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Vasculaire

Publié le 30 nov 2016Lecture 12 min

L’anévrisme de l’aorte thoracique descendante - Un tueur caché dans la poitrine

J.-P. BECQUEMIN, Institut vasculaire Paris Est, Hôpital privé Paul d’Egine, Champigny-sur-Marne ; UPEC 94000

Les anévrismes représentent la troisième cause de mortalité cardiovasculaire dans les pays industrialisés. L’enquête de l’Inserm analysant les certificats de décès à domicile entre 2005 et 2009 a révélé que 6 358 décès sur 99 778 étaient liés à la rupture présumée d’un anévrisme aortique soit 6 % des décès. L’étude des admissions hospitalières par le PMSI montre au cours de la même période que 990 anévrismes ont été admis en urgence pour rupture avec un taux de décès de l’ordre de 60 %.

Aux États-Unis, les anévrismes thoraciques représentent la 20e cause de décès. Une analyse récente de notre expérience (Harri E, communication à Société française de chirurgie vasculaire) montre que lorsqu’une intervention en urgence pour anévrisme thoracique rompu pouvait être effectuée, la mortalité était de 36 % à un mois et de 40 % à 2 ans malgré l’utilisation de techniques endovasculaires sophistiquées. Ces éléments plaident pour un dépistage précoce et un traitement préventif lorsque le risque de rupture est élevé. La prévalence des anévrismes est importante, notamment après 65 ans. Pour l’aorte abdominale, elle est de 3,7 % à 5,9 % de la population à haut risque cardiovasculaire. Les anévrismes étaient à l’origine de 10 014 séjours en 2014 (CIM-10 : 171,3 ± 171,4). Les anévrismes intéressent l’aorte thoracique dans 10 % de ces cas. La prévalence des anévrismes thoraciques augmente comme le montre le registre suédois relevant le nombre de cas et le nombre d’interventions sur l’aorte thoracique entre 1987 et 2002. Ces augmentations sont respectivement de 50 % et de 100 %. Ces chiffres reflètent probablement un meilleur dépistage et un accroissement de l’opérabilité des patients du fait de l’émergence des techniques endovasculaires qui font partie maintenant de la pratique courante. En France, environ 800 interventions par endoprothèse sont effectuées par an pour des anévrismes de l’aorte descendante. Les trois principales étiologies d’anévrisme thoracique sont les anévrismes dégénératifs athéromateux, les dissections chroniques évolutives et les ruptures isthmiques passées inaperçues. En ce qui concerne les anévrismes thoraciques il y a de nombreux arguments qui plaident en faveur d’une origine génétique, le tabagisme agissant comme un catalyseur augmentant à la fois la prévalence, l’accroissement du diamètre et le taux de rupture. Plus rarement, ces anévrismes sont d’origine infectieuse (staphylocoque, salmonelle, fièvre Q, etc.). Dépistage L’une des difficultés majeures pour un dépistage simple est la localisation dans le thorax. L’anévrisme échappe à l’examen clinique, l’échographie transthoracique ne dépiste que les anévrismes de l’aorte ascendante, la radiographie du thorax est souvent peu contributive et seul le scanner l’identifie. C’est pourquoi le clinicien doit être conscient des facteurs qui doivent l’alerter et conduire à une imagerie plus approfondie comme un scanner ou une IRM. Dans une communication récente à la Société de chirurgie vasculaire nord-américaine, le Dr Elefteriades de l’Université de Yale a rapporté 8 facteurs associés à une plus grande prévalence d’anévrisme thoracique : la notion d’anévrisme dans la famille, la présence d’un anévrisme de l’aorte abdominale, d’un anévrisme intracrânien ou de simple kystes rénaux. Des particularités anatomiques sont aussi associées à une plus grande fréquence d’anévrisme thoracique : une bicuspidie de la valve aortique, une arche bovine c’est-à-dire la naissance de la carotide primitive gauche du tronc artériel brachio-céphalique. Les maladies du collagène comme la maladie de Marfan sont détectables par la recherche d’une hyperlaxité ligamentaire en effectuant le test du pouce sur la paume de la main ; enfin, les maladies inflammatoires comme la maladie de Horton, et d’autres désordres auto-immuns comme le psoriasis. L’imagerie La radiographie du thorax peut mettre en évidence un anévrisme de la crosse de l’aorte ou de l’aorte descendante, surtout s’il y a des calcifications de la paroi. Le scanner avec injection est indispensable. Réalisé avec des coupes millimétriques, il visualise précisément l’ané vrisme, permet d’évaluer son diamètre, son