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Thrombose

Publié le 06 juin 2017Lecture 10 min

Le visage de l’embolie pulmonaire a-t-il changé ?

Sophie BLAISE, Clinique Universitaire de médecine vasculaire, CHU de Grenoble

Avec la thrombose veineuse profonde (TVP), l’embolie pulmonaire (EP) est l’une des deux manifestations de la maladie thromboembolique (MTE). Les techniques d’explorations pour son diagnostic ont largement évolué. Après la phlébographie, les premières angiographies pulmonaires et scintigraphies des années 1960, l’échographie-Doppler veineux puis les différents scanners ont ensuite largement modifié les pratiques. La fin des années 1980 a été marquée par la diffusion du dosage sanguin des D-dimères et le développement du raisonnement en probabilité clinique. Malgré toutes ces avancées technologiques ainsi que l’arrivée de nouveaux traitements anticoagulants, la prise en charge de l’EP reste un challenge en 2015.

Elle demeure parfois mortelle et le débat sur les pilules contraceptives nous ont montré qu’il était nécessaire de faire le point des connaissances sur les facteurs de risque de la maladie et son épidémiologie.

Identification des facteurs de risques de la MTE de 1950 à nos jours Les thrombophilies Dès les années 1950, les principaux facteurs de risques environnementaux de la MTE étaient connus. Ainsi la chirurgie, les traumatismes, les cancers, la grossesse ou le post-partum avaient été identifiés comme des facteurs de risques majeurs. Ce n’est que vers les années 1960 que la notion de thrombophilie biologique est apparue. Ainsi, en 1965 un déficit en antithrombine a été décrit pour la première fois. Ensuite et surtout pendant les années 1980, les autres déficits en inhibiteurs de la coagulation ont été découverts, comme le déficit en protéine C en 1981 ou en protéine S en 1982. La résistance à la protéine C activée n’a été décrite qu’en 1993, la mutation du facteur V Leiden en 1994 et la mutation G20210A du facteur II Leiden, 2 ans plus tard. La liste des thrombophilies impliquées comme facteurs de risque de la MTE ne peut être exhaustive. Il faut citer au moins les anticoagulants circulants de type lupique ou l’hyperhomocystéinémie, qui ont beaucoup fait parler d’eux. Le syndrome des anticorps antiphospholipides (SAPL) illustre bien la différence entre la mise en évidence d’une anomalie biologique et son interprétation pathogénique. Depuis sa description en 1983 par Huges, la définition actuelle du SAPL repose sur la classification internationale de Sapporo (1999) qui a été réactualisée en 2006 à Sidney. Il a donc fallu plus de 20 ans après sa première description pour arriver au consensus actuel permettant d’interpréter la présence de certains anticoagulants circulants comme pathogènes (sous conditions d’anomalies cliniques, de taux assez élevés de ces anticorps et leur persistance après 12 semaines). L’hyperhomocystéinémie illustre également une autre difficulté qui est celle de décrire au mieux une anomalie biologique (déficit génétique homo ou hétérozygote ou déficit par carence vitaminique), d’y associer le plus finement possible son risque thrombotique (veineux ou artériel) et, surtout, d’être en mesure d’améliorer les patients atteints (déception des traitements vitaminiques sur le risque veineux et artériels). Les progrès en biologie et en génétique sont néanmoins indéniables et nous ont permis de préciser les types de thrombophilies. Désormais, on ne peut plus se contenter du diagnostic d’un « déficit en antithrombine » (AT). Le déficit est-il de type 1 (antithrombine produite normale mais en quantité insuffisante) ou de type 2 (quantité suffisante mais déficient sur un plan fonctionnel). Quelle est la nature exacte de la mutation en cause ? L’évolution mesure de l’activité de l’antithrombine (évaluation de sa fonction) doit être associée à la mesure de l’antigène de l’antithrombine (évaluation de sa quantité). L’objectif est bien celui de réussir à préciser le risque de MTE et de ne pas s’arrêter à une simple « étiquette diagnostique » de thrombophilie. Si l’imputabilité du groupe sanguin non O est bien démontrée,  qu’en est-il du risque de MTE des facteurs de coagulation VIII, IX ou XI ? Des questions sont encore sans réponse, mais si en ce qui concerne les thrombophilies le défi est de les détecter et de les typer le plus précisément possible, il est aussi d’appréhender le risque de MTE en fonction de l’anomalie identifiée. Les odds ratio (OR) des thrombophilies dans le risque MTE peuvent aller selon les études de 2 à 50 ! Si un déficit en AT3 est lié à une fréquence 50 fois plus élevée de MTE, mais ce déficit est rarement héréditaire (environ 1 patients sur 5 000). Alors qu’a contrario, un déficit hétérozygote en facteur V Leiden n’est associé qu’à un risque de MTE de 2 à 7 %, mais pour une fréquence dans la population générale qui pourrait aller jusqu’à 20 %. Les autres facteurs de risque de la MTE  Les études sont consensuelles sur les principaux facteurs de