Publié le 14 oct 2015Lecture 10 min
Apport de l’exploration électrophysiologique dans la bradycardie
D. SCARLATTI, F. SQUARA, G. THÉODORE, E. FERRARI, Service de cardiologie, CHU de Nice
La prise en charge des syncopes et l’éventuelle indication de stimulateur cardiaque ont récemment fait l’objet d’un consensus européen (2013)(1), français par la HAS (2009)(2) et américain (2008 revu en 2012)(3).
Voici quelques règles simples et « morceaux choisis » qui nous semblent intéressants pour la pratique.
La présence d’un trouble conductif intraventriculaire détermine les examens complémentaires
Dans le cadre de syncopes par bradycardie à « QRS larges », la probabilité d’un trouble conductif sous-hisien est élevée. L’implantation d’un stimulateur cardiaque est indiquée après une exploration électrophysiologique (EEP) si l’intervalle HV est supérieur à 70 ms (grade IB). Dans le cadre de syncopes par bradycardie à « QRS fins », la probabilité d’un trouble conductif sous-hisien est ici faible et l’on s’orientera plutôt vers :
- une dysfonction sinusale ;
- une syncope vasoplégique (hypotension orthostatique notamment) ;
- un BAV « extrinsèque » ou vagal ;
- un BAV paroxystique « intrinsèque » localisé au noeud atrioventriculaire (BAV idiopathique) ou au tronc du faisceau de His (BAV intra-hisien) sans atteinte des branches de conduction.
Cette dernière éventualité reste rare puisque la « maladie de Lenègre » largement majoritaire parmi les BAV dégénératifs débute par l’atteinte des branches du faisceau de His avec l’apparition de bloc de branche.
Ainsi parmi ces patients symptomatiques à « QRS fins », le holter implantable serait plus rentable que l’EEP(4).
En présence d’une bradycardie documentée, persistante avec BAV du 2e ou 3e degré symptomatique, une implantation de stimulateur cardiaque est en revanche formelle. L’EEP n’est donc généralement pas indiquée. Elle garde un rôle pronostique puisque si le bloc est nodal (sus-hisien), la stimulation cardiaque évitera les syncopes sans réduire la mortalité cardiovasculaire, contrairement au bloc sous-hisien.
En cas de syncope par bradycardie suspectée avec des « QRS larges » sur l’ECG de base
Quelle est la valeur de l’exploration ?
• L’EEP est indiquée en cas de bradycardie suspectée (syncope).
• Sa sensibilité pour prédire le risque de BAV est de 68 à 82 %.
• Sa spécificité est bonne : 87 % des BAV stables sont prédits par l’EEP(5).
• C’est surtout la mesure de l’intervalle HV qui est instructive.
• L’activation ventriculaire commence, en effet, simultanément à l’extrémité de la branche droite et sur les rameaux de la branche gauche. L’interruption isolée de la branche gauche ou de la branche droite ne va donc pas modifier le délai HV. Ainsi tout allongement de l’intervalle HV suggère un bloc trifasciculaire. Ce dernier laisse présager des blocages paroxystiques puis permanents de la conduction atrioventriculaire (figure 1).
Le bloc de branche traduit classiquement une dégénérescence débutante progressive des voies de conduction qui débute classiquement par l‘atteinte des branches du faisceau de His (maladie de Lenègre).
Figure 1. La probabilité de mettre en évidence un allongement de l’intervalle HV et donc la rentabilité de l’EEP augmente avec la largeur des QRS.
Que rechercher lors de l’exploration ?
L’EEP recherche un ralentissement du temps de conduction dans les deux branches qui se traduit par un intervalle HV allongé (> 55 ms).
L’allongement de l’intervalle HV traduit un ralentissement de conduction infranodal.
En cas de résultat douteux : 55 ms < HV < 70 ms, l’administration d’ajmaline (1 mg/kg) pour sensibiliser le diagnostic est discutée. De même, le pronostic des patients qui présentent un allongement de l’intervalle HV > 100 ms ou un bloc sous-hisien sous antiarythmique Ic est évocateur mais de pronostic discuté. Par ailleurs, la mise en évidence de bloc soushisien pour des fréquences atriales basses < 150 bpm permet également ce diagnostic.
