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Thérapeutique

Publié le 14 sep 2016Lecture 3 min

Bénéfice du traitement par statines chez les patients fumeurs : manque de preuves ?

Raphaëlle-Ashley GUERBAAI, Pierre-Vladimir ENNEZAT, Pôle Thorax et Vaisseaux, service de cardiologie, CHU Grenoble Alpes

Les études épidémiologiques et randomisées ont démontré que les taux de morbidité et mortalité cardiovasculaire augmentent lorsque les taux de cholestérol total et LDL-cholestérol augmentent(1,2). Ainsi, la réduction du taux sanguin de cholestérol est associée à une baisse de la mortalité cardiovasculaire globale(3,4). Une métaanalyse rassemblant 90 056 patients à partir de 14 essais randomisés a permis de démontrer que chaque diminution du LDL-cholestérol de 1 mmol/l est corrélée à une diminution relative de 23 % du risque d’événements coronaires (3 337 [7,4 %] vs 4 420 [9,8 %]), de 24 % du risque de revascularisation coronaire (2 620 [5,8 %] vs 3 434 [7,6 %]), de 17 % du risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) (1 340 [3,0 %] vs 1 617 [3,7 %]) et de 12 % du risque de décès toutes causes (3 832 [8,5 %] vs 4 354 [9,7 %])(5). Par conséquent, le bénéfice absolu de la réduction du LDL-cholestérol est corrélé au risque de la population traitée ; plus la population traitée est à faible risque cardiovasculaire, plus le bénéfice attendu du traitement visant à baisser le LDL-cholestérol sera faible.

Les inhibiteurs de l’hydroxy-8-méthylglutarylcoenzyme A-réductase (statines) ont été mondialement commercialisés et prescrits depuis deux décennies car des études princeps ont établi leur efficacité dans la diminution statistique du taux de morbidité et de mortalité chez les patients des deux sexes, ceux à haut risque vasculaire, chez les diabétiques et les non-diabétiques, chez les patients hypertendus et non hypertendus, ceux n’ayant pas d’antécédents cardiovasculaires, ainsi que chez les sujets jeunes et âgés(6-9). Cependant, il a été démontré que les statines augmentent de 9 % le risque de développer un diabète, remettant en cause la sécurité des statines(10). De plus, les statines provoquent fréquemment des effets secondaires tels que douleurs musculo-squelettiques et rhabdomyolyse, qui sont délétères pour la qualité de vie des patients ; empêchant une activité physique régulière et de ce fait, amenuisant le bénéfice cardiovasculaire majeur lié à l’exercice. De nombreuses études ont démontré que le tabac est un des principaux facteurs de risque pour les maladies cardiovasculaires. En effet, les sujets tabagiques sont deux fois plus à risque d’un accident cardiovasculaire que les sujets non fumeurs et ont une durée de vie écourtée de 5,5 ans en moyenne(11). De ce fait, il est important d’inciter à l’arrêt du tabac car même tardif, il est associé de manière significative à une réduction de la mortalité cardiovasculaire. Cependant, la littérature montre des résultats insatisfaisants concernant le suivi des tabagiques et l’arrêt du tabac en prévention secondaire, en effet seulement 48 % des patients cessent de fumer suite à un événement cardiovasculaire(12). De façon surprenante, le bénéfice des statines chez les fumeurs n’a pas été étudié spécifiquement par des métaanalyses et aucune étude n’a établi le rapport bénéfice-risque d’un traitement par statines chez les patients tabagiques actifs. L’analyse démographique des sousgroupes à l’inclusion dans les études randomisées et les métaanalyses est fréquemment détaillée, donnant le nombre de fumeurs actifs à l’inclusion. La majorité des études primaires et certaines études secondaires ont ajusté leur analyse de données en fonction des facteurs de risque tels que le tabac, néanmoins elles n’ont pas interprété ces résultats. Le tableau récapitulatif des études princeps avec analyse du sous-groupe des patients tabagiques (tableau) révèle en général une différence modeste d’événements entre le groupe placebo et le groupe traité. L’étude de prévention primaire PROSPER retrouve le même nombre de décès coronariens, d’infarctus du myocarde et d’accident vasculaire cérébral chez les fumeurs aussi bien traités par statines que ceux sous placebo(13). Plus récemment, l’étude de prévention secondaire IMPROVE-IT(14), n’a pas effectué d’analyse du sous-groupe des patients tabagiques, alors que l’analyse démographique à l’inclusion a été faite. On remarque dans l’étude de prévention primaire WOSCOPS(13) une différence d’événements de 3,4 % (la plus élevée pour les études de prévention primaire) en termes de réduction du risque de décès d’origine coronaire ou d’infarctus du myocarde non fatal, et une différence de 9 % (la plus élevée pour les études de prévention secondaire) dans l’étude CARE(16) pour le même critère d’évaluation principal. Par ailleurs, ni les habitudes des fumeurs (cumul en paquets/années), ni le sevrage tabagique au cours des essais randomisés n’ont été détaillés. En pratique Les études princeps sont en faveur des statines car leurs résultats montrent une réduction statistiquement significative du nombre d’événements cardiovasculaires fatals ou non, chez les sujets traités. Cependant, les effets indésirables liés aux statines ainsi qu’un risque accru de développer un diabète induit sont à l’origine d’une remise en cause de leur efficacité en prévention primaire. On montre ici que chez les patients aux facteurs de risque modifiables, tels que les fumeurs, les données des études randomisées ne permettent pas d’affirmer de façon indubitable que les statines sont efficaces chez les tabagiques actifs. Il faut donc agir spécifiquement sur les facteurs de risque modifiables, et personnaliser le traitement afin d’éviter les effets secondaires des statines qui pourraient porter préjudice à la prévention des événements cardiovasculaires.  Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts.

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