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Thrombose

Publié le 27 sep 2016Lecture 9 min

Maladie thromboembolique veineuse et cancer : recommandations internationales pour le traitement curatif et préventif

C. FRERE a, P. DEBOURDEAU b, M. MARTYc, E. MARJANOVIC d , F. CAJFINGER e, D. FARGE f pour le Groupe francophone Thrombose et cancer. a : CHU Timone ; b : Institut Sainte-Catherine, Avignon ; c : Hôpital Saint-Louis, Paris ; d : Hôpital Saint-Antoine, P

La maladie thromboembolique veineuse (MTEV), dont la prévalence au cours du cancer est estimée à  20 %, constitue aujourd’hui la 2e cause de mortalité chez le patient cancéreux. La prise en charge de la MTEV chez ces patients, en raison du risque accru de récidive et de saignement, est complexe et représente un défi en oncologie.

Des recommandations internationales, élaborées sur la base d’une revue systématique de la littérature par un groupe d’experts internationaux, à l’initiative du Groupe francophone thrombose et cancer (GFTC, www.thrombose-cancer.com) et sous l’égide de l’Institut national du cancer (INCa), ont été publiées en 2013(1,2). Ces recommandations concernent la prophylaxie et le traitement curatif de la MTEV chez les patients avec cancer. Parallèlement, et conformément au plan cancer, des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP), initiées en 2008 par les membres du GFTC, se sont développées avec pour objectif d’harmoniser la prise en charge de la MTEV chez les patients atteints de cancer et d’améliorer les bonnes pratiques cliniques.   Des recommandations nationales aux recommandations internationales   Depuis 2006, des recommandations de bonnes pratiques thérapeutiques ont été publiées, d’abord nationales(3-5), puis européennes(6,7), américaines(8-12) et enfin internationales(1,2), afin de permettre à tous les pays de disposer d’un référentiel commun. En France, les premières recommandations spécifiques pour le traitement curatif de la MTEV, incluant les thromboses de cathéter veineux central (CVC), diffusées en 2008 sous l’égide de la Fédération nationale de lutte contre le cancer et rédigées sous la forme de standards, options et recommandations (SOR)(4,5) sont concordantes avec les recommandations de l’ANSM (ex Afssaps) publiées fin 2009. Concernant le traitement à visée curative, ces recommandations sont unanimes, elles préconisent l’utilisation des héparine de bas poids moléculaire (HBPM) à dose curative pendant au moins 3 mois(13). Néanmoins, la problématique de la prophylaxie de la MTEV au cours du cancer n’y était pas abordée faute de preuves suffisantes. En effet, seules alors les études PROTECHT(14) et SAVE-ONCO(15) montraient un bénéfice possible d’une prévention primaire par HBPM en milieu médical, mais au prix d’un risque hémorragique majoré. Les données quant à l’intérêt de proposer une prophylaxie en dehors de certaines situations à haut risque de thrombose restent encore insuffisantes à ce jour. En 2011, à  l’initiative du GFTC, et en lien avec l’INCa, un groupe d’experts internationaux a analysé toutes les données de la littérature de juin 1996 à 2011 concernant le traitement curatif et préventif de la MTEV en milieu médical et chirurgical chez les patients atteints de cancer. Dans un contexte mondial où les pratiques cliniques pour le traitement de ces patients s’avèrent particulièrement hétérogènes, et les mesures de prévention insuffisantes, les résultats de cette analyse exhaustive ont conduit à la publication de recommandations internationales dans la revue Journal of Thrombosis and Haemostasis en janvier 2013. Leur actualisation est prévue en 2016. Elle permettra de renforcer la connaissance, indispensable pour le clinicien, de recommandations encore insuffisamment mises en œuvre lors de la prise en charge des patients. La diffusion de ces recommandations, leur mise en application grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, notamment avec l’aide d’une application dédiée, en libre accès sur www.itca-cme.org, devraient aboutir à diminuer la mortalité spécifique par MTEV chez les patients atteints de cancer.   Synthèse des recommandations internationales   Les principaux critères de jugement pris en compte pour l’élaboration de recommandations internationales ont concerné la récidive de MTEV, les saignements mineurs et majeurs, les thrombopénies et les décès. Recommandations pour le traitement curatif de la MTEV chez les patients atteints de cancer Les HBPM sont recommandées pour le traitement initial de la MTEV chez les patients atteints de cancer [grade 1B]. Le fondaparinux et les héparines non fractionnées (HNF) peuvent également être utilisés [grade 2D].  