En présence d’un intervalle HV allongé, un BAV paroxystique puis permanent peut survenir avec un risque d’évolution vers le BAV de haut degré à 3 ans de 12 % si le HV est supérieur à 70 ms et de 24 % s’il est supérieur à 100 ms(6).
En dépit du caractère asymptomatique, devant un trouble conductif majeur avec un intervalle HV > 100 ms un stimulateur cardiaque est indiqué.
Quel est le mécanisme des syncopes ?
Les pertes de connaissance peuvent être expliquées par :
- un BAV paroxystique sans échappement ;
- un BAV paroxystique avec un échappement ventriculaire trop lent ;
- une arythmie ventriculaire (torsade de pointes) du fait d’une prolongation de la repolarisation induite par la bradycardie (figures 2 et 3).
Figure 2. Représentation schématique : bloc de branche gauche isolé, bloc bifasciculaire (HV normal, la branche droite conduit, les 2 hémibranches gauches sont bloquées).
Figure 3. Représentation schématique : bloc trifasciculaire, HV allongé.
L’implantation systématique de stimulateur cardiaque chez un patient admis pour syncope avec bloc de branche en l’absence d’EEP réalisée est discutable (grade IIbB)(1).
En effet la sensibilité de l’EEP est imparfaite et 1/3 des patients ayant bénéficié d’une EEP jugée normale présenteront des épisodes de BAV paroxystiques ou permanents(7).
L’analyse électrophysiologique systématique des troubles conductifs note en cas de bloc de branche gauche, un allongement du HV > 55 ms dans 79 % des cas, ce taux augmente à 87 % en cas de bloc de branche droit avec hémibloc postérieur gauche, à 72 % quand coexistent un bloc droit avec un hémibloc antérieur gauche alors qu’il n’est que de 32 % en cas de bloc droit isolé.
Ce taux atteint 87 % en cas de troubles conductifs intraventriculaires et blocs alternants. Les déviations axiales isolées traduisent rarement un trouble conductif infra-hisien (30 % en cas d’axe droit et 40 % en cas d’axe gauche)(8) (figure 4).
En présence d’un bloc de branche alternant, celui-ci traduit un bloc trifasciculaire et l’EEP n’est pas nécessaire dans cette indication puisque l’indication de stimulateur cardiaque est formelle.
Figure 4. Représentation schématique : l’allongement de l’intervalle HV est corrélé au pronostic cardiovasculaire (tiré de[8]).
En cas de syncope par bradycardie suspectée avec des « QRS fins » sur l’ECG de base
Quelle est la valeur de l’exploration ?
L’EEP est peu rentable ici(9) :
• Sa sensibilité est de 37,5 % pour la dysfonction sinusale.
• Sa sensibilité est de 15 % pour le BAV puisque :
- une exploration normale n’exclut pas un BAV paroxystique idiopathique qui sont les plus fréquents ;
- la probabilité de mettre en évidence un trouble conductif intra- ou sous-hisien nécessitant l’implantation d’un stimulateur cardiaque est faible.
La dysfonction sinusale
La mise en évidence d’une dysfonction sinusale avec un temps de récupération sinusal corrigé (TRSC) supérieur à 800 ms fait proposer, selon les recommandations américaines, l’implantation prophylactique (grade IIaC). Néanmoins, la mauvaise sensibilité de l’EEP pour la dysfonction sinusale (40-70 %) et sa spécificité imparfaite lui font préférer le Holter ECG sur 24 h ou le Holter implantable.
Si un test à l’ATP est réalisé, sa sensibilité est proche de celle du TRSC réalisé lors de la stimulation atriale avec, pour un cut off de TRSC de 1 030 ms, une sensibilité de 57 % et une spécificité de 97 %(10).
