Thrombose
Publié le 30 mai 2017Lecture 6 min
Stratification du risque thromboembolique dans la FA : avantages et limites des scores
Abdeslam BOUZEMAN et coll.*, Centre médico-chirurgical Parly 2
Le traitement anticoagulant – et dans une bien moindre mesure les traitements antiagrégants plaquettaires, en mono- ou en bithérapie –, est probablement la seule thérapeutique médicamenteuse capable de réduire le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) d’origine ischémique et d’embolies artérielles périphériques des patients présentant une fibrillation atriale (FA). Le risque thromboembolique (TE) est le même que la FA soit paroxystique ou permanente. Les indications, mais aussi les contre-indications, doivent être parfaitement connues du prescripteur. L’utilisation des scores de risque TE et hémorragique est primordiale, mais on doit leur reconnaître cependant certaines limites.
Quels sont les autres outils de prévention des accidents thromboemboliques ?
Le rôle des agents antiarythmiques dans la protection des accidents TE est débattu. L’ablation de la FA semble elle-aussi protéger des AVC, mais les études sont encore pour l’instant trop peu nombreuses pour l’affirmer. Depuis 2010 en France, la fermeture percutanée de l’auricule gauche peut s’envisager chez les patients considérés à haut risque TE (CHA2DS2-VASc ≥ 4) et présentant une contre-indication formelle et permanente aux anticoagulants, validée par un comité pluridisciplinaire. Ces dispositifs ne sont cependant pas une alternative aux traitements anticoagulants.
À noter que les preuves de l’efficacité des antiagrégants plaquettaires dans la prévention des événements TE chez les patients en FA sont faibles, alors que le risque hémorragique (hémorragie majeure et hématome intracrânien) n’est pas différent de celui des anticoagulants. Ceux-ci devraient donc se limiter aux patients refusant les anticoagulants.
Quel est l’intérêt d’avoir des scores de risque d’événements TE dans la FA ?
Tout d’abord, rappelons que les scores de risque ne s’appliquent que pour la FA non valvulaire, c’est-à-dire non liée à une maladie valvulaire rhumastimale ou à une prothèse valvulaire.
Les scores de risque TE dans la FA permettent d’évaluer de façon « reproductible » le risque TE pour chaque patient. Ils doivent aider à homogénéiser les pratiques, de telle façon que la prescription des anticoagulants ne soit pas aléatoire. Ils sont censés nous aider à identifier de façon la plus simple possible les patients à risque TE afin de débuter un traitement anticoagulant (ou antiagrégant plaquettaire…) et d’éviter de traiter les patients reconnus comme à faible risque, leur évitant ainsi les désagréments et les risques d’une telle thérapeutique. Grâce à ces scores, les patients sont donc classés en « bas », « intermédiaire » ou « haut risque TE », bien que le risque soit en réalité un continuum.
Le score de risque CHADS2 (Congestive heart failure, Hypertension, Âge > 75 ans, Diabète, Stroke) présente l’avantage d’être simple, mais des limites lui sont reconnues, ne prenant pas en compte certains critères désormais identifiés comme étant des facteurs de risque d’accident TE(1). De nombreux patients considérés abusivement à faible risque avec le score CHADS2 présentent en réalité un risque non négligeable d’AVC (> 1,5 % par an).
Depuis les recommandations de la Société Européenne de Cardiologie de 2010, actualisées en 2012(2), le score CHA2DS2-VASc (Congestive heart failure, Hypertension, Âge ≥ 65 ans, Diabète, Stroke, Vascular disease, Âge 65-75 ans, Sexe féminin) est le plus utilisé. Précisément, le premier « C » correspond à une insuffisance cardiaque avec réduction modérée à sévère de la fraction d’éjection du ventricule gauche ou aux patients ayant présenté une décompensation cardiaque récente ayant nécessité une hospitalisation, et ce quelque soient les chiffres de fraction d’éjection.
Concernant ce risque CHA2DS2-VASc, il suffit que le score calculé (soit ≥ 1 pour un homme et ≥ 2 pour les femmes) pour que le patient (ou la patiente) relève d’un traitement anticoagulant. En résumé, seuls les patients avec une FA sur cœur sain et âgés de moins de 65 ans sont « exemptés » du traitement anticoagulant. Les facteurs de risque sont classés en deux types :
- majeurs : antécédent d’accident TE, âge ≥ 75 ans ;
- non majeurs : insuffisance cardiaque, HTA, diabète, sexe féminin, âge ≥ 65 ans, pathologie vasculaire.
Le score de risque CHA2DS2-VASc a été établi à partir de cohortes de patients non anticoagulés, et a été validé ensuite par de nombreuses autres études. L’ancien score CHADS2 sous-estimait le risque TE par rapport à celui-ci. Par exemple, un score CHADS2 = 0 peut correspondre à un score CHA2DS2-VASc à 0,1, 2 ou 3, avec un risque annuel d’AVC de 0,84, 1,75, 2,69 ou 3,2 % respectivement.
