » c’est la santé. Pour le patient, « à quoi bon être en bonne santé si je perds autre chose, par exemple, vivre libre sans traitement quotidien ». Pour un jeune patient hypertendu asymptomatique, les contraintes de la prise en charge sont certaines et immédiates alors que les bénéfices sur la morbi-mortalité CV seront lointains et différés. Le travail motivationnel sera là d’autant plus important à faire car l’être humain est capable de se motiver en stimulant son instinct de « survie ». Plus le patient sera motivé, plus il pourra surpasser le sentiment de frustration lié à la contrainte de son HTA. Certaines personnes seront capables de se frustrer devant une situation, par exemple « ne pas saler ses plats », en pensant à la récompense à long terme : « Je serai en bonne santé plus longtemps avec moins de traitement ». Pour que le patient puisse abandonner des « renforçateurs immédiats », comme « saler à table », pour prendre des renforçateurs différés, « je veux profiter de ma retraite », le soignant doit comprendre les attentes de son patient et les accompagner.
Le coaching téléphonique, la réadaptation CV, un club Cœur et Santé (www.fedecardio.org) peuvent être des outils utiles pour aider le patient à choisir des « renforçateurs différés » et maintenir dans le temps son adhésion au projet de soins.
Simplifier les recommandations, lutter contre l’inertie médicale, prendre le temps de travailler la motivation avec son patient, s’appuyer sur des structures relais en rééducation et éducation thérapeutique sont autant d’outils disponibles pour améliorer, dès à présent, le contrôle tensionnel en France.
D’après B. Vaïsse, T. Denolle et C. Lemogne lors d’un symposium avec le concours de Daiichi-Sankyo JESFC, 14-17 janvier 2015, Paris
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