extension, la présence d’un thrombus, d’une dissection. Les logiciels de reconstruction reproduisent une image en 3D de l’ensemble de l’anévrisme. Mais les outils les plus utiles sont ailleurs, notamment la mesure à partir de la ligne centrale, qui permettent les calculs précis des diamètres, des longueurs et des distances des collatérales importantes, soit au niveau de la crosse, soit de la traversée diaphragmatique. Ces éléments sont essentiels pour choisir la prothèse appropriée, en cas de traitement endovasculaire. On peut également procéder à un repérage de l’artère d’Adamkiewitz qui vascularise la moelle épinière, repérage utile en cas d’anévrisme étendu. L’IRM est prescrite en cas de réaction à l’iode ; on peut également faire les mesures précitées mais pour les cliniciens cette imagerie est plus difficile à interpréter. Quand doit-on intervenir ? On ne dispose pas actuellement d’études randomisées permettant de définir précisément le diamètre à partir duquel une intervention est nécessaire pour prévenir le risque de rupture. Le consensus des sociétés savantes est de recommander une intervention chez les patients asymptomatiques dès lors que le diamètre est compris entre 5,5 et 6 cm ou que la croissance de l’anévrisme est supérieure à 1 cm par an ou d’anévrisme sacciforme. Une intervention est bien sûr indiquée en cas manifestations cliniques ou de complications telles les douleurs, les ruptures aiguës ou contenues et les complications ischémiques périphériques qui sont plus rares. Comme pour les anévrismes abdominaux le risque de rupture est un peu plus élevé chez la femme. On estime que le risque annuel de complications aiguës augmente exponentiellement de 10 % à 6 cm pour atteindre 43 % à 7 cm et qu’il est d’autant plus grand que les facteurs associés listés dans le paragraphe précédent sont présents, ou qu’il y ait une bronchopneumopathie chronique, ou que le diamètre est déjà large (croissance d’autant plus rapide). Comment intervenir ? Jusqu’à une période récente la seule possibilité thérapeutique était une chirurgie ouverte qui consiste au remplacement de l’aorte pathologique par une prothèse suturée sur des tissus artériels sains. Selon la localisation, cette chirurgie nécessite des abords plus ou moins délabrants par sternotomie, thoracotomie, thoracophrénolaparotomie, bien souvent une circulation extracorporelle avec en cas d’anastomose proximale proche du coeur un arrêt circulatoire. Même dans des mains entraînées la mortalité opératoire reste élevée de 7 à 10 % avec un taux de complications neurologiques incluant les accidents vasculaires cérébraux et les paraplégies de 4 à 15 %. Les endoprothèses ont révolutionné le traitement des anévrismes thoraciques. De plus, les compagnies ont beaucoup progressé pour répondre aux besoins spécifiques de l’aorte thoracique. Schématiquement les endoprothèses comportent un squelette métallique en acier ou en alliage (Nitinol), et un tissu chirurgical en PTFe ou en Polyester. Certaines prothèses présentent à leurs extrémités une rangée de stents non couverts et des crochets permettant d’assurer la fixation. Les derniers développements ont permis des avancées majeures avec une réduction notable du diamètre des systèmes d’introduction particulièrement utile en cas de petits diamètres des fémorales et des iliaques (surtout chez les femmes), une très grande souplesse permettant le passage d’angulations sévères, notamment aortique (aorte descendante et surtout l’angle entre l’aorte horizontale et l’aorte descendante) et un système de largage fiable évitant les migrations proximales ou distales lors du déploiement. L’intervention Elle doit être effectuée pour une sécurité optimale dans les nouvelles salles hybrides associant la qualité d’une imagerie de salle de radiologie et l’environnement anesthésique et d’asepsie des salles d’opérations. Ces équipements contribuent de façon majeure à l’amélioration des résultats périopératoires. Une anesthésie générale est souvent effectuée mais les cas anatomiquement simples pourraient être réalisées sous anesthésie loco-régionale, voire hypnose. Les prothèses sont introduites par voie fémorale avec une courte incision du scarpa ou en percutané par l’intermédiaire de systèmes de fermeture adéquate (Proglide ou Prostar Abbott). Une fois dans l’aorte, la prothèse contenue dans un introducteur est placée en regard de la zone anévrismale repérée par l’artériographie peropératoire et