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Vasculaire

Publié le 14 juin 2015Lecture 8 min

AVC chez un patient anticoagulé : que faire ?

D. CIOCANU, E. TOUZÉ, Université Caen Basse-Normandie, Inserm 919, CHU Côte de Nacre, Caen

Nous traiterons ici de la prise en charge d’un accident ischémique cérébral chez un patient en fibrillation atriale sous traitement anticoagulant. De nombreux essais et métaanalyses ont clairement démontré le bénéfice du traitement anticoagulant oral dans la fibrillation atriale (FA), réduisant le risque d’accident ischémique cérébral (AIC) de deux tiers, tant en prévention primaire que secondaire(1,2). Cependant, certains patients présentent un événement embolique malgré un traitement anticoagulant efficace. L’arrivée sur le marché des anticoagulants oraux directs (AOD) ne va pas tellement modifier ce risque, car ils ont une efficacité équivalente ou légèrement supérieure à celle des anti-vitamine K (AVK) en termes de prévention des AIC. La prise en charge de l’AIC sous anticoagulant n’est pas abordée dans la plupart des recommandations internationales, d’où l’intérêt de connaître les causes et les mécanismes de ces événements ischémiques pour guider la prise en charge thérapeutique.

Risque d’accident ischémique cérébral sous anticoagulant oral   Il est important de prendre certaines précautions pour l’interprétation des risques d’AIC sous anticoagulant rapportés dans les essais cliniques. D’abord, dans la plupart des essais, c’est le risque global d’accident vasculaire cérébral (AVC) qui est le plus souvent rapporté, regroupant les AIC et les AVC hémorragiques. Ensuite, il faut distinguer les premiers événements ischémiques des événements récidivants. Les patients en FA ayant un antécédent d’AIC ont un risque majeur de récidive, environ le double de celui de premier événement. Le tableau 1 résume les taux d’AVC et d’AIC dans les essais RELY, ROCKET-AF, et ARISTOTLE en fonction d’un antécédent d’AIC ou d’AIT(3-8). Le risque d’AVC sous anticoagulant oral (warfarine ou anticoagulant direct) chez les patients sans antécédent d’AIC/AIT va de 0,8 à 1,7 % par an, alors qu’il va de 1,9 à 3,2 % chez ceux ayant un antécédent d’AIC/AIT. Le risque d’AIC va de 0,7 à 1,3 % par an chez les patients sans antécédent d’AIC/AIT et de 1,8 à 2,3 % par an chez ceux ayant un antécédent d’AIC/AIT. Causes et mécanismes des AIC sous anticoagulant oral   Les causes des AIC sous anticoagulant oral sont variées et incluent les fluctuations thérapeutiques, une efficacité insuffisante malgré un traitement anticoagulant bien conduit ou tout simplement un mécanisme non cardio-embolique.   Fluctuations thérapeutiques Malgré l’utilisation répandue des AVK, on estime que moins de 50 % des INR sont dans la fourchette thérapeutique et que pratiquement 40 % sont en dessous de 2,0(9). Les causes de ces fluctuations ont été largement décrites dans les essais cliniques, comme l’interaction alimentaire et médicamenteuse, et la variabilité de la réponse biologique. Il s’agit d’un facteur de risque documenté d’AIC(10). Plusieurs études menées chez les patients en FA ayant présenté un AIC ont évalué la qualité de l’anticoagulation, montrant une proportion un peu supérieure à 50 % des patients avec un INR < 2,0 à l’admission, dans certaines études cette proportion allait de 27 à 93 % (tableau 2). Les AOD sont caractérisés par un effet anticoagulant stable et immédiat, ne nécessitant pas une surveillance régulière de l’hémostase, ne présentant pas d’interaction alimentaire. Actuellement, on ne sait pas s’il peut y avoir des fluctuations de l’efficacité des AOD et l’intérêt des dosages n’est pas connu. Au mieux, ces dosages peuvent aider à vérifier que le patient n’a pas interrompu le traitement. Causes alternatives Toutes les ischémies cérébrales (IC) chez les malades en FA n’ont pas une origine cardioembolique. Un tiers des malades en FA présente aussi des facteurs de risque d’athérosclérose ou de maladie de petites artères. Ceci est particulièrement vrai chez les personnes âgées. Ainsi il est très important chez un patient en FA qui a fait un IC de réaliser une exploration artérielle à la recherche d’une sténose carotidienne qui impliquera une prise en charge spécifique. De même, chez un patient ayant une hypertension artérielle mal équilibrée, la survenue d’un petit infarctus profond sera plus facilement attribuée à une maladie des petites artères, même si le diagnostic de certitude est toujours difficile. Identifier une autre cause d’AIC peut donc avoir des conséquences thérapeutiques (chirurgie carotidienne, renforcement du contrôle des facteurs de risque, etc.) et dans ce cas le traitement anticoagulant n’a pas lieu d’être modifié.   