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Thrombose

Publié le 13 juin 2017Lecture 9 min

Intérêt des registres dans l’embolie pulmonaire

Nicolas MENEVEAU, Pôle Cœur-Poumon, CHU Jean Minjoz, Besançon

Les essais randomisés constituent la manière la plus appropriée de déterminer l’efficacité d’un nouveau traitement ou d’une nouvelle stratégie thérapeutique. Ils souffrent toutefois d’un certain nombre de limitations, essentiellement liées au caractère restrictif des critères d’inclusion. Certaines populations comme celle des patients âgés ou ayant de multiples comorbidités sont sous-représentées dans les essais randomisés. Dans ce contexte, un nombre considérable d’études observationnelles de cohortes et de registres ont été mis en place au cours des quinze dernières années, particulièrement dans le domaine des pathologies cardiovasculaires et précisément de l’embolie pulmonaire.

L’intérêt majeur de ces registres, est de fournir des informations épidémiologiques et pronostiques à partir de populations non sélectionnées, le caractère exhaustif du recrutement constituant alors un gage de qualité des données. Un certain nombre d’écueils doivent cependant être évités. Le fait que la plupart des registres soient constitués sur la base du volontariat des centres participants peut en effet porter atteinte à leur représentativité. Cette représentativité est un élément déterminant des registres d’embolie pulmonaire, dans la mesure où il s’agit d’une pathologie dont la prise en charge implique différentes spécialités. En cela, la situation est très différente de celle qui prévaut dans les syndromes coronariens aigus. La nature et la prise en charge des embolies pulmonaires en réanimation diffèrent évidemment de celles hospitalisées dans un service médical plus conventionnel, qu’il s’agisse d’un service de médecine vasculaire, de pneumologie ou de cardiologie.
Enfin, ce type de registres se doit d’harmoniser les données recueillies afin d’en faciliter l’analyse. À titre d’exemples, les critères échographiques de dysfonction ventriculaire droite ou la définition des complications hémorragiques varient d’un registre à l’autre et rendent difficile l’évaluation de leur valeur pronostique et de leur reproductibilité.