éventuellement aidée par une échographie transœsophagienne. Les extrémités de la prothèse doivent être placées sur un segment aortique sain d’environ 2 cm afin d’assurer l’étanchéité. Il reste cependant de nombreux points techniques liés à la complexité de la pathologie de l’aorte de thoracique. Les points les plus importants sont la localisation, l’étendue de la lésion, la pathologie en cause. La localisation On distingue trois segments : l’aorte thoracique descendante, la crosse de l’aorte et l’aorte thoraco abdominale. L’aorte thoracique descendante est le segment le plus accessible. Il est relativement rectiligne, sans difficulté majeure pour le déploiement de l’endoprothèse. Nous avons été les premiers en France à réaliser le traitement d’un anévrisme de l’aorte thoracique basse en 1995. Les anévrismes peu étendus bénéficient au mieux de cette technique. Pour les anévrismes plus étendus depuis l’artère sous-clavière gauche à la traversée diaphragmatique le risque de paraplégie n’est pas nul. La moelle est vascularisée par l’artère spinale antérieure (l’artère d’Adamkiewitz) qui est une branche issue des artères intercostales. L’artère spinale antérieure est issue des intercostales thoraciques entre la 9e et la 11e lombaire. Mais des variations sont possibles. Le risque de paraplégie est d’autant plus grand que la zone à traiter est étendue (> 20 cm), que le patient a déjà été opéré d’un anévrisme abdominal, que l’on couvre l’artère sousclavière gauche, qu’il y ait une hypotension périopératoire (rupture ou autre mécanisme). Dans ces cas, ce risque est prévenu : 1) en tentant d’identifier en préopératoire l’artère d’Adamkiewitz, ce qui est possible actuellement grâce aux reconstructions obtenues à partir des scanners multibarettes, 2) en drainant le liquide céphalo rachidiens, 3) en maintenant une pression systolique audessus de 140 mm de mercure, 4) en réimplantant si besoin l’artère sous-clavière gauche pour préserver l’artère vertébrale gauche qui participe à la vascularisation médullaire et 5) en évitant les manœuvres endoluminales excessives source d’embolisation. Comparativement à la chirurgie ouverte la mortalité est réduite de 11,7 % à 2,1 % et le taux de paraplégie de 14 % à 3 %. Une métaanalyse récente a confirmé la réduction significative du taux de décès de complications neurologiques, de dysfonctions rénales, de transfusion et d’utilisation de soins intensifs. La crosse de l’aorte reste le segment le plus difficile. Les différentes courbures, la proximité du cœur, la naissance des artères à destinée cérébrale font de cette localisation un défi important pour les techniques endovasculaires. La conservation de la perméabilité des artères à destinée cérébrale nécessite des techniques appropriées. - On peut faire appel a des techniques dites hybrides ou l’on associe un temps chirurgical au temps endovasculaire. Différentes possibilités chirurgicales existe pour étendre les zones d’attache. Certaines peuvent être réalisées par voie purement cervicale, réimplantation de la sousclavière gauche dans la carotide, pontage intercarotidien, d’autres nécessitent une sternotomie avec des pontages aortobicarotidiens si l’aorte ascendante est saine ou des prothèses hybrides si l’aorte ascendante est pathologique (ces prothèses sont composées d’une prothèse standard pour la crosse et d’une endoprothèse pour l’aorte en aval de la sous-clavière). - Les recherches et développements actuels vivent à mettre au point des prothèses avec des orifices latéraux ou des branches destinées à préserver la vascularisation cérébrale. Les prothèses sont réalisées sur mesure. Les résultats sont encourageants et s’améliorent avec l’expérience. Une série mondiale récente d’une trentaine de cas très sélectionnés fait état d’une mortalité de 3 %. La chirurgie traditionnelle chez ces patients avait été récusée car considérée comme trop risquée. - Des artifices endovasculaires ont été testés, avec par exemple la création d’orifice latéraux pour l’artère sousclavière gauche à l’aide d’une sonde laser une fois l’endoprothèse en place ou la technique de stents parallèles ou l’on place dans l’aorte l’endoprothèse thoracique et dans les artères carotides, sous-clavière et le tronc artériel brachiocéphalique autant d’endoprothèses couvertes. L’aorte thoraco-abdominale est un segment de difficulté intermédiaire. On dispose actuellement de prothèses fenêtrées et branchées qui permettent de traiter l’anévrisme tout