Les BAV « nodaux »
La mise en évidence d’un bloc nodal à l’EEP n’est spécifique d’aucune pathologie. En effet, il est fréquent d’observer un bloc nodal (intervalle AH allongé voire BAV sus-hisien du 1er, 2e ou 3e degré et un point de Luciani Wenckebach bas) lors d’un banal « malaise vagal » per-procédure.
Par ailleurs, ce bloc nodal peut être asymptomatique et mis en évidence fortuitement lors de l’exploration et doit alors faire pratiquer un test à l’atropine afin d’étudier au mieux les différents temps de conduction sous-hisiens.
BAV idiopathiques
Il s’agit d’une atteinte « intrinsèque » du nœud atrioventriculaire (figure 5). Ces BAV, volontiers syncopaux, n’évoluent pas vers le BAV permanent. Leur pronostic est donc lié aux conséquences possibles des chutes lors des syncopes.
BAV vagaux
Il s’agit d’une atteinte « extrinsèque » du noeud atrioventriculaire (figure 6). Les BAV vagaux sont médiés par une hyperréactivité du système nerveux parasympathique, qui innerve le noeud atrioventriculaire. L’innervation des vaisseaux entraîne un phénomène de vasodilatation responsable de la chute tensionnelle et des prodromes. On parle de réponse mixte cardioinhibitrice et vasoplégique.
Là aussi, la mise en évidence d’un bloc nodal lors de l’EEP n’est pas spécifique de ce diagnostic, contrairement au tilt test (Sp = 90 % pour ce dernier). Néanmoins, le déclenchement d’une syncope avec bloc nodal lors de l’exploration d’un(e) patient(e) qui « reconnaît » les mêmes symptômes qui l’ont conduit au bloc opératoire a forcément une valeur…
BAV « low adenosine »
Plus récemment ont été décrits des BAV syncopaux sans prodromes sensibles à l’adénosine et démasqués par le test à l’ATP. Le mécanisme semble différent du mécanisme « extrinsèque » (réflexe) et du mécanisme « intrinsèque » pur du BAV idiopathique si l’on en croit le taux d’adénosine sanguine dosé au décours des syncopes(11).
L’exploration électrophysiologique étant normale, le dosage de l’adénosine sanguine avec un taux < 0,36 mmol/l serait alors discriminant par rapport à une syncope vagale.
Lors du test à l’ATP, une pause > 6 secondes serait évocatrice du diagnostic (Se = 60 %).
Comme dans le BAV idiopathique, un échappement jonctionnel est possible mais le temps de latence avant la mise en place du relais peut entraîner des syncopes traumatisantes.
Le pronostic est « bon » pour ces BAV nodaux car ils n’évoluent pas vers le BAV de haut degré.
Figure 5. Représentation schématique : bloc idiopathique « intrinsèque » par dégénérescence isolée du NAV.
Figure 6. Représentation schématique : bloc « extrinsèque » d’origine vagale. La conduction électrique est intacte.
Les BAV intra et sous-hisiens
Le diagnostic de BAV intra-hisien est difficile. Les blocs intrahisiens peuvent se présenter sous des formes différentes :
- syncopes ;
- BAV « bradycarde dépendant » (en phase IV) ;
- BAV d’effort ou « tachycarde dépendant » (en phase III).
BAV non dépendant de la fréquence cardiaque
Il s’agit de syncopes souvent traumatiques, sans prodromes typiquement d’« Adams Stockes » avec un ECG de base normal. Le mécanisme est sensiblement le même que les BAV soushisiens. L’échappement est ventriculaire et le mécanisme des syncopes comprend le BAV paroxystique sans échappement ou un échappement trop lent. L’exploration électrophysiologique note un allongement de l’intervalle HV, un dédoublement du H avec H1-H2 > 20 ms parfois paroxystique et/ou une fragmentation du H qui mesure alors > 40 ms.
Rappelons que l’intervalle PR correspondant à la somme des temps de conduction intraatrial, intervalle AH et HV. Parmi les patients symptomatiques ayant présenté une EEP « normale », 20 % des patients évolueront vers un BAV stable, permanent(6). Cette donnée laisse penser qu’il s’agissait probablement de blocs intra-hisiens non diagnostiqués à l’EEP (figure 7).
