Publié le 01 avr 2017Lecture 7 min
Les nouvelles recommandations diagnostiques ESC - Que changent-elles en pratique ?
Jean-Michel TARTIÈRE, Pôle cardiovasculaire, hôpital Sainte-Musse, CHI de Toulon, La Seyne-sur-Mer
La parution de nouvelles recommandations sur l’insuffisance cardiaque aiguë (ICA) et chronique (ICC) en 2016 est l’occasion de faire le point sur l’état de nos connaissances et de nos pratiques dans la prise en charge de cette pathologie(1). Ces nouvelles recommandations apportent des informations sur le diagnostic de l’insuffisance cardiaque (IC). Dans cet article, nous allons aborder avec intérêt et curiosité ces nouveautés, en gardant un esprit critique.
Le fil conducteur de ces recommandations tourne autour de la simplification du processus diagnostique en fournissant des définitions, des seuils et des arbres décisionnels.
Nommer permet-il de mieux comprendre ?
Si les recommandations de 2012 avaient déjà bien individualisé deux types d’IC(2), l’une ayant une FEVG altérée et l’autre préservée, un certain flou persistait malgré tout quant aux seuils de FEVG à appliquer pour différencier ces groupes. De plus, une zone grise entre 35 et 50 % de FEVG restait sans dénomination et sans appartenance fixe à l’un ou l’autre des groupes de patients.
L’année 2016 nous apporte donc une définition et des seuils de FEVG. Ces seuils, ouvertement arbitraires, ont pour objet de stimuler la recherche autour de trois groupes :
• Insuffisance cardiaque à FEVG réduite ou systolique (< 40 % - ICS) : pathologie connue et objet d’une littérature abondante ainsi que de solutions thérapeutiques variées et efficaces.
• Insuffisance cardiaque à FEVG préservée (> 50 % – ICFEp) : pathologie fréquente et en progression mais toujours dans le flou quant à sa physiopathologie et sans aucune solution thérapeutique validée.
• Insuffisance cardiaque à FEVG modérément réduite (40-50 % – ICFEmr) : groupe inhomogène de forme mixte d’IC ou de forme en transition vers l’une ou l’autre forme d’IC.
Gadget ou effet d’annonce ? Cette classification permet au moins de remettre en avant l’absence de lien entre le niveau de FEVG et l’apparition de signes et symptômes d’IC. De plus, ces définitions simples devraient homogénéiser, on peut l’espérer, les travaux de recherche et leurs interprétations.
Utiliser les peptides natriurétiques comme les D-dimères
Comme en 2012, les recommandations 2016 insistent à nouveau sur la nécessité d’utiliser les peptides natriurétiques pour leur excellente valeur prédictive négative, autour de 95 % dans la littérature(3), en vue donc d’éliminer le diagnostic de la pathologie et non de l’affirmer (figure 1).
Afin d’éviter la confusion entre insuffisance cardiaque aiguë (ICA) et chronique (ICC), les deux processus diagnostiques ont été séparés.
Figure 1. Arbre décisionnel pour le diagnostic d’insuffisance cardiaque (d’après les recommandations ESC 2016).
Un intérêt limité en pratique clinique
Malheureusement, l’utilisation de seuils très bas de BNP (< 35 pg/ml dans l’ICC et < 100 pg/ml dans l’ICA) et de NT-proBNP (< 125 pg/ml dans l’ICC et < 300 pg/ml dans l’ICA) diminue fortement l’intérêt de ces marqueurs en pratique clinique (valeur prédictive positive < 70 %), en raison de grand nombre de circonstances majorant même faiblement les taux des peptides natriurétiques(1-3).
Ainsi, quelles que soient les circonstances diagnostiques, la mesure de taux de peptides natriurétiques supérieurs aux seuils indiqués implique l’utilisation de l’échocardiographie pour affirmer l’IC(1,2).
L’échocardiographie : à faire vite et bien !
Pour l’ICA comme pour l’ICC, l’échocardiographie est réaffirmée comme pièce maîtresse de la démarche diagnostique du fait de son excellente valeur prédictive positive lors d’une utilisation multiparamétrique (valeur prédictive positive > 90 %)(4), surtout lorsque l’examen est effectué au moment des symptômes et avant toute intervention thérapeutique. Moins exhaustives et nuancées que les recommandations de l’American Society of Echocardiography, les recos ESC 2016 se veulent avant tout pratiques et abordables en précisant et corrigeant en particulier les seuils à utiliser en Doppler tissulaire par rapport à 2012.
Deux questions
Affirmer le diagnostic d’insuffisance cardiaque par l’échocardiographie repose sur deux questions auxquelles nous devons essayer d’apporter une réponse (figures 1, 2A et 2B) :
• Existe-t-il une cardiopathie ? L’anomalie structurelle cardiaque est évaluée par la présence d’une dilatation atriale (volume de l’oreillette gauche > 34 ml/m2) en insistant sur la mesure volumétrique préférentiellement en Simpson biplan et/ou par la présence d’une hypertrophie ventriculaire gauche (masse VG indexée ♂> 115 g/m2 et ♀> 95 g/m2).
• Les pressions de remplissage sont-elles augmentées ? L’anomalie fonctionnelle est affirmée par la conjonction de deux anomalies en écho-Doppler : un rapport E/Ea (moyenne de E/Ea latéral et septal) > 13 associé à une vélocité de Ea (moyenne de Ea latéral et septal) < 9 cm/s.