Une source de données épidémiologiques dans l’embolie pulmonaire L’essentiel des données épidémiologiques de la maladie thromboembolique veineuse en général et de l’embolie pulmonaire en particulier, est issu de registres nationaux ou internationaux. Ils ont permis d’établir que la prévalence de l’embolie pulmonaire parmi les patients hospitalisés aux États-Unis était de 0,4 % avec une incidence évaluée à 600 000 cas par an augmentant de façon exponentielle avec l’âge(1). En France, les données d’un registre breton rapportent une incidence de l’embolie pulmonaire de 6 pour 10 000 patients par an(2). C’est à partir de données épidémiologiques provenant de registres nationaux que l’embolie pulmonaire s’est confirmée être une cause majeure de mortalité et d’hospitalisation en Europe. Les registres RIETE(3) et ICOPER(4) rapportent que la mortalité à 30 jours des patients pris en charge pour embolie pulmonaire ou maladie thromboembolique veineuse, variait entre 9 et 11%, et la mortalité à 3 mois entre 8,6 et 17 %. Ces données couplées à des études autopsiques ont surtout souligné le nombre inacceptable d’embolies non diagnostiquées et l’impact pronostique très péjoratif de cette situation(5). Ainsi, 34 % des décès secondaires à une embolie pulmonaire sont des morts subites et 59 % sont la conséquence d’embolies non diagnostiquées.   Les registres d’embolie pulmonaire ont permis de disposer de données exhaustives sur les prédicteurs environnementaux et génétiques d’événements thromboemboliques veineux. Les pathologies cancéreuses, les pathologies infectieuses, les transfusions et les agents stimulants l’érythropoïèse ont récemment été identifiés ou confirmés comme des facteurs prédictifs d’événements thromboemboliques veineux(6). Il en est de même de la grossesse, des traitements estroprogestatifs ou de la fécondation in vitro comme l’a révélé le registre RIETE(7-9). Un registre suédois a en particulier montré que la fécondation in vitro était associée à un risque d’embolie pulmonaire multiplié par 7 au cours du premier trimestre de la grossesse(10). C’est aux registres que l’on doit d’avoir établi que les facteurs de risque athéromateux constituaient également des facteurs prédictifs d’événements thromboemboliques veineux(6, 11). Dans une métaanalyse de données observationnelles, le risque relatif de développer un événement thromboembolique veineux était multiplié par 2,3 (1,68-3,24) chez les patients obèses, par 1,5 (1,23-1,85) chez les hypertendus et par 1,4 (1,12-1,77) chez les diabétiques(11). Registres et études pronostiques Facteurs pronostiques et stratification du risque Les registres offrent l’opportunité d’identifier les facteurs pronostiques de l’embolie pulmonaire. L’impact pronostique de la présentation clinique des patients a été particulièrement étudié dans les registres ICOPER et RIETE(3). Dans ICOPER, 4,5 % des patients présentaient une instabilité hémodynamique initiale responsable d’une mortalité précoce élevée (52 % à 3 mois). Dans RIETE(3), les patients avec embolie pulmonaire massive (ou à haut risque) avaient un risque de décès multiplié par 17,5. Ce registre a par ailleurs permis l’identification d’un grand nombre de facteurs pronostiques cliniques ou biologiques. L’âge, une pathologie cancéreuse évolutive(12, 13), le caractère symptomatique de l’EP(14), l’obésité(15), la coexistence d’une insuffisance rénale(16) ou d’une bronchopneumopathie obstructive(17) ont ainsi été identifiés comme autant de facteurs de risque de mortalité après embolie pulmonaire. Certaines anomalies biologiques comme la présence d’une anomalie thrombophilique, la persistance d’un taux de D-dimères élevé, une hyperplaquettose ou une hyperleucocytose impactent également le pronostic de ces patients ou sont associées à un risque de récidives accru(18-22). Les registres MAPPET et ICOPER ont pour la première fois mis en évidence l’impact pronostique d’une dysfonction ventriculaire droite échographique à la phase aiguë de l’embolie pulmonaire(4, 23). La présence d’une hypokinésie de la paroi libre du ventricule droit était associée à un doublement de la mortalité à 3 mois (figure 1). Ce constat a depuis été confirmé à maintes reprises(23), avec différents critères échographiques, voire plus récemment à l’aide de critères scannographiques de dilatation du ventricule droit ou de critères biologiques d’élévation du BNP ou du NT-proBNP. Figure 1. Impact d’une dysfonction ventriculaire droite échographique sur la mortalité à 3 mois(4). L’identification de ces facteurs pronostiques, auxquels il convient d’ajouter l’élévation de la troponine comme témoin de