Cause non identifiée Nombreux sont les patients qui présentent un AIC alors que le traitement anticoagulant a été bien conduit, en l’absence de toute fluctuation thérapeutique et de cause alternative. Il est possible que le traitement soit inefficace en raison d’un facteur surajouté pendant une période de temps, ou qu’une fluctuation thérapeutique soit passée inaperçue, en l’absence de dosage au moment de la fluctuation.   Conduite thérapeutique   La prise en charge d’un AIC sous anticoagulant n’est pas bien codifiée et dépend du mécanisme supposé. En cas de fluctuations thérapeutiques documentées, il est possible de reprendre l’éducation thérapeutique du patient sous AVK, ou de changer de molécule, en utilisant une AVK avec une demi-vie plus longue. Une autre possibilité est de remplacer l’AVK par un AOD. L’étude RE-LY, comparant le dabigatran à la warfarine a clairement montré que l’avantage du dabigatran 150 mg dans la prévention des AIC ou embolies systémiques était directement lié à la performance du contrôle du traitement par AVK, avec une nette supériorité du dabigatran 150 mg dans les centres avec un faible contrôle(18). Dans l’étude ARISTOTLE, la supériorité de l’apixaban par rapport à la warfarine pour la prévention des AVC était identique dans tous les centres, quel que soit le niveau de contrôle de l’INR(19). Cependant, les résultats concernant les AIC ne sont pas rapportés séparément dans cette analyse secondaire. Il en est de même dans l’étude ROCKET-AF(20). Si une autre cause telle qu’une sténose carotidienne, une maladie des petites artères ou une autre cause plus rare est à l’origine d’AIC, le traitement sera adapté à la cause (intensification du traitement des facteurs de risque vasculaires, chirurgie en cas de sténose carotidienne), sans forcément modifier le traitement anticoagulant préexistant. En l’absence d’une autre cause évidente, le médecin est plus facilement tenté de renforcer le traitement antithrombotique, soit en augmentant l’INR cible, soit en rajoutant de l’aspirine. Dans le cas d’une augmentation de la cible d’INR, des essais thérapeutiques ont montré une augmentation linéaire du risque hémorragique avec l’INR, sans véritable bénéfice clinique. Dans une métaanalyse de 10 études randomisées, l’association aspirine/AVK s’est avérée supérieure aux AVK seuls pour la prévention des événements artériels (AVC, AIT, infarctus du myocarde, angor, embolie systémique) (6,3 vs 8,8 % ; OR = 0,66 ; intervalle de confiance à 95 % : 0,52-0,84), mais avec une augmentation des événements hémorragiques majeurs (3,8 vs 2,8 % ; OR = 1,43 ; IC95 % : 1,00-1,42)(21). De plus, il s’agissait essentiellement d’études chez des patients porteurs de valves mécaniques et aucun bénéfice n’a été observé chez les malades ayant une FA non valvulaire (OR = 0,98 ; IC95 % ; 0,77-1,25) (figure). Par ailleurs, plusieurs études observationnelles ont montré que l’adjonction d’aspirine à un traitement anticoagulant oral augmente le risque de complications hémorragiques graves(22). Ainsi, ces études ne permettent pas de répondre spécifiquement à la question de la survenue d’un AIC sous anticoagulant. Métaanalyse des études ayant comparé aspirine + AVK versus AVK (Dentali F et al.)(21).   