Le score CHA2DS2-VASc peut également trouver une utilité dans d’autres contextes que la mesure du risque TE dans la FA (par exemple, dans la prédiction des décès ou AVC après un infarctus du myocarde, l’évaluation du risque d’AVC après une chirurgie cardiaque, le risque de récurrence de la FA après une ablation, la prédiction des AVC ischémiques chez les patients n’ayant jamais fait de FA, etc.).
D’autres scores sont disponibles dans le cadre de la FA, comme le score SAMe-TT2R2 qui évalue la probabilité d’obtention d’un INR dans la marge thérapeutique avec les AVK (c’est-à-dire > 70 % du temps dans la zone efficace).
Un groupe de travail sur l’AVC dans la FA a comparé 12 schémas publiés d’évaluation du risque TE chez les patients avec FA non valvulaire. La plupart ont une valeur prédictive assez faible et les résultats varient beaucoup lorsque l’on compare ces différents scores. Ils ne sont quasiment pas utilisés.
L’évaluation du risque hémorragique
Le risque est de surestimer les potentielles complications hémorragiques, notamment chez les patients âgés, chez lesquels l’aspirine est perçue comme une alternative satisfaisante et sûre. Pourtant, le bénéfice relatif de l’aspirine diminue avec l’âge, celui des anticoagulants augmente en parallèle…
Il faut évidemment bien évaluer le risque d’événements indésirables liés aux traitements anticoagulants.
Trois scores de risque ont été validés pour les patients en FA (tableaux 1 à 3) :
HEMORR2HAGES : Hepatic or renal disease, Ethanol abuse, Malignancy, Older-age ≥ 75 y, Reduced platelet count or function, rebleeding risk, Hypertension, Anaemia, Genetic factors, Excessive fall risk, Stroke ;
HAS-BLED : Hypertension, Abnormal renal/liver function, Stroke, Bleeding history or predisposition, Labile INR, Elderly-age > 65 ans, Drugs/alcohol ;
ATRIA : AnTicoagulation and Risk factors In Atrial fibrillation.
Il est recommandé d’utiliser l’évaluation simple par le score HAS-BLED (figure)(3). Ce score a également été validé dans plusieurs cohortes. Un score mesuré ≥ 3 doit mener à une grande prudence quant à l’utilisation des anticoagulants car ces patients sont considérés comme à haut risque hémorragique. Le traitement anticoagulant ne peut être exclu du seul fait d’un score HAS-BLED élevé. Il doit notamment permettre de corriger certains facteurs de risque hémorragiques, comme la prise concomitante d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, d’antiagrégants plaquettaires, etc.
Figure. Le score HAB-BLED est le meilleur score de risque hémorragique (AMADEUS study).
Quelles sont les limites de ces scores ?
D’autres facteurs de risque connus ne sont pas intégrés dans le calcul des scores de risque (présence d’une cardiopathie hypertrophique, d’une amylose, tabagisme actif comme récemment évoqué dans la littérature, différents paramètres échocardiographiques concernant la taille et la fonction de l’oreillette gauche, l’hyperuricémie, etc.). L’insuffisance rénale chronique est également reconnu comme étant un facteur de risque TE, mais le score de risque CHA2DS2-VASc n’en tient pas compte. Cette lacune tient au fait que les patients insuffisants rénaux ont été exclus des études ayant permis l’élaboration de ce score de risque, car considérés également à haut risque de décès, d’événements coronaires et d’hémorragie majeure. L’hyperthyroïdie n’est plus considéré comme facteur de risque indépendant d’accident TE. Les critères de risque en échographie transœsophagienne ne sont également pas repris dans les scores de risque (contraste spontané dans l’oreillette gauche, basses vélocités dans l’auricule gauche, plaque aortique).
Malgré l’utilité, la relative simplicité et l’efficacité reconnues de ces scores de risque TE, il y a une sous-utilisation des traitements anticoagulants dans la FA, notamment chez les patients à risque élevé (antécédent d’AVC/AIT)(4). Une autre étude(5) a montré que parmi les patients en FA à haut risque TE, hospitalisés pour un AVC, 29 % ne recevaient pas d’anticoagulants, 31 % recevaient uniquement un antiagrégant plaquettaire, et parmi les 39 % des patients sous warfarine, un quart étaient anticoagulés dans la zone thérapeutique…
Conclusion
La pertinence des scores de risque thromboembolique et hémorragique dans la FA a largement fait ses preuves dans la littérature.
Néanmoins, omettant certains facteurs de risque importants, on peut leur reconnaître quelques limites.
Leur utilisation systématique chez tous les patients en FA devrait diminuer l’incidence des AVC d’origine thromboembolique.
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