en préservant les artères rénales et digestives. La mise en place est techniquement délicate et n’est envisageable que dans des centres disposant d’une imagerie performante et d’opérateurs entraînés. Les prothèses sont fabriquées sur mesure après détermination par des logiciels appropriés les localisations, les orientations et les diamètres des artères à conserver. Les résultats sont très encourageants. Limitée auparavant aux patients à haut risque chirurgical, les indications s’élargissent du fait de résultats favorables confirmés par l’étude Windows (financée an France par un STIC.) La HAS a donné un avis favorable à cette technologie pour les endoprothèse fenêtrées qui font l’objet maintenant d’un remboursement. L’étendue de la lésion : les lésions courtes inférieures a 15 cm sont traitables assez facilement. Il n’en est pas de même pour les lésions étendues qui peuvent englober plusieurs segments de l’aorte thoracique et qui relèvent parfois de plusieurs endoprothèses, voire de plusieurs types d’endoprothèses (tubulaire, fenêtrée ou branchée). La pathologie en cause : les anévrismes athéromateux sont de traitement plus simple que les dissections ou les problèmes de cathétérisme du vrai chenal, la localisation de la ou des portes d’entrée et de la résistance du flap de dissection demandent une bonne analyse de la lésion et une expertise clinique. Les résultats Pour les endoprothèses thoraciques simples on dispose actuellement de plusieurs séries permettant de vérifier la sécurité et l’efficacité de cette approche. Les séries les plus récentes pour n’en citer que quelques-unes (Gore TAG trial Gore, n = 140 patients ; Valor trial Medtronic, n = 195 patients ; Zenith TX2 pivotal trial Cook, n = 160 patients ; Mother Registry Medtronic, n = 670 patients) montrent une mortalité variant de 1,5 à 5 % et un taux de paraplégie de 1 à 6 %. Trois de ces registres comportaient une comparaison avec la chirurgie ouverte ou le taux de décès à un mois était de 8 % à 10 % et surtout un taux de complications sérieuses (30 à 80 %) de l’ordre du double, voire du triple de celles observées après endoprothèses. De même, le taux de paraplégies était multiplié par 2 à 4. Le rapport de la HAS a reconnu le progrès thérapeutique et la plupart des endoprothèses thoraciques est actuellement autorisée et font l’objet d’un remboursement. La durabilité des endoprothèses a été questionnée. Clairement jusqu’à 5 ans les endoprothèses thoraciques préviennent les ruptures dans la majorité des cas. Par contre, du fait des comorbidités, la survie globale (environ 60 % à 5 ans) est inférieure à celle d’une population indemne d’anévrisme, les décès étant le plus souvent d’origine cardiovasculaire et de cancers. Enfin comme pour les anévrismes de l’aorte abdominale une surveillance annuelle par scanner est utile pour détecter d’éventuelle complications (endofuite depuis les zones d’attache, déconnection en cas de multiple stents) ou une évolution de la maladie anévrismale en amont ou aval de l’endoprothèse. En pratique Il est actuellement possible de traiter des patients présentant un anévrisme de l’aorte thoracique par des techniques mini-invasives avec un taux de succès nettement supérieur à celui de la chirurgie. Le dépistage avant la survenue de complications est susceptible de réduire la mortalité globale de cette pathologie grave. La rigueur de l’évaluation préopératoire, notamment la nécessité d’avoir une imagerie ultraperformante et des logiciels de reconstruction vasculaire spécifique et la technicité de ces interventions requièrent un plateau technique performant et des opérateurs entraînés notamment pour les cas les plus complexes.    Figure 1. Reconstruction 3D d’un volumineux anévrisme thoracoabdominal. Figure 2. Streched line et mesure des différents segments pour la planification d’une réparation endovasculaire de l’aorte thoracique et abdominale. Figure 3. Endoprothèse avec des branches latérales. Figure 4. Principe des stents parallèles utilisés pour la technique chimney et/ou snorkel (stents inversés). Courtesy of Mario Lachat Figure 5. Scanner postopératoire d’une endoprothèse branchée et fenêtrée. Figure 6. Scanner postopératoire d’un anévrisme étendu de la crosse aux iliaques par une endoprothèse branchée et fenêtrée. Figure 7. Scanner postopératoire d’un anévrisme étendu de la crosse aux iliaques par une endoprothèse branchée et fenêtrée.

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