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Diabéto-Cardio

Publié le 15 mar 2017Lecture 7 min

Y a-t-il un antidiabétique utile pour le cardiologue ?

Theodora BEJAN-ANGOULVANT, Université François Rabelais, Tours

Que sait-on du traitement du diabète de type 2 vu par le prisme du cardiologue, qui a l’habitude d’utiliser des traitements ayant un « bon niveau de preuve » dans la réduction du risque cardiovasculaire ?
• Que les antihypertenseurs et les statines réduisent clairement ce risque chez le sujet diabétique, et que le seul traitement antidiabétique pour lequel on a une présomption scientifique de son efficacité (grade B dans les recommandations HAS 2013) est la metformine.
• Que l’intensification du traitement antidiabétique a été associée à une réduction attendue d’environ 15 % du risque d’infarctus du myocarde (IDM)(1,2), et seulement d’environ 12 % de toutes les complications microvasculaires(3), très en dessous de la réduction de 37 % prédite(2).
Aucune réduction du risque d’accident vasculaire cérébral (AVC), de la mortalité cardiovasculaire ou de l’insuffisance cardiaque n’a été démontrée, certains traitements ayant même plutôt un effet délétère sur ce dernier critère.

Depuis 2010, les cardiologues ont éventuellement participé à l’inclusion de patients dans des études visant à démontrer la « non-infériorité » de traitements antidiabétiques, comparativement au placebo sur le risque cardiovasculaire. L’objectif principal de ces études était de démontrer l’absence, au-delà d’un seuil, d’un sur-risque cardiovasculaire pour les patients traités par ces nouveaux antidiabétiques. Ce nouveau design d’études ainsi que leur seuil de non-infériorité étaient recommandés par l’agence américaine, la Food and Drug Administration (FDA)(4). Des critères discutables Ces critères sont discutables car ils acceptent 30 à 80 % d’augmentation possible du risque (correspondant à une borne de non-infériorité de 1,3 ou 1,8) en échange d’un meilleur contrôle glycémique, théoriquement associé à une réduction des événements microvasculaires. Ces nouvelles recommandations faisaient suite à la mise en évidence de risques non anticipés : augmentation du risque d’insuffisance cardiaque avec la rosiglitazone et augmentation de la mortalité totale avec une stratégie intensive visant à rapidement réduire l’hémoglobine glycosylée (HbA1c). Ainsi, pour évaluer dorénavant les nouveaux traitements antidiabétiques, nul besoin de démontrer leur efficacité sur la réduction du risque cardiovasculaire. La démonstration de leur « non-nocivité » suffit, si possible dans une population dite « enrichie », c’est-à-dire à haut risque cardiovasculaire soit du fait d’un syndrome coronarien aigu récent, soit du fait d’antécédents cardiovasculaires ou de multiples facteurs de risque. Les essais cliniques Sept essais cliniques évaluant des traitements antidiabétiques suivant ce nouveau modèle ont été publiés depuis 2013(5-11) : tous randomisés, en double insu, contre placebo. Tous évaluaient des patients diabétiques à haut risque cardiovasculaire et avaient comme critère principal les MACE (major adverse cardiovascular events : décès cardiovasculaires, IDM ou AVC non fatals). Tous ces essais ont démontré leur non-infériorité vis-à-vis du placebo. Mais, 3 parmi eux ont en plus montré une réduction significative du risque cardiovasculaire avec l’empagliflozine, le liraglutide, le sémaglutide, contre le placebo sur le risque de MACE (tableau). Pouvons-nous faire confiance à ces résultats et affirmer cette supériorité ? Pouvons-nous, au-delà du doute raisonnable, affirmer avoir la preuve que des traitements efficaces sur le risque macrovasculaire du patient diabétique sont dorénavant disponibles ? Les études manquent de puissance Pour démontrer l’hypothèse de supériorité, même si elle est incluse dans celle de non-infériorité, nous avons un problème de puissance. Par exemple, l’effectif nécessaire pour démontrer la non-infériorité par rapport à une borne de 1,3 (vrai risque relatif égal à 1) est environ 3 fois plus faible que celui nécessaire pour démontrer la supériorité (vrai risque relatif de 0,85 par exemple) . Les deux seules études ayant prévu la puissance nécessaire pour démontrer une supériorité avaient des effectifs > 14 000 patients(6,7). Il y a aussi un risque d’augmentation des chances de conclure à tort (inflation du risque alpha) : la dernière étude « positive »(11) n’avait même pas prévu a priori l’analyse de supériorité. Les études comportent des biais Un autre problème est l’existence d’un biais de confusion potentiel, du fait de l’adaptation libre des traitements antidiabétiques dans les deux groupes au cours de l’étude. Dans l’étude LEADER, 43,2 % des patients du groupe placebo et seulement 28,8 % des patients du groupe liraglutide (différence de 14,4 %) ont débuté une insulinothérapie pendant l’étude. Ces différences étaient plus faibles pour les traitements hypolipémiants (+1,5 %), antihypertenseurs (+2,8 %) et diurétique (+3,7 %). Ces traitements librement adaptés créent un déséquilibre entre les groupes et donc une « non-comparabilité » des patients au cours de l’étude. Si on admet la supériorité dans l’étude LEADER, quel traitement a pu être causalement lié à la réduction du risque : l’administration de liraglutide ou l’absence d’administration d’insuline ? Comme pour tout biais de confusion, il est impossible de répondre à cette question. Dans une approche pragmatique, on pourrait se dire que la réponse importe peu. La stratégie thérapeutique utilisant le liraglutide dans l’étude LEADER a permis d’éviter de débuter une insuline ou d’accumuler des