l’ischémie myocardique du ventricule droit, a permis d’établir une stratification du risque de mortalité précoce telle qu’elle prévaut aujourd’hui dans les guidelines de la Société européenne de cardiologie(6). La prise en compte de critères simples comme la présence ou non d’une instabilité hémodynamique, d’une dysfonction ventriculaire droite ou d’une élévation de la troponine, permet de distinguer les embolies pulmonaires à haut risque (mortalité précoce > 15 %) des embolies pulmonaires à risque intermédiaire (mortalité comprise en 3 et 15 %) ou à bas risque (mortalité ≤ 1 %)(23-25) (figure 2). * PESI : Pulmonary Embolism Severity Index Figure 2. Stratification du risque de mortalité précoce : guidelines ESC 2014(6). Au même titre que les études de cohorte, les registres devraient apporter une aide considérable au suivi longitudinal des patients avec embolie pulmonaire. On manque en effet cruellement de données sur l’évolution au long terme des embolies et sur les modalités du suivi de ces patients(26). On sait par exemple, comme les données du registre Franc-Comtois ont permis de l’identifier, que la persistance d’une amputation vasculaire pulmonaire résiduelle ≥ 35 % en scintigraphie en fin d’hospitalisation était associée à un risque accru de mortalité à 6 mois chez les patients avec embolie pulmonaire à risque intermédiaire ou élevé(27) (figures 3a et 3b). La persistance d’une dysfonction ventriculaire droite après 48 heures de traitement constituait également des éléments de mauvais pronostic, au même titre que la présence d’un cancer ou d’une insuffisance rénale à l’entrée. Ces résultats plaident donc en faveur d’une évaluation précoce de l’efficacité du traitement initial par la réalisation d’une échographie cardiaque ou une scintigraphie avant la sortie du patient. Figure 3a. Figure 3b. Figures 3a et 3b. Obstruction vasculaire pulmonaire résiduelle et mortalité à 6 mois(27). Un outil d’évaluation de la prise charge des embolies pulmonaires Évaluer la compliance aux « guidelines » À l’heure où les démarches d’évaluation de qualité des soins se multiplient, les registres constituent un outil performant pour évaluer la prise en charge des patients. Le registre canadien RECOVERY a étudié la compliance aux « guidelines » dans la prise en charge de 868 patients ayant une pathologie thromboembolique veineuse (thrombose veineuse profonde ou embolie pulmonaire)(28). Seulement 59 % des patients ayant une pathologie cancéreuse évolutive étaient traités par héparine de bas poids moléculaire et pour 57 % de ces patients le traitement ne dépassait pas 3 mois. Enfin, une thromboprophylaxie n’avait été instaurée en amont de l’événement thrombo-embolique veineux que chez 38 % des patients le justifiant. Disposer d’informations sur les patients exclus des essais randomisés Les registres permettent encore de focaliser l’attention sur des sous-populations habituellement mal ou non représentées dans les essais randomisés. Dans RIETE, l’administration d’un traitement anticoagulant initial par héparine non fractionnée plutôt que par héparine de bas poids moléculaire est associée à une surmortalité et à un risque accru d’embolie pulmonaire fatale chez les patients insuffisants rénaux (ClCr ≤ 30 ml/min) ou chez ceux dont la clairance est > 60 ml/min(13). En l’occurrence, c’est la masse critique de patients (38 531 patients) qui crédibilise les résultats observés dans ces groupes habituellement négligés. Ce même registre a ainsi pu établir que les patients souffrant de cancer avaient un risque élevé de complications hémorragiques sous traitement anticoagulant, qui persistaient au-delà du 3e mois. Un tiers de ces complications hémorragiques étaient responsables du décès des patients(29). Évaluation des traitements dans la vie réelle L’analyse de l’efficacité du traitement thrombolytique a beaucoup tiré profit des données de registre. La taille le plus souvent réduite des études randomisées n’a pas permis pas de disposer d'informations élargies. On sait aujourd'hui que l’amélioration rapide de la fonction ventriculaire droite et de la perfusion vasculaire pulmonaire témoigne de l’efficacité du traitement thrombolytique dans la prise en charge des embolies à risque intermédiaire ou élevé, comme cela a pu être rapporté dans le registre Franc-Comtois(30). En cas d’échec de la thrombolyse, le recours à une embolectomie chirurgicale s’est par ailleurs révélée être l’option thérapeutique la plus efficace et la plus sûre, comparée à une deuxième thrombolyse(31). Les complications hémorragiques sévères constituent un facteur prédictif d’évolution défavorable bien