Une autre option est d’utiliser un AOD. Une métaanalyse a montré que les AOD sont associés à une réduction non significative du risque d’AIC (OR = 0,92 ; IC95 % : 0,83-1,02)(23). Mais, tous les AOD n’ont pas les mêmes caractéristiques. Le risque d’AIC est significativement réduit seulement avec le dabigatran 150 mg (réduction relative de 24 %)(3) et il est augmenté de 48 % avec l’edoxaban 30 mg(24). Plusieurs analyses secondaires ont été menées avec le dabigatran, le rivaroxaban, et l’apixaban chez les patients ayant un antécédent d’IC ou d’AIT, mais les résultats étaient identiques à ceux observés dans l’ensemble de la population, sans aucune hétérogénéité(4,5,7). La supériorité du dabigatran 150 mg sur la warfarine pour la prévention des AIC n’existe que chez les patients sans antécédent d’AIC/AIT. Une dernière option est la fermeture percutanée par voie fémorale de l’appendice auriculaire. Plusieurs études ont été menées sur les dispositifs PLATOO, WATCHMAN et ACP. Un total de 1 298 patients a été traité avec le dispositif WATCHMAN dans 3 études (PROTECTAF(23), CAP(25), PREVAIL(26)). Dans l’étude randomisée PROTECTAF, un suivi de 2 621 patients-années a montré une supériorité statistique sur le critère principal d’efficacité (AVC hémorragique et ischémique, décès d’origine cardiovasculaire ou inexpliquée et embolie systémique) du groupe WATCHMAN par rapport au groupe contrôle. Après un suivi moyen de 3,8 ans, le nombre d’événements était respectivement de 2,3 versus 3,8 pour 100 patientsannées (PA) dans le groupe WATCHMAN et le groupe contrôle traité par warfarine. Cette différence était notamment due à un plus faible taux d’AVC hémorragique (0,2 versus 1,1 pour 100 PA), alors que le taux d’AIC était légèrement supérieur (1,4 versus 1,1 pour 100 PA). Les analyses en intention de traiter et en per-protocole atteignaient les seuils de non-infériorité et de supériorité à chaque point de suivi, avec une diminution relative du risque entre 50 et 60 % (tableau 3)(23). L’étude PREVAIL a comparé le dispositif WATCHMAN à la warfarine chez des patients ayant un score CHADS2 ≥ 2. Après un suivi moyen de 11,8 mois des 407 patients inclus, le taux d’AVC (ischémique ou hémorragique), embolie systémique, ou décès vasculaire était identique dans les 2 groupes (RR = 1,07 ; 0,57- 1,89), avec une non-infériorité établie puisque la borne supérieure de l’intervalle de confiance avait été fixée à 1,75. Cependant, si l’on regarde spécifiquement les AIC, le taux était de 1,9 % dans le groupe WATCHMAN contre 0,7 % dans le groupe warfarine, ne suggérant donc pas une supériorité du dispositif par rapport aux anticoagulants. Le taux assez élevé d’effusion péricardique observé dans PROTECT-AF n’a pas été observé dans PREVAIL et le taux d’AIC périopératoire était de 0,4 % contre 1,1 % dans PROTEC- AF. Dans le registre CAP, comme dans PREVAIL, les centres avaient tous acquis une expérience de l’implantation du dispositif et les taux d’implantation ont été améliorés pour atteindre 95 %(26). La fermeture de l’appendice auriculaire pourrait donc être au moins aussi efficace que les anticoagulants pour la prévention des AVC, avec un risque de complications per-procédure, qui semble s’améliorer avec l’expérience(25). La HAS a toutefois jugé que la fermeture de l’appendice aur iculai re ne constituait pas une alternative à la warfarine. Cette procédure doit réservée aux patients en FA non valvulaire à haut risque thromboembolique (score CHA2DS2-VASc ≥ 4) avec une contre-indication formelle et permanente aux anticoagulants(27). Cependant, cette procédure mériterait d’être évaluée aussi chez les patients ayant présenté un événement embolique sous anticoagulant, compte tenu de la fréquence de cette situation en pratique.      En pratique   La survenue d’un AIC chez un patient en FA bénéficiant déjà d’un traitement anticoagulant est une situation non exceptionnelle et dont la prise en charge reste mal codifiée. Si les fluctuations d’efficacité sous AVK ou l’existence d’une cause alternative sont des situations à rechercher, il reste un bon nombre de patients pour lesquels il n’y a pas de cause identifiée. Peut-on parler d’« échec » du traitement anticoagulant ? Les solutions thérapeutiques restent empiriques entre adjonction d’aspirine, changement d’anticoagulant, et fermeture de l’appendice auriculaire. 

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