traitements antidiabétiques et s’est associée à une diminution du risque. Mais cette réponse pragmatique n’a rien à voir avec une conclusion mettant en avant le rôle causal du traitement évalué dans l’observation du bénéfice sur le risque cardiovasculaire. Enfin, une difficulté supplémentaire pour conclure à la supériorité vient du fait que dans certaines études « positives », deux doses de traitement actif étaient comparés au placebo(9,11) ; si on admet la supériorité, laquelle des deux doses utiliser en pratique, sachant que la conclusion de ces essais était globale (doses combinées) ? Démontrer la causalité peut être utile Pour démontrer la causalité, l’existence d’un rationnel pharmacologique en faveur d’effets bénéfiques (hors contrôle glycémique) de ces antidiabétiques peut être utile. Pour les analogues du GLP-1 (glucose-like peptide-1), leur action incrétinomimétique aboutit à une augmentation de la sécrétion d’insuline induite par le glucose au moment du repas associée à une réduction de la sécrétion de glucagon et un ralentissement de la vidange gastrique. À l’exception de l’augmentation de la fréquence cardiaque (< 1 bpm avec le lixisénatide, 2,5 et 3 bpm avec le sémaglutide et le liraglutide dans les essais de non-infériorité), plusieurs effets cardiovasculaires bénéfiques ont été rapportés(12) : sur la fonction endothéliale, une vasodilatation, un effet antiapoptotique, une réduction de la pression artérielle, un effet bénéfique sur l’athérosclérose, un effet bénéfique sur le poids et sur la filtration glomérulaire. Si ces effets sont pertinents et réels, comment expliquer alors l’absence d’effet sur les MACE du lixisénatide ? Son absence d’effet comparativement à l’effet commun du liraglutide et sémaglutide (interaction significative) est-elle due à des différences de sa structure chimique, à une affinité plus importante pour le récepteur du GLP-1, à une demivie d’action plus courte, ou à des effets complexes sur la glycémie ? Pour aller plus loin, comment expliquer l’absence de réduction du risque cardiovasculaire avec l’alogliptine, la saxagliptine ou la sitagliptine, et ce chez plus de 36 000 patients inclus dans ces essais ? Les gliptines, inhibiteurs de la DPP-4 (dipeptidylpeptidase-4, enzyme qui dégrade le GLP-1) ont pourtant également une action incrétinomimétique et plusieurs effets favorables sur le plan cardiovasculaire ont été également décrits avec ces médicaments. Enfin, est-ce que le mécanisme d’action des gliflozines, qui augmentent la glycosurie par inhibition du SGLT-2 (sodium glucose co-transporter type 2) situé dans le tube contourné proximal, et leurs effets bénéfiques sur la pression artérielle, le poids, et le profil lipidique, suffisent à expliquer les résultats positifs de l’étude EMPA-REG ? Pour cela, il faut attendre les études de morbi-mortalité évaluant les autres inhibiteurs du SGLT-2 actuellement en cours (validité externe). Existe-t-il donc un antidiabétique utile pour le cardiologue aujourd’hui ? La metformine, traitement ancien et bien connu maintenant, reste pour l’instant le traitement de première intention du patient diabétique, même si son niveau de preuve est très modeste. La réponse concernant les nouveaux traitements du diabète n’est ni simple ni définitive. Améliorer le contrôle glycémique ? Si l’objectif principal du soignant est celui d’améliorer le contrôle glycémique sans augmenter le risque cardiovasculaire, alors la réponse est « probablement oui ». « Oui » car les 7 nouveaux antidiabétiques ont démontré leur innocuité vis-à-vis du placebo, tout en permettant un contrôle glycémique modeste de l’HbA1c, de -0,2 % avec la saxagliptine à - 1 % avec le sémaglutide 1 mg. Et « probablement », car les 7 études ont évalué des patients diabétiques à très haut risque cardiovasculaire. Nous pouvons donc difficilement inférer sur leur innocuité cardiovasculaire chez des patients diabétiques à moindre risque (diabétiques nouvellement diagnostiqués et n’ayant pas de complication par exemple). Ou réduire le risque cardiovasculaire ? Si l’objectif est en revanche de réduire le risque cardiovasculaire tout en améliorant le contrôle glycémique, aucune des 3 études dites « positives » (empagliflozine, liraglutide, sémaglutide) n’apporte la preuve au-delà du doute d’une efficacité supérieure au placebo pour le traitement testé. Les 3 gliptines (inhibiteurs de la DPP-4) n’ont montré aucune réduction du risque cardiovasculaire. Les agonistes du GLP-1 ont montré des résultats significativement hétérogènes sur le risque cardiovasculaire avec des études non taillées pour démontrer une supériorité, et possiblement un biais de confusion. Enfin, la supériorité de l’empagliflozine dans l’étude EMPA-REG doit être interprétée avec prudence ; les résultats d’études avec d’autres gliflozines seront nécessaires. Pour finir, il ne faut pas oublier que la balance bénéfice-risque de ces nouveaux antidiabétiques doit être mieux évaluée. L’efficacité que certaines études semblent avoir montrée doit être pondérée par l’augmentation de certains risques parfois significativement élevés : risque d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque(6), risque d’augmentation des complications microvasculaires liées à la rétinopathie(7,10,11). Les effets indésirables non cardiovasculaires comme le risque de pancréatite ou cancer du pancréas avec les incrétinomimétiques, d’angioedème, de cancer de la thyroïde ou les troubles digestifs avec les agonistes du GLP-1, ou d’infections génitourinaires avec les inhibiteurs des SGLT-2, doivent également être mieux évalués.

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