établi chez les patients souffrant de pathologies cardiovasculaires nécessitant un traitement antithrombotique. Dans l’embolie pulmonaire, les données de registres ont établi que les complications hémorragiques survenant sous traitement anticoagulant au long cours étaient associées à un risque accru de décès et de récidives d’événements thromboemboliques veineux(32-35) (figure 4). Un certain nombre de scores hémorragiques ont été élaborés, qui identifient les patients susceptibles de développer une hémorragie lors du traitement anticoagulant au long cours(36-39), ou lors de l’instauration d’un traitement préventif chez les patients hospitalisés(40). Ont été identifiés comme associés à un risque hémorragique accru l’âge > 75 ans (OR = 2,16), la présence d’un cancer métastatique (OR = 3,80), une immobilité ≥ 4 jours (OR = 1,99), un saignement majeur < 30 jours (OR = 2,64), une thrombopénie < 100 000/mm3 (OR = 2,23), une clairance de la créatinine < 30 ml/min (OR = 2,27), une anémie (OR = 1,54), et une thrombose veineuse profonde distale (OR = 0,39)(36). On dispose en outre de peu d’informations sur l’impact des complications hémorragiques hospitalières précoces survenant dans le cadre de la prise en charge d’une embolie pulmonaire aiguë. Le registre polonais ZATPOL a récemment rapporté que les complications hémorragiques hospitalières constituaient un facteur de risque indépendant de mortalité précoce et à 3 mois, au même titre que les embolies pulmonaires avec instabilité hémodynamique ou la présence d’un cancer(41). Dans ce contexte, l’implantation d’un filtre cave chez les patients à haut risque hémorragique était associée à une réduction du risque d’embolie pulmonaire fatale dans le registre RIETE, au prix d’une majoration des récidives d’événements thromboemboliques veineux(42). Figure 4. Incidence cumulée des complications hémorragiques sous traitement anticoagulant(33). Plus récemment le registre européen PREFER-VTE a révélé que 4 % des patients traités dans le cadre d’une thrombose veineuse profonde ou d’une embolie pulmonaire avaient été victimes d’un événement hémorragique dans les 3 mois précédents (résultats présentés au congrès de l’ESC 2014, Barcelone). Cela confirme que les patients traités en pratique clinique quotidienne ont un profil très différent de ceux inclus dans les essais randomisés.   Enfin, les registres offrent l’opportunité unique d’évaluer l’efficacité et la sécurité d’emploi des nouveaux anticoagulants en pratique clinique quotidienne. Cette étape incontournable, au même titre que les études de cohorte observationnelles, permet de confirmer les résultats des études randomisées et de s’assurer de l’absence d’événements indésirables qui pourraient ne pas être identifiés à partir des populations très sélectionnées de ces essais. À titre d’exemple, un registre allemand (Dresden NOAC Registry) a montré que le traitement par anti-Xa au long cours (instauré après 6 mois de traitement anticoagulant) se montrait aussi efficace et sûr d’utilisation que l’étude EINSTEIN Extension l’avait rapporté (résultats présentés au congrès européen de l’ESC 2013, Amsterdam). À 18 mois, le taux de récidives d’événements thromboemboliques veineux était de 1 % et le taux de complications hémorragiques majeures était de 1,9 %. Le registre international GARFIELD-VTE devrait être en mesure d’apporter une somme d’informations importantes concernant le traitement par anti-Xa de la maladie thromboembolique veineuse dans « la vie réelle ». Conclusion Un nombre important de registres dédiés à l’embolie pulmonaire ont été mis en place ces dernières années et ont apporté une importante somme d’informations d’ordre épidémiologique, clinique ou thérapeutique. Beaucoup de ces informations ont conduit à modifier la perception que nous avions de cette pathologie, en révélant la sévérité de son pronostic. L’identification de facteurs pronostiques a permis de stratifier le risque de mortalité précoce qui conditionne aujourd’hui la prise en charge thérapeutique de l’embolie pulmonaire. On dispose en outre maintenant de données sur des groupes de patients le plus souvent exclus des grands essais cliniques. Beaucoup reste à faire, en particulier sur le suivi au long cours des embolies pulmonaires ou sur l’application des recommandations en vigueur. L’avènement récent des nouveaux anticoagulants offre aux registres une opportunité exceptionnelle d’évaluer dans la vie réelle l’apport de ces molécules qui sont amenées à bouleverser la prise en charge des pathologies thromboemboliques veineuses à court terme.

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