risque de la MTE tels que la chirurgie (OR jusqu’à 22), les traumatismes (OR = 13), la grossesse (OR = 10) et le cancer (OR = 6). D’autres facteurs de risque sont également clairement identifiés (voyages, obésité, etc.). Un focus semble cependant être utile sur deux  d’entre eux : les hormones exogènes et les antécédents (ATCD) personnels et/ou familiaux de MTE. Les antécédents de MTE sont un facteur de risque important de la MTE avec des OR variables selon les critères (ATCD  personnels ou familiaux, premier degré ou non, etc.). Ce risque a été mieux appréhendé au cours des années 2 000 grâce à l’étude de Susan Murin qui évalué le risque relatif à 4,2 pour la récidive sous forme d’une EP si le patient a un antécédent d’EP et un risque de 2,7 de récidive sous la forme d’une thrombose veineuse profonde (TVP) si le patient a un ATCD de TVP. Un antécédent familial de thrombose d’un parent du premier degré avant 45 ans aurait un odd ratio de 3,3. C’est vers les années 1960 que la notion d’effet prothrombotique des hormones exogènes a émergé. L’OR habituellement retrouvé pour ce groupe se situe entre 2 et 4. Une étude cas-témoins rétrospective, la MEGA Study, a été conduite en 2012 aux Pays-Bas et a mis en évidence un risque relatif de thrombose sous pilule de 5, variable selon le progestatif associé (EE lévonorgestrel : 3,6 ; EE gestodène : 5,6 ; EE désogestrel : 7,3 ; EE acétate de cyprotérone : 6,8 ; EE drospirénone : 6,3). L’ANSM a fait le point sur ce risque : pour 100 000 femmes par an, la grossesse génèrerait 60 accidents thromboemboliques, les pilules à base de lévonorgestrel (2e génération) environ 20 cas, celles à base de désogestrel ou de gestodène (3e génération) ou encore de drospirénone (4e génération) environ 40 cas, comparé aux femmes non utilisatrices de pilules chez lesquelles on relèverait 5 à 10 cas. Dans 1 à 2 % des cas, les accidents thromboemboliques veineux seraient d’évolution fatale. Ainsi, même si les facteurs de risque de MTE semblent avoir été largement explorés en plus de 60 ans, il reste encore à affiner ces risques. Les facteurs de risque notamment comportementaux (tabac, obésité, etc.) sont difficiles à étudier du fait de la difficulté méthodologique des études à mettre en place. Les études cas/témoin comme la Dutch MEGA Study au Pays-Bas sont assez rapides et assez peu chères mais ne donnent que des risques relatifs approximatifs et le lien de causalité peut être remis en cause. Les études prospectives comme la Million Women Study en Grande-Bretagne sont plus onéreuses et plus longues. Les études et les métaanalyses sont donc encore largement nécessaires dans ce domaine. L'incidence et la prévalence de l’embolie pulmonaire ont-elles changé ? Une meilleure connaissance des facteurs de risque de la MTE associée à une meilleure appréhension du risque global individuel ainsi qu’une politique de santé publique axée sur la prophylaxie de la MTE aurait dû induire une baisse de l’incidence de la MTE. Mais qu’en est-il vraiment ? En fait les chiffres sont difficiles à comparer dans le temps du fait de nombreux changements. L’évolution des techniques d’explorations : un des premiers impacts Depuis 1950,  les techniques d’explorations ont largement évolué. Après la phlébographie, les premières angiographies pulmonaires, ainsi que les premières scintigraphies, durant les années 1960, l’écho-Doppler veineux a ensuite largement modifié les pratiques diagnostiques des années 1980 jusqu’à nos jours. C’est le large recours au scanner thoracique dans les années 1990, puis l’apparition du scanner multibarrette en 2004 qui a suscité une révolution des pratiques dans le domaine du diagnostic de l’embolie pulmonaire.   Si nous pouvons nous satisfaire de ces progrès incontestables qui facilitent grandement au diagnostic, ils apportent également une autre problématique. Peut-être sous diagnostiquées dans les années 1960, les embolies seraient-elles sur-diagnostiquées actuellement ? Car se pose désormais la question de savoir quelles embolies asymptomatiques traiter et que faire des embolies sous-segmentaires isolées ? Les biais liés aux études épidémiologiques Les chiffres des incidences et prévalences de l’EP ne peuvent pas être comparés dans des études utilisant des technologies différentes dans le temps. Ce phénomène est bien observé dans l’étude de Trowbridge qui observe un pic du nombre des études évaluant l’EP après 1998, date de l’apparition du scanner. Dans les années 2005, trois enquêtes européennes ont trouvé dans la même période, des prévalences similaires d’environ 20 % (Perrier et al. 2005, Christopher Study 2006, Bosson et al. 2005). Alors que des études internationales ultérieures ont vu se chiffre tomber à 7 %. Un autre biais méthodologique des études dans l’EP est le choix des populations incluses avec, dans la plupart des cas, l’exclusion des sujets âgés ou des populations néoplasiques, notamment les essais thérapeutiques, alors que l’on sait que l’incidence est plus élevée dans ces groupes de