La thrombolyse de la MTEV constituée ne peut être décidée qu’au cas par cas, après avis spécialisé, et une attention extrême doit être portée sur les contre-indications, notamment en cas de risque hémorragique (métastase cérébrale) [avis d’experts]. Un avis spécialisé est recommandé avant décision de thrombolyse. La pose de filtre cave peut être envisagée dans le traitement initial de la MTEV en cas de contre-indication aux anticoagulants ou de récidive d’EP malgré un traitement anticoagulant optimal. Une réévaluation périodique des contre-indications est recommandée et les anticoagulants doivent être repris dès qu’ils sont sans danger [avis d’experts]. Les HBPM sont préférées aux AVK pour le traitement de maintenance (10 jours à 3 mois) et au long cours (au-delà de 3 mois) [grade 1A]. Les HBPM devraient être utilisées pour une durée minimale de 3 mois pour traiter la MTEV constituée chez les patients atteints de cancer, les patients ayant été traités 6 mois dans les études les plus importantes sur la question [grade 1A]. Après 3 à 6 mois de traitement, la décision de poursuivre ou d’arrêter les anticoagulants (AVK ou HBPM) doit être basée sur une évaluation individuelle du rapport bénéfice/risque, de la tolérance, de la préférence des patients et de l’activité tumorale [avis d’experts]. En cas de récidive de MTEV, trois options peuvent être envisagées : arrêt des AVK et prescription d’HBPM chez les patients traités par AVK, augmentation des doses d’HBPM chez les patients traités par HBPM, ou  insertion de filtre cave [avis d’experts]. En l’absence de données concernant l’utilisation des AOD pour le traitement de la MTEV chez les patients ayant un cancer, ces molécules ne sont pas actuellement recommandées dans ce contexte.   Recommandations pour la prophylaxie de la MTEV chez les patients atteints de cancer En milieu chirurgical, l’utilisation des HBPM en 1 injection par jour ou de l’HNF en 3 injections par jour sont recommandées pour prévenir la MTEV postopératoire. Cette prophylaxie doit être débutée 12 à 2 heures avant l’intervention et poursuivie au moins 7 à 10 jours. Il n’y a pas de données permettant d’affirmer la supériorité d’une HBPM sur une autre [grade 1A]. Les HBPM en 1 injection quotidienne sont plus faciles d’emploi. L’utilisation de la dose prophylactique d’HBPM la plus élevée est recommandée pour prévenir la MTEV postopératoire [grade 1A]. Une prophylaxie prolongée (4 semaines) peut être indiquée après chirurgie majeure par laparotomie à haut risque de MTEV et à faible risque hémorragique [grade 2B]. L’utilisation des HBPM après chirurgie laparoscopique peut être recommandée de la même façon qu’en cas de laparotomie [avis d’experts]. La prophylaxie mécanique n’est pas recommandée en monothérapie excepté quand les méthodes pharmacologiques sont contre-indiquées [grade 2C]. En milieu médical, la prophylaxie par HBPM, HNF ou fondaparinux en une injection sous-cutanée quotidienne est recommandée chez les patients avec cancer hospitalisés et à mobilité réduite [grade 1B]. Pour les enfants traités pour leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) avec L-asparaginase, une prophylaxie peut être envisagée dans certains cas en fonction des pratiques locales et des caractéristiques des patients (taux de plaquettes, de fibrinogène et d’antithrombine, fonction rénale). Les mêmes options peuvent s’envisager chez les adultes [avis d’experts]. Chez les patients traités par chimiothérapie, la prophylaxie systématique n’est pas recommandée [grade 1B]. Une prophylaxie primaire pharmacologique peut être indiquée chez les patients avec un cancer du pancréas localement avancé ou métastatique ayant un faible risque hémorragique  [grade 1B].   Une prophylaxie primaire pharmacologique peut être indiquée chez les patients avec un cancer du poumon localement avancé ou métastatique ayant un faible risque hémorragique [grade 2B]. Chez les patients atteints de myélome multiple et traités par IMID (thalidomide et lénalidomide) en association avec des corticoïdes et/ou une chimiothérapie (doxorubicine), une prophylaxie de la MTEV est recommandée. Dans cette situation, les AVK à doses réduites ou thérapeutiques, les HBPM à dose préventive et les faibles doses d’aspirine ont montré des effets similaires sur la prévention de la MTEV ; cependant, l’efficacité réelle de ces schémas thérapeutiques restent à déterminer [grade 2C].   