Si les autres paramètres analysant les anomalies structurelles et fonctionnelles ne sont pas mis à l’écart (strain, TDE, volumes VG, Vp, etc.), un accent est toutefois mis sur la nécessité d’améliorer la qualité des paramètres recueillis (utilisation de volumes plutôt que de surface de l’OG, moyenner les ratios E/Ea latéraux et septaux), pour les rendre plus efficients avant d’envisager de les multiplier.
L’échocardiographie d’effort
Pour la première fois, l’échocardiographie d’effort est clairement indiquée dans les cas difficiles ou l’utilisation des paramètres écho-Doppler et des peptides natriurétiques ne permet pas de trancher(1).
L’accent est mis sur l’évaluation des pressions de remplissages (E/Ea moyen à l’effort > 13) et sur l’augmentation de la pression artérielle pulmonaire systolique, Borlaug et coll.(5) proposant 45 mmHg comme valeur seuil ce qui oriente vers le diagnostic d’ICFEp.
Les avantages évidents de cette évaluation sont :
- la possibilité de compléter le bilan étiologique : évaluation ischémique, valvulaire, etc. ;
- la mise en évidence d’un diagnostic différentiel : insuffisance chronotrope, arythmie, asthme d’effort, etc. ;
- dans certains cas, revoir la réalité de la plainte fonctionnelle à la lumière de l’effort réellement pratiqué.
L’échographie pleuro-pulmonaire
Cette technique est également proposée pour le première fois, en particulier dans les situations d’urgence, afin d’affirmer la présence d’un œdème pleuro-pulmonaire, sans toutefois pouvoir assurer à elle seule le caractère cardiogénique et non lésionnel des images retrouvées.
Elle nécessite la mise en évidence d’au moins 3 cônes hyperéchogènes verticaux (aspect en queue de comète) à base pleurale (ligne pleurale) sur au moins deux champs distincts (figure 2C) par rapport à une échographie pleurale normale ne montrant qu’une ligne pleurale (figure 2D).
Figure 2. Apport de l’écho-Doppler multiparamétrique dans le diagnostic de l’ICFEp.
Évaluation rapide du profil hémodynamique dans l’insuffisance cardiaque aiguë
Selon la méthode originale décrite par L.W. Stevenson(6) en 1999 et comme cela avait déjà été proposé dans les recommandations de 2008 puis abandonné en 2012, ce cru 2016 nous propose à nouveau une évaluation rapide de l’hémodynamique dans le cadre de l’ICA basée sur l’appréciation de la perfusion tissulaire (aspect « chaud » ou « froid » du patient) et de l’état volémique (aspect sec ou humide) (figure 3).
Cette évaluation rapide initiale est d’autant plus importante et justifiée qu’elle permet dans les recommandations 2016, d’enchaîner la prise en charge thérapeutique dans un délai ne devant pas idéalement excéder 60 à 120 minutes.
Figure 3. Profil hémodynamique des patients avec ICA selon la présence/absence d’hypoperfusion/congestion. L’hypoperfusion n’est pas synonyme d’hypotension, l’hypoperfusion est parfois associée à une hypotension.
Diagnostiquer les comorbidités
Les comorbidités sont fréquentes dans les différents types d’insuffisance cardiaque. Deux comorbidités, les troubles ventilatoires du sommeil et l’anémie ont subi des développements importants entre 2012 et 2016.
Suite aux résultats de l’étude SERVE-HF(8), la promotion du dépistage quasi systématique des troubles ventilatoires du sommeil dans l’IC a subi un frein certain. Si les troubles ventilatoires obstructifs symptomatiques restent intéressants à dépister, en vue d’orienter les patients vers une thérapeutique spécifique, les troubles ventilatoires centraux ne semblent pas en revanche bénéficier des prises en charge ventilatoires actuellement proposées.
La présence d’une anémie en 2008 (Hb < 13 g/dl chez l’homme et < 12 g/dl chez la femme)(5), puis la présence d’une carence martiale (coefficient de saturation de la transferrine < 20 % et ferritinémie < 100 μg/l pour la carence vraie ou avec une ferritinémie entre 100 et 299 μg/l pour la carence fonctionnelle) en 2012(2) ont été associées aux symptômes et au pronostic de l’IC.
En 2016, comme les nouvelles recommandations valident la supplémentation ferrique comme une prise en charge à envisager dans l’insuffisance cardiaque avec carence martiale, son dépistage devient dès lors incontournable.
Pour conclure, qu’est-ce qui change ?
L’ICFEp est définie par une FEVG > 50 %, une anomalie structurelle cardiaque (OG > 34 ml/m2 et/ou IMVG ♂ > 115 g/m2 et ♀ > 95 g/m2) et une anomalie fonctionnelle (E/Ea moyen > 13 et Ea moyen < 9 cm/s).
La zone grise entre 40 et 50 % de FEVG est nommée ICFE modérément réduite ou intermédiaire.
Les peptides natriurétiques doivent être utilisées pour leur excellente valeur prédictive négative dans l’ICC (BNP < 35 pg/ml, NT-proBNP < 125 pg/ml), comme dans l’ICA (BNP < 100 pg/ml, NT-proBNP < 300 pg/ml).
La méthode de Stevenson permet une évaluation rapide et simple de l’état hémodynamique des patients ICA.
Le dépistage des comorbidités dont l’anémie et le dépistage de la carence martiale, font partie du diagnostic de l’insuffisance cardiaque.
L’échographie d’effort, l’échographie pleurale sont des aides au diagnostic selon les circonstances.
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