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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 01 nov 2017Lecture 8 min

La fibrillation atriale : facteur ou marqueur du risque thromboembolique ?

Jean-Yves LE HEUZEY, Hôpital européen Georges Pompidou, Université René Descartes, Paris

Le nombre de patients atteints de fibrillation atriale (FA) croît régulièrement et approche le million en France, la même constatation étant faite dans tous les pays développés, principalement du fait du vieillissement de la population. En France, le nombre d’hospitalisations avec la FA pour diagnostic, principal ou secondaire, augmente très régulièrement. Le lien avec l’âge a été prouvé depuis longtemps, notamment dans l’étude de Framingham.
L’une des principales complications de la FA est constituée par les accidents thromboemboliques, principalement l’accident vasculaire cérébral (AVC), classiquement par thrombose de l’oreillette gauche et embolie dans une artère cérébrale. On considère depuis de nombreuses années qu’environ 15 % des AVC sont attribuables à la FA, mais le mot attribuable peut faire débat. L’histoire récente des stratégies d’anticoagulation des patients en FA peut éclairer à ce sujet.

Intérêt du traitement par la warfarine   Il y a une trentaine d’années, il existait un scepticisme certain quant à l’intérêt d’anticoaguler les fibrillations atriales (FA) qui n’étaient pas en rapport avec une valvulopathie connue comme augmentant le risque thromboembolique. C’est ainsi qu’un certain nombre d’études, AFASAK, SPAF, BAATAF, CAFA, SPINAF et EAFT ont été faites avec des groupes warfarine, aspirine et placebo. Les résultats ont été démonstratifs et parfaitement homogènes : la warfarine diminue le nombre d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) d’environ 60 %, l’aspirine d’environ 20 %. Une autre pierre importante à l’édifice a été apportée par l’étude BAFTA qui a comparé warfarine et aspirine chez des patients âgés, montrant que la warfarine faisait mieux que l’aspirine en termes d’accidents thromboemboliques mais qu’elle ne donnait pas plus d’hémorragies que l’aspirine. La proposition qui prévalait jusqu’alors, c’est-à-dire qu’il valait mieux traiter les patients âgés par aspirine et les patients plus jeunes par warfarine, s’est alors inversée, les plus âgés ayant bien entendu un risque hémorragique élevé mais également le risque thromboembolique le plus élevé. Il a également été essayé la double antiagrégation plaquettaire (aspirine + clopidogrel), c’était le cas de l’étude ACTIVE W, pour la comparer à la warfarine, espérant qu’elle ferait mieux. Là aussi, l’association est largement moins efficace en termes thromboemboliques et la warfarine ne cause pas plus d’hémorragies. Il n’en reste pas moins que le traitement par anti-vitamine K (AVK) est réellement difficile à réaliser au quotidien. En effet, le thérapeute se trouve sous l’effet d’une double contrainte : si l’INR est trop bas, il existe un risque d’AVC embolique, s’il est trop haut un risque de saignement intracrânien. Une des raisons de cette étroitesse et de ce rapport bénéfice/risque faible est l’énorme variabilité inter- et intra-individuelle de ce médicament. Pour certains patients, il suffit de donner un quart de comprimé tous les 2 jours pour avoir un INR à 2,5 alors que d’autres en nécessitent 2 par jour. Ce rapport de 1/16 est réellement gigantesque et n’a aucune comparaison dans la thérapeutique. On n’