Situations spéciales Les tumeurs cérébrales ne sont pas en elles-mêmes une contre-indication à un traitement anticoagulant pour une MTEV constituée [grade 2C]. Les HBPM sont à privilégier pour le traitement d’une MTEV constituée chez les patients atteints de cancer avec une tumeur cérébrale [avis d’experts]. Chez les patients atteints de cancer ayant une intervention neurochirurgicale, l’initiation des HBPM ou de l’HNF est recommandée en postopératoire pour la prévention de la MTEV [grade 1A]. En cas d’insuffisance rénale sévère (clairance créatinine < 30 ml.min-1), l’HNF avec relais précoce par AVK (dès J1) ou les HBPM avec ajustement sur l’activité anti-Xa sont conseillées pour le traitement de la MTEV constituée chez les patients atteints de cancer [avis d’experts]. Une compression veineuse peut être utilisée. La prophylaxie pharmacologique doit être envisagée au cas par cas et, dans cette situation, l’HNF peut être utilisée [avis d’experts]. Chez les patients atteints de cancer avec thrombopénie, si le taux des plaquettes est supérieur à 50 G.l-1 et en l’absence de signe hémorragique, des doses pleines d’anticoagulants peuvent être utilisées pour le traitement de la MTEV constituée. Pour les patients avec un taux de plaquettes < 50 G.l-1, la décision du traitement et des doses d’anticoagulants doit être prise au cas par cas avec la plus grande précaution [avis d’experts]. Chez les patients atteints de cancer avec thrombopénie modérée, la prophylaxie pharmacologique peut être utilisée si le taux de plaquettes est supérieur à 80 G.l-1 ; si le taux de plaquettes est inférieur à 80 G.l-1, la prophylaxie pharmacologique doit être discutée au cas par cas et une surveillance rapprochée est recommandée [avis d’experts]. Chez les femmes enceintes avec cancer, le traitement standard de la MTEV constituée et la prophylaxie habituelle peuvent être appliqués [avis d’experts].   Recommandations pour le traitement de la thrombose veineuse symptomatique sur cathéter veineux central Un traitement d’au minimum 3 mois est recommandé pour les thromboses sur CVC symptomatiques. Dans cette situation, les HBPM sont conseillées. Les AVK peuvent aussi être utilisés en l’absence de comparaison entre ces deux types d’anticoagulants [avis d’experts]. L’ablation du CVC entraîne un coût additionnel ; il peut être laissé en place s’il est fonctionnel, bien positionné, non infecté et si l’évolution des symptômes est favorable sous traitement anticoagulant [avis d’experts].   Recommandations pour la prophylaxie de la thrombose veineuse sur cathéter central L’utilisation d’anticoagulants n’est pas recommandée dans la prophylaxie de la thrombose veineuse sur CVC [grade 1A]. Le cathéter doit être inséré du côté droit, dans la veine jugulaire, et l’extrémité distale du cathéter se situer à la jonction veine cave supérieure/oreillette droite [grade 1A].   Des recommandations insuffisamment appliquées   Deux études en France(16,17), ont évalué la mise en application des recommandations concernant la prise en charge de la MTEV chez les patients atteints de cancer. L’étude prospective observationnelle nationale française CARMEN, menée en 2010 sous l’égide du GFTC, a inclus 500 patients dans 47 centres. Le taux d’adhésion a été de 98 % pour la phase initiale du traitement de J0 à J10, mais au-delà des 10 premiers jours, le taux d’adhésion aux recommandations chutait (62 %). Chez les patients présentant une insuffisance rénale, seuls 3 sur 12 patients ont reçu un traitement adéquat (AVK). Ces résultats indiquent donc qu’en pratique, ces recommandations sont encore insuffisamment suivies et connues des cliniciens.   Conclusion   Des stratégies claires et efficaces de prise en charge de la MTEV chez les patients atteints de cancer sont proposées et ont été validées par les groupes d’experts internationaux en vue de leur application à l’échelon national. Les études observationnelles montrent l’insuffisance de leur application pratique, en France comme dans les autres pays(18,19). Une réflexion doit donc être menée par la communauté médicale afin d’optimiser leur mise en œuvre. Une collaboration plus étroite entre oncologues et spécialistes de médecine vasculaire est indispensable. La systématisation des RCP « thrombose et cancer » et l’utilisation de technologies nouvelles (sites Internet, applications pour smartphone) faciliteront la diffusion et l’application de ces recommandations au bénéfice du soin des patients.

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