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Thérapeutique

Publié le 14 jan 2016Lecture 6 min

Faut-il anticoaguler les patients ayant un score CHA2DS2-VASc de 1 ?

J.-Y. LE HEUZEY, Hôpital européen Georges Pompidou, université René Descartes, Paris

Les deux complications majeures de la fibrillation atriale (FA) sont l’insuffisance cardiaque et les accidents thromboemboliques. Pendant longtemps on a pensé que le simple fait de maintenir le rythme sinusal pouvait éviter la survenue de ces accidents mais on s’est vite aperçu grâce aux études randomisées contrôlées que le terrain sur lequel survenait la FA avait plus d’importance que le type de fibrillation lui-même. De même, chez certains patients, le risque de rechute est tellement élevé que la nécessité d’un traitement anticoagulant permanent s’impose souvent.

Le risque thromboembolique de la FA et l’efficacité des anticoagulants   La fibrillation est associée à un risque global d’accident vasculaire cérébral multiplié par 5. La FA est responsable d’environ 15 à 20 % de tous les accidents vasculaires cérébraux. Les accidents vasculaires cérébraux survenant chez les patients en FA sont plus sévères que ceux survenant chez les patients qui n’ont pas de fibrillation. Dans les groupes placebo des études AFASAK, SPAF, BAATAF, CAFA, SPINAF, réalisées il y a plus de 15 ans, le taux d’accident vasculaire cérébral variait entre 4,5 et 9 %. Les antivitamine K, dans ces différents essais, ont démontré une efficacité indiscutable avec une diminution de l’ordre de 60 % de ce nombre d’accidents vasculaires cérébraux (tous inclus, c’est-à-dire aussi bien les accidents ischémiques que les accidents hémorragiques). Certains de ces essais incluaient des bras aspirine, mais il a été montré que la réduction de risque était en fait très faible, de l’ordre de 20 %. À partir de données de registres (principalement MEDICARE aux États-Unis et Euro Heart Survey en Europe), ont été proposés des scores de risque, CHADS2 puis CHA2DS2-VASc. Le risque d’accident vasculaire cérébral croît proportionnellement à l’élévation du score CHA2DS2-VASc jusqu’à 15,2 % pour les patients avec un score à 9 (tableau 1). Les 4 essais qui ont permis les autorisations de mise sur le marché des anticoagulants oraux directs (RE-LY pour le dabigatran, ROCKET AF pour le rivaroxaban, ARISTOTLE pour l’apixaban et ENGAGE AF TIMI 48 pour l’edoxaban) ont montré que ces anticoagulants oraux directs faisaient au moins aussi bien que les anti-vitamine K. Avant le choix de l’anticoagulant, se pose donc le problème de savoir si, oui ou non, il faut anticoaguler. Il est admis que la réponse est oui pour les patients avec un score CHA2DS2-VASc ≥ 2, qu’il convient de ne pas le faire pour les patients avec un score CHA2DS2-VASc à 0 mais le débat reste entier pour les patients avec un score CHA2DS2-VASc à 1.   Recommandations   Ce débat cité précédemment trouve toute son acuité lorsque l’on examine de près les recommandations faites des deux côtés de l’Atlantique (tableau 2). Pour ce qui concerne les recommandations européennes de 2010, mises à jour en 2012, la recommandation est d’anticoaguler les patients avec CHA2DS2-VASc à 1. D’après ces recommandations européennes, une fois que la décision d’anticoaguler est prise, il convient d’examiner le risque hémorragique en évaluant le score HAS-BLED. Une préférence pour les anticoagulants oraux directs du fait des résultats des 4 grandes études citées précédemment est donnée. Les recommandations de la HAS en France vont à l’encontre de cette proposition. En ce qui concerne les recommandations américaines, la situation est beaucoup moins claire puisqu’il est précisé qu’en cas de FA non valvulaire et de score de CHA2DS2-VASc à 1 (rappelons que ce score ne s’applique que si l’on considère que la fibrillation est « non valvulaire ») il est possible de prescrire des anticoagulants oraux directs, des anti-vitamine K, de l’aspirine ou aucun traitement ! Il s’agit de recommandations de classe IIb, niveau de preuve C. Les recommandations européennes concernant la nécessité d’anticoaguler les patients avec un CHA2DS2-VASc à 1 sont elles en classe IIa, niveau de preuve A. On voit donc que le débat est entier. Dans ces recommandations européennes, il est cependant spécifié que le traitement anticoagulant « peut être considéré, basé sur une évaluation du risque de saignement et des préférences du patient ». Pourquoi 1 ?   