patients. Les biais liés aux habitudes de pratique Les chiffres d’incidences varient également selon les pays. Ainsi, dans des études internationales, des « effets centres » peuvent être observés notamment entre les centres européens et américains. Aux États-Unis, les grands plateaux techniques appelés Thoracic Pain Centers permettent un accès aux examens de manière moins sélectionnée et pour des patients… moins triés en amont. Les incidences globales ont donc tendance à être plus basses que dans une population européenne, généralement plus âgée et plus souvent polypathologique. Les variations selon les algorithmes diagnostiques utilisés À la fin des années 1980, le dosage sanguin des D-dimères s’est progressivement généralisé. Grâce à cet outil biologique, s’est instauré une sélection du choix des examens paracliniques et en conséquence un raisonnement en probabilité clinique. C’est la création des “scores cliniques” dont le plus connu est le score de Wells. Ces scores sont-ils réalisés ? Sont-ils appliqués en pratique ? En dehors des études cliniques, il est difficile de répondre à cette question. Des travaux ont néanmoins montré qu’en cas d’application incorrecte d’un algorithme clinique (30 % des cas chez la population âgée), les conséquences étaient délétères pour les patients, avec une augmentation du risque relatif de MTE de 3,3 à 3 mois. Selon la place accordée aux scores et aux algorithmes, les chiffres de prévalence de l’EP varient. Si les conclusions de certaines études semblent parfois être contradictoires, l’explication réside souvent dans l’analyse attentive des populations étudiées. Malgré tous ces biais, l’incidence actuelle de la MTE irait de 1,5 cas/100 000 par an jusqu’à 1% chez les patients de plus de 75 ans. L’âge moyen de survenue serait situé entre 63 et 73 ans avec deux fois plus de TVP que d’EP.  Si en postopératoire, l’incidence sur 10 ans reste estimée à 0,46 % malgré une observance des recommandations sur la prophylaxie estimée comme efficace à 84 %, l’incidence globle de l’EP augmente. L’explication principale serait probablement l’augmentation de la population vieillissante dns laquelle l’incidence est plus élevée. Une autre explication serait l’augmentation de la survie dans certains cancers, où là encore, l’incidence est plus élevée. Les formes cliniques de l’EP et la mortalité Si les performances des examens scannographiques permettent de soulever de nouvelles catégories d’EP telles que les EP sous-segmentaires, notamment asymptomatiques, des études cliniques ont permis de progresser dans leur catégorisation cliniques. Aux États-Unis, le taux de mortalité est estimé entre 100 000 et 180 000 décès par an et jusqu’à 300 000/an. Le registre RIETE annonce une tendance à la baisse de la mortalité qui serait passée de 12,3 % à 8,2 % (3 mois après une EP massive) entre 1998 et 2005. Les formes d’EP sans TVP ne semblent pas être associées à une mortalité plus élevée à 3 mois de suivi par rapport aux formes d’EP avec TVP (registre OPTIMEV). Ces constatations ont permis de soutenir l’importance du diagnostic des TVP lors d’un diagnostic d’EP. Les EP sans TVP semblent être plus souvent associées aux néoplasies. La progression de ces caractérisations cliniques, associée aux scores pronostiques, ainsi que le développement des molécules antithrombotiques, permettent d’améliorer la prise en charge thérapeutique de l’EP. Les critères de traitement ambulatoire de l’EP restent encore à être consensualisés. Conclusion Le paysage de l’embolie pulmonaire a donc beaucoup évolué depuis les phlébographies hospitalières des années 1960. Les apports techniques, iconographiques, notamment avec le scanner multibarettes, mais également la biologie et la génétique, ont largement modifié les habitudes de pratique tant pour le diagnostic que pour une meilleure évaluation du risque de MTE qui doit être ajusté individuellement. Si la connaissance de ces facteurs de risque est mieux maîtrisée, les études épidémiologiques sont encore nécessaires car elles sont souvent grévées de biais méthodologiques laissant des questions en suspens. Concernant l’incidence et la prévalence, les chiffres peuvent parfois apparaître contradictoires mais là aussi, ces contradictions sont souvent explicables par la différence des populations étudiées. Si l’incidence globale est en augmentation, probablement du fait du vieillissement de la population, la mortalité, elle, tend à diminuer. Au-delà de ces chiffres, les habitudes de pratique ont profondément changé avec la nécessité d’un raisonnement par algorithme et probabilité clinique permettant de rationaliser les examens et les coûts, tout en aboutissant à une prise en charge optimale. L’évolution des traitements a également permis de modifier les pratiques avec le début de la prise en charge ambulatoire de l’EP. Ce qui n’empêche que l’EP reste une maladie mortelle pour laquelle les efforts doivent se poursuivre sur tous les fronts.

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