Le pronostic est potentiellement mauvais avec notamment dans notre expérience une évolution possible vers le BAV de haut degré sans échappement. Un stimulateur cardiaque est indiqué.
BAV « bradycardedépendant » (en phase IV)
Le mécanisme du BAV en phase IV est bien décrit par R. Grolleau et résumé dans le schéma suivant(12). Il s’agit d’un défaut d’excitabilité dans un tissu pathologique pour lequel l’amplitude de courant qui arrive en distalité pour des couplages longs est inférieur au seuil de potentiel d’action. Ainsi la cellule n’est plus excitée (figure 8). Le pronostic est potentiellement mauvais et un stimulateur cardiaque est indiqué.
BAV d’effort et « tachycarde-dépendant » (en phase III)
En dehors du bloc nodal ischémique sur une sténose coronaire droite (vascularisant l’artère du NAV), le BAV d’effort traduit presque toujours un bloc intrahisien (90 %)(13).
Sur le tracé de la figure 9, la patiente présentait une dyspnée d’effort inhabituelle et l’épreuve d’effort a permis le diagnostic en objectivant un passage en BAV 2/1 pour une fréquence à 110 bpm.
Sur les tracés de la figure 10, la même patiente présentait un BAV sans allongement préalable des intervalles PP et pour lesquels les intervalles PR encadrant l’onde P bloquée n’étaient pas modifiés.
L’exploration électrophysiologique (figure 11), en stimulant l’oreillette objective alors l’absence d’allongement de l’intervalle AH. Ce n’est qu’en stimulant l’oreillette qu’on objective un bloc infra-hisien (blocage de conduction entre le H et le V) pour des fréquences atriales basses (dès 100 bm).
Le pronostic est potentiellement défavorable avec une évolution possible vers le BAV de haut degré sans échappement. Un stimulateur cardiaque est indiqué.
Il a enfin été décrit des cas de blocs nodaux à l’effort chez des sujets jeunes (10 % des cas)(13). Lors de l’effort, la levée du frein parasympathique « libère » le noeud atrioventriculaire qui ne devrait pas entraîner de blocage de conduction.
On peut penser qu’une levée incomplète du frein vagal peut engendrer des BAV nodaux d’effort.
Figure 7. Représentation schématique : bloc intra-hisien.
Figure 8. Représentation schématique du bloc en phase IV d’après(12).
Figure 9. Tracé d’épreuve d’effort avec BAV 2/1.
Figure 10. Tracé de Holter ECG objectivant un BAV 2/1 au repos pour des fréquences basses (74 bpm) mais aussi à l’effort (132 bpm).
Figure 11. Exploration électrophysiologique chez la patiente précédente (figure 8) notant un intervalle HV de base normal (52 ms).
En pratique
L’indication d’une exploration électrophysiologique (hors stimulation ventriculaire programmée) peut être résumée sur la figure 12.
Cet algorithme ne tient pas compte de certaines situations spécifiques comme les syncopes à l’effort qui bénéficient d’une ergométrie ou les athlètes qui peuvent présenter des bradycardies sévères asymptomatiques.
Selon les recommandations, l’EEP devrait donc être réalisée en présence d’un bloc de branche si le holter ou la télémétrie n’auront pas permis le diagnostic (grade IIaB)(2).
Elle n’est pas recommandée en présence d’un ECG normal en l’absence de cardiopathie et en l’absence de palpitations précédant la syncope (grade IIIB)(2).
Le diagnostic de BAV intra-hisien devant une syncope à QRS « fins » pourra alors être suspecté lors d’une épreuve d’effort ou d’un BAV paroxystique mis en évidence grâce à un holter éventuellement implantable.
L’EEP reste néanmoins le seul examen qui confirme ce diagnostic rare.
Figure 12. Indication de l’exploration électrophysiologique dans les syncopes.
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