En fait lorsque l’on examine précisément la situation de beaucoup de patients qui ont un score de CHA2DS2-VASc à 1, on s’aperçoit que de nombreux facteurs différents peuvent être envisagés. Prenons à titre d’exemple, quelques-uns de ces cas : une femme de 52 ans avec un score de CHADS2 à 0 et de CHA2DS2-VASc à 1 et qui a une FA isolée, paroxystique, de déclenchement plutôt vagal, a un score de 1 car le genre féminin fait partie des éléments du score. Dans ce cas, il est clair qu’il convient de ne pas l’anticoaguler. À l’inverse un homme de 74 ans, CHADS2 à 0, CHA2DS2-VASc à 1 avec des antécédents de FA paroxystique depuis 5 ans et des crises fréquentes, une fibrillation persistante depuis 3 mois et une oreillette gauche dilatée à l’échocardiogramme nécessite une anticoagulation. Il a un score de CHA2DS2-VASc à 1 car il a plus de 65 ans mais tous les autres éléments qui viennent d’être décrits ne font pas des points dans le score. Troisième cas de figure : un homme de 66 ans, CHADS2 à 0, CHA2DS2-VASc à 1 présente un premier épisode de FA paroxystique sans circonstance déclenchante particulière, mais il a comme antécédent une hématémèse sur un ulcère gastro-duodénal 2 mois auparavant : le choix sera ici plutôt non à l’anticoagulation car il a un risque hémorragique important. Quatrième exemple : un homme de 64 ans, CHADS2 à 1 et CHA2DS2-VASc à 1 a une cardiomyopathie dilatée évoluant depuis 10 ans, avec une fraction d’éjection de 20 % et une FA persistante depuis 3 mois : il a un score à 1 parce qu’il est insuffisant cardiaque et manifestement il nécessite une anticoagulation étant donné sa cardiomyopathie dilatée à fraction d’éjection très basse. On peut multiplier les exemples : un homme de 74 ans, CHADS2 à 0 et CHA2DS2-VASc à 1 présente une FA permanente connue depuis 15 ans, jamais anticoagulé, sans aucun autre facteur de risque thromboembolique, mais il est victime de chutes fréquentes et a une maladie d’Alzheimer débutante : la logique pousse plutôt à ne pas l’anticoaguler. Dernier cas de figure : un homme de 53 ans, CHADS2 à 1 et CHA2DS2-VASc à 1 parce qu’il a une hypertension artérielle bien contrôlée, a fait plusieurs épisodes de FA paroxystique lors de fêtes professionnelles ou familiales, il a un score de HAS-BLED à 1, manifestement il faut plutôt lui conseiller de stopper les alcoolisations aiguës plutôt que de prendre des anticoagulants… Si l’on veut résumer ces différents exemples, on peut argumenter qu’il ne faut plutôt pas anticoaguler les patients avec un score de CHA2DS2-VASc à 1 si le 1 est uniquement dû au genre, si le risque hémorragique est important, si le patient est réticent à s’anticoaguler et s’il le reste après une discussion prolongée lui expliquant son niveau de risque et le rapport bénéfice/ risque des anticoagulants, qu’ils soient anciens ou nouveaux. Ceci est d’autant plus vrai qu’il s’agit de sujets plus jeunes, c’est-à-dire de moins de 65 ans, qu’ils ont des oreillettes de taille normale à l’échographie, qu’ils ont des circonstances évitables de déclenchement de fibrillation paroxystique comme par exemple la « saturday night atrial fibrillation » du dernier exemple pris, pour laquelle il vaut mieux arrêter les cuites que de prendre un anticoagulant !    En pratique   La conclusion de cette discussion et de ce débat (« transatlantique » !) est qu’en fait la valeur du 1 n’est pas la même suivant le paramètre en question. Manifestement, pour certains de ces paramètres le risque est supérieur à ce qu’il est pour d’autres et plusieurs facteurs qui n’entrent pas en ligne de compte dans le calcul du score CHA2DS2-VASc peuvent également être envisagés, comme la taille de l’oreillette à l’échocardiogramme ou encore l’altération de la fonction rénale. Le message principal reste qu’il faut anticoaguler les patients avec un CHA2DS2-VASc à 1 mais qu’il faut tenir compte aussi du risque hémorragique et qu’il y a de nombreux exemples qui font que dans certains cas le risque dû à ce seul facteur responsable du score de 1 est trop faible pour nécessiter une anticoagulation qui, rappelons-le, sera dans la plupart des cas une anticoagulation à vie. Le risque hémorragique d’un traitement anticoagulant à vie est non négligeable, la décision à prendre est lourde, il faut la prendre à bon escient !

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