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Thérapeutique

Publié le 15 mar 2017Lecture 7 min

Prise en charge des dyslipidémies : ne rien céder !

François ROUBILLE et coll., CHU de Montpellier

Les polémiques fleurissent concernant les statines. Cela « empoisonne » la vie des médecins et plus littéralement la « survie des patients ». Les idées fausses foisonnent en effet, amalgamant les suspicions de collusion, les arguments pseudo-scientifiques, et remettent en cause la responsabilité du cholestérol en excès dans la physiopathologie cardiovasculaire. Pourtant, les preuves physiopathologiques, épidémiologiques et à travers des études randomisées sont très nombreuses et concordantes. L’arrêt intempestif des traitements indiqués et recommandés par toutes les sociétés savantes sans exception, entraîne un sur-risque net pour les patients victimes de « l’intoxication médiatique ». Un travail récent sur les databases françaises suggère une surmortalité d’environ 9 000 décès, soit le double de la mortalité routière…

Lors des JESFC de janvier 2017 à Paris, plusieurs sessions ont été consacrées à la prise en charge des dyslipidémies. Parmi celles-ci, une session du midi a abordé la problématique en annonçant les difficultés à « ne pas céder ». En effet, au quotidien, les cardiologues et les omnipraticiens (mais aussi bien d’autres spécialités comme les diabétologues ou les internistes) sont confrontés aux difficultés de prescription, d’observance et d’adhésion des patients aux traitements cardiovasculaires, en particulier ceux par statines. Cela s’intègre naturellement dans le cadre des campagnes de dénigrement médiatiques récentes, et des polémiques qui ont suivi les publications d’ouvrages allant à l’encontre des recommandations internationales de toutes les sociétés savantes, en particulier des sociétés européennes (endossées par la Société française de cardiologie) et américaines de cardiologie. Des polémiques délétères Depuis quelques années, fleurissent régulièrement des articles dans la presse grand public mettant en cause l’utilisation des statines comme traitement hypolipémiant avec des propriétés cardioprotectrices. Plusieurs ouvrages ont alimenté le débat parfois vivement polémique. Ces polémiques, sur fond de « théorie du complot » et de collusion entre les experts et l’industrie pharmaceutique, ont été relayées dans des quotidiens, des hebdomadaires à grand tirage et à la télévision. Pourtant, toutes les sociétés savantes sans exception se sont élevées contre cette désinformation qui fait courir un risque aux patients. Le premier effet délétère de ces polémiques est de jeter le trouble, de susciter la méfiance des patients, ce qui d’ailleurs concerne tous les traitements, voire la médecine au sens large. Le deuxième est de perturber la relation de confiance nécessaire au bon soin entre les patients et les professionnels de santé, et plus prosaïquement d’inquiéter inutilement les patients et de faire perdre un temps précieux à toute la communauté. Cela est impossible à quantifier, et pourtant représente sans doute des chiffres astronomiques à l’heure où prendre soin des patients est toujours plus difficile (et l’accès au soin de plus en plus délicat). Toutes les sociétés savantes ont pris position en faveur des statines visées par les polémiques. Dans l’assistance, plusieurs confrères ont souligné qu’ils auraient aimé que la SFC soit plus audible. Rappelons que des procédures disciplinaires ont parfois été engagées par l’ordre des Médecins, et que la SFC a pris position très tôt. Toutefois, ses messages ont en effet été beaucoup moins relayés. Résumons certains griefs entendus régulièrement : - le cholestérol ne serait pas un élément causal ; - les experts ne sont pas indépendants ; - réduire le LDL ne sert à rien ; - les autres médicaments réduisant le cholestérol ne sont pas non plus utiles ; - l’industrie pharmaceutique biaise les débats, ce n’est que du « business ». Le cholestérol est la cause de l’athérosclérose Reprenons certains de ces points, car nous ne rentrerons pas dans le débat autour de la place de l’industrie pharmaceutique et de son utilité, — plus généralement cela revient à mettre en cause une part cruciale de la recherche médicale. Nous n’aborderons pas non plus le problème des liens d’intérêts : oui, bien sûr, la plupart des experts en présentent, de même que l’auteur d’un livre à grand tirage ou une journaliste cherchant l’audimat. Pour en revenir à des aspects plus scientifiques, rappelons le lien anatomopathologique mis en évidence dans la constitution de la plaque athéromateuse. La formation de la plaque commence par l’entrée du cholestérol dans la paroi artérielle via le LDL-C. Au-delà, les études épidémiologiques démontrent un lien statistique fort entre taux élevé de LDL-C et mortalité cardiovasculaire. Faire baisser le LDL-cholestérol réduit les événements cliniques Inversement, les interventions qui font baisser le LDL (médicamenteuses principalement mais pas seulement) sont associées à une réduction de la mortalité cardiovasculaire. Ce lien est semble-t-il assez linéaire, d’où l’expression « lower is better », que l’on pourrait traduire par plus c’est bas, mieux c’est (figure 1). Les preuves scientifiques sont nombreuses du lien entre LDL-C élevé et mortalité, mais aussi entre la réduction de LDL-C et l’amélioration du pronostic. Figure 1. Prévention primaire et secondaire : plus c’est bas, mieux c’est ! Les statines présentent des effets secondaires à ne pas négliger, comme tout produit actif Les métaanalyses montrent l’absence de sur-risque concernant le cancer, mais confirment une augmentation du nombre de cas de diabète, principalement chez les patients traités par les fortes doses de statines et présentant au préalable des facteurs de prédisposition au diabète. En d’autres termes, le traitement par statine pourrait accélérer la déclaration d’un diabète « en préparation ». Ce sur-risque est évalué à 15 % d’apparition supplémentaire de nouveaux cas. Il est important de resituer cela dans la balance bénéfice-risque : les métaanalyses montrent que pour 255 patients traités en prévention secondaire, on évite 5 événements cardiaques majeurs, et qu’il y a un cas de diabète déclaré supplémentaire, confirmant le net bénéfice clinique du traitement. Jusqu’où baisser le LDL-C ? Voilà une bonne question ! Certaines études, dont l’étude IMPROVE-It, montrent que baisser encore plus bas le LDL-C par ézétimibe (jusqu’à 0,55 g/l) confère un bénéfice clinique supplémentaire et sans effets secondaires additionnels (figure 2). L’une des craintes très ancienne est que le cholestérol est nécessaire au fonctionnement cellulaire, en particulier neuronal. Nous aurons la réponse prochainement grâce aux médicaments anti-PCSK9, des anticorps monoclonaux dirigés contre une protéine limitant le recyclage des récepteurs au LDL. Ces médicaments sont capables de réduire d’encore 60 % environ (en plus de l’effet des statines) les taux de LDL, avec chez certains patients des taux très bas de LDL circulants, voire un LDL indosable ! Figure 2. Réduction de LDL-C jusqu’à 0,55 g/l avec l’ézétimibe. Les autorités de santé ont demandé une vigilance accrue sur les effets secondaires, en particulier neurologiques et cognitifs. Bien sûr, comme pour toute pathologie, en prévention primaire, les événements étant beaucoup plus rares, il est nécessaire de traiter beaucoup plus de « patients », même si le traitement est efficace, ce qui rend plus discutable la balance bénéfice-risque. Attention, tout cela concerne des études statistiquement pertinentes, mais plus difficiles à appliquer concernant un patient en particulier. Or, l’impact des statines est très variable selon la situation clinique mais surtout selon l’équipement enzymatique (le terrain génétique donc) et évidemment l’adhérence au traitement (figure 3). Figure 3. Impact individuel des statines sur la réduction de LDL. Des polémiques mortelles… Plusieurs travaux épidémiologiques, français et internationaux, ont suggéré une augmentation de la mortalité, après l’arrêt des statines. En France, un travail épidémiologique important suggère une interruption de traitement en hausse de 40 %, et une hausse de la mortalité de 17 % dans des cohortes comparables : cela se traduirait selon les auteurs par 8 000 à 9 000 morts de plus, soit le double de la mortalité routière en France ! Des travaux comparant les pays ou les périodes vont dans le même sens (figure 4). L’arrêt des statines en France — après la publication d’un ouvrage polémique — a augmenté d’environ 40 %, en comparant des cohortes dans le temps. Son impact est une augmentation de 17 % de la mortalité. Figure 4. Des données épidémiologiques indirectes suggèrent que l’arrêt des statines expose la population à une surmortalité. Des nouveautés et des questions Profitons de cette synthèse pour rappeler que les idées reçues nous concernent, nous médecins, également. L’idée que le bilan lipidique (excepté les triglycérides bien sûr) est assez peu perturbé par le statut postprandial ou non, est très peu acceptée (figure 5). Or de vastes études le démontrent clairement chez des centaines de milliers de patients, confirmant que le bilan lipidique peut être réalisé à n’importe quel moment de la journée, en particulier lors de la consultation de cardiologie, et ne nécessite pas que le patient se rende à jeun spécialement dans ce but au laboratoire. C’est une vraie simplification pour le patient ! Il est inutile d’insister sur le bilan LDL à jeun. Seuls les TG sont vraiment profondément modifiés en postprandial. Figure 5. Évolution des taux de lipides après un repas chez l’adulte : seuls les TG sont modifiés plus de 6 h après le repas. Des questions persistent Signalons que bien des aspects nécessitent de poursuivre la recherche. Par exemple, le traitement doit être d’autant plus agressif que le patient est en prévention secondaire et jeune, mais qu’en est-il dans le cas contraire ? Une question reste débattue : jusqu’où traiter à la fois en termes d’âge (physiopathologie « dépassée ? »), mais aussi en termes de durée (contrôle du facteur de risque ?). En pratique Le cardiologue ne peut passer tout le temps de la consultation à tenter de convaincre le patient du bien-fondé de la thérapeutique par statine. Toutefois, il faut connaître les principales démonstrations scientifiques sous-tendant les recommandations internationales pour ne pas être déstabilisé par les arguments fallacieux mis en avant pour justifier la défiance des patients, victimes le plus souvent de désinformation. Il ne faut pas méconnaître non plus les effets secondaires fréquents des thérapeutiques employées, car beaucoup d’adaptations et de « petits moyens » permettront d’améliorer facilement la situation, et donc l’adhésion au traitement. In fine, c’est le patient lui-même qui se met en danger en renonçant à des traitements qui réduisent la morbi-mortalité, en particulier en ce qui concerne la prévention secondaire. Il semble même que le traitement soit d’autant plus efficace qu’il est proposé tôt dans l’évolution de la maladie. Rappelons également à nos patients que des données indirectes épidémiologiques suggèrent une très importante surmortalité liée à l’arrêt des statines.  Conflits d’intérêts : concernant cet article, F. Roubille déclare avoir reçu des honoraires pour la réalisation de comptes rendus scientifiques (Sanofi), des présentations scientifiques ou réunions professionnelles (MSD, Amgen, Sanofi, AstraZeneca).

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