Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 04 oct 2016Lecture 7 min
Syndrome de préexcitation en 2016 : à qui faut-il proposer une ablation ?
B. BREMBILLA-PERROT, Service de cardiologie, CHU de Nancy
Le syndrome de préexcitation ventriculaire est une des rares affections cardiovasculaires à risque de mort subite, susceptible de bénéficier d’un traitement curatif par l’ablation par radiofréquence du faisceau accessoire. Le dépistage de l’affection, l’identification des sujets à risque de mort subite et la discussion du traitement radical sont donc essentiels. Il faut comparer les risques liés au syndrome de préexcitation ventriculaire aux risques et résultats de l’ablation du faisceau accessoire. La gêne fonctionnelle et les données de l’électrophysiologie chez le sujet asymptomatique sont aussi à prendre en compte.
Rappel concernant le syndrome de préexcitation ventriculaire
Présent chez 0,1 % des nourrissons, l’aspect disparaît dans 50 % des cas après un an. Dépisté après l’âge de 5 ans, la régression spontanée est plus rare puisque l’aspect ECG reste invariable dans 78 % des cas après un suivi moyen de 7 ans. Toutefois, les données électrophysiologiques évoluent avec un allongement de la période réfractaire du faisceau de Kent mais une augmentation du risque de fibrillation atriale (FA).
La présence d’un faisceau de Kent expose à la survenue de deux tachycardies : la plus fréquente est la tachycardie par rythme réciproque qui caractérise généralement les formes symptomatiques de l’affection (syndrome de Wolff-Parkinson-White). La moins fréquente est la FA (10 %) et fait la gravité de l’affection lorsque le faisceau de Kent a une période réfractaire courte, l’arythmie étant conduite en 1/1 aux ventricules ; elle peut dégénérer en fibrillation ventriculaire et entraîner une mort subite. La mort subite inaugurale a surtout été rapportée chez le sportif car celui-ci est soumis à une influence catécholergique maximale, qui facilite la survenue d’un trouble du rythme et améliore la conduction dans le faisceau de Kent. En dehors de ces sujets, le pronostic du WPW est discuté suivant le type de population étudiée et son mode de recrutement. S’il s’agit d’une population dépistée en médecine préventive, le risque de mort subite est faible, évalué à 1 % (0,02 %/patient/an). Toutefois, cet événement peut survenir chez un sujet totalement asymptomatique jusqu’alors, avec une incidence similaire à celle des sujets symptomatiques. De plus, des troubles du rythme graves syncopaux, voire mortels, ont été également signalés chez des sujets parfois très âgés ou très précocement mais exceptionnellement chez de jeunes enfants entre 6 jours et 12 ans, surtout en cas de cardiopathie congénitale associée. Chez le sujet symptomatique le risque d’accident peut être du à une tachycardie jonctionnelle de longue durée associée un événement ischémique ou une insuffisance cardiaque ou à l’utilisation de médicaments qui favorisent la conduction dans le faisceau accessoire comme les inhibiteurs calciques ou plus rarement la digoxine.
Identifier un risque de mort subite est surtout intéressant chez le sujet asymptomatique
Le caractère intermittent de la préexcitation est souvent associé avec une forme bénigne mais n’est pas spécifique.
La disparition brutale de l’aspect de préexcitation à l’épreuve d’effort est en faveur de la bénignité de l’affection.
Chez les sujets qui ne font pas de compétition sportive, cette disparition est suffisante pour arrêter les investigations (recommandation de grade IB), mais elle est rarement observée, car la conduction s’améliore aussi dans les voies normales de conduction au cours de l’examen.
Dans ces cas l’étude électrophysiologique, examen de référence, est recommandée (grade IIA). On sait en effet que chez les sujets récupérés de mort subite il est classique d’induire une FA conduite par le faisceau de Kent avec un cycle minimal de 250 ms. L’évaluation sous influence catécholergique (test d’effort ou isuprel) reste discutée (le cycle le plus court dans les formes graves devient < 200/220 ms). D’autres facteurs sont discutés : faisceaux accessoires multiples ; période réfractaire du faisceau de Kent < 240 ms, induction d’une tachycardie par réentrée surtout en cas de dégénérescence en FA. Jusqu’aux articles de Pappone et Santinelli (2003-2014), les études réalisées chez des sujets asymptomatiques n’avaient pas permis de montrer que les patients avec une forme identifiée comme potentiellement grave avaient un risque de mort subite augmenté, les multiples articles de l’équipe italienne semblent l’avoir démontré avec survenue de deux décès (dont un récupéré) chez 27 sujets ayant une forme potentiellement grave et non traités.
L’exploration par voie endocavitaire n’est néanmoins pas dénuée de risques, car il s’agit d’une méthode invasive et devrait être réservée aux sujets symptomatiques en vue de l’ablation. Chez le sujet asymptomatique elle peut être effectuée par voie transœsophagienne, technique non invasive faite en consultation spécialisée.
Risques et bénéfices liés à l’ablation du faisceau accessoire
Introduite en 1990, l’ablation du faisceau de Kent est capable de guérir définitivement le sujet avec un syndrome de préexcitation ventriculaire. Le succès immédiat de l’ablation a augmenté depuis 1990 et avoisine actuellement 93/95 %. Il reste néanmoins plus faible en cas de localisation latérale droite (78 %), chez le très jeune enfant et en présence d’une cardiopathie, notamment en cas de maladie d’Ebstein.
De plus, il faut tenir compte du risque de réapparition du faisceau accessoire qui avoisine 10 % et qui est dépendant de la localisation (faisceau latéral droit 24 %, midseptal 17 %, faisceau gauche 5 %). Le phénomène est généralement précoce (2 premiers mois).
Par ailleurs, le risque de complication a également baissé de 4,3 à 2,9 % (moyenne 3 %). Il reste plus fréquent chez le jeune enfant : la mortalité est heureusement exceptionnelle (0 à 0,2 %). Les complications sont surtout en rapport avec l’exposition aux radiations, diminuées en cas d’utilisation d’un système de cartographie, l’abord vasculaire (hématome, pneumothorax, fistule artério-veineuse, etc.), la manipulation du cathéter (dissection coronaire, perforation du sinus coronaire, microembols) et l’application de la radiofréquence (risque de BAV, sténose coronaire). Le BAV complet est une complication connue de l’ablation d’un faisceau de Kent parahisien et a été rapporté lors de l’ablation de faisceau de Kent postéroseptal. Le risque est exceptionnel lors de l’utilisation de la cryoablation à la place de la radiofréquence mais cette technique d’ablation n’est pas utilisée dans toutes les équipes du fait d’un risque de réapparition du faisceau de Kent plus élevé.
Indications de l’ablation en 2016
(tableau)
Les recommandations sont basées sur des publications de 2012 chez l’enfant à 2015/2016 chez l’adulte symptomatique ou asymptomatique. Plusieurs éléments sont à prendre en compte : A) le sujet est symptomatique ou non ; B) quel est son âge ? C) fait-il un sport en compétition ou exerce-t-il une profession à risque ? D) quelle est la localisation du faisceau de Kent ?
A. Le sujet est symptomatique (réentrée ou FA avec conduction par le faisceau accessoire) : la recommandation est de type I (B), notamment chez l’adulte.
Le traitement médicamenteux a une recommandation de type IC uniquement en cas de faisceau accessoire caché.
Il faut cependant rappeler que l’ablation réussie ne prévient le risque de FA que chez le sujet < 50 ans et surtout quand on a pu prouver que la FA était due à une tachycardie par rythme réciproque. Dans les autres cas, l’ablation sert à prévenir une conduction trop rapide par le faisceau de Kent durant la FA. Cette donnée vient d’être confirmée par l’étude de T.J. Bunch et coll. qui par ailleurs montre une mortalité moindre chez les sujets ayant eu une ablation.
B. Sujet asymptomatique
L’indication est de grade IIa (B) en cas de mise en évidence d’une forme à risque en électrophysiologie (FA avec un cycle minimal conduit par le faisceau de Kent ≤ 250 ms), mais aussi de façon systématique chez le sujet exerçant une profession à risque (par exemple pilotes).
Il faut noter que le suivi simple des sujets asymptomatiques a aussi le même niveau de recommandation (IIa, B).
C. Chez les jeunes enfants, les indications sont plus discutées du fait des risques d’irradiation et des complications de cathétérisme. Elles doivent se discuter avec les parents.
Les risques de FA sont faibles sauf en cas de cardiopathie congénitale associée. L’évaluation d’un enfant asymptomatique ne se discute qu’à partir de l’âge de 8 ans.
De plus, l’involution du faisceau de Kent est possible avant l’âge de 12 ans s’il est à période réfractaire longue et enfin les sports en compétition ne concernent pas les jeunes enfants.
Le traitement médicamenteux est généralement efficace chez le jeune enfant symptomatique.
En pratique, l’ablation peut être exceptionnellement indiquée avant l’âge de 12 ans si les antiarythmiques ou bêtabloquants sont inefficaces ou non tolérés, mais contraint à une anesthésie générale.
Les recommandations d’ablation en 2012 chez l’enfant asymptomatique (≥ 8 ans) sont de type II (A) si une FA à conduction rapide est induite et de type II (B) en cas de tachycardie par rythme réciproque inductible, mais également de type II (B) en l’absence de tachycardie inductible dans des cas particuliers (sportif) et en l’absence de localisation parahisienne. L’absence d’induction d’une tachycardie et l’induction d’une FA conduite avec un cycle > 250 ms conduit à un suivi simple (recommandation de type II [A]).
D. Sportif de compétition
Les indications d’évaluation et ablation sont plus larges.
Le sport n’est autorisé en l’absence d’ablation que si le sujet est asymptomatique et si l’étude électrophysiologique systématique montre qu’il s’agit d’une forme bénigne (période réfractaire > 250 ms et pas de tachycardie inductible).
• Localisation du faisceau de Kent
En cas de localisation parahisienne, le risque de BAV complet est important bien que l’utilisation de la cryoablation ait fait disparaître ce risque au profit d’un risque de récidive élevé. Cette localisation est particulièrement importante à prendre en compte chez le sujet asymptomatique où les indications d’ablation restent discutables.
En pratique
La tentative d’ablation du faisceau de Kent s’impose chez le sujet symptomatique.
Elle reste discutée chez le sujet asymptomatique à l’exception du sujet sportif en compétition ou exerçant une profession à risque en cas de mise en évidence d’une forme potentiellement grave en électrophysiologie (induction d’une FA conduite par le faisceau de Kent avec un cycle ≤ 250 ms).
Les recommandations restent contradictoires car les risques liés à l’affection sont faibles et l’ablation n’a pas un taux de succès de 100 %. L’indication chez l’enfant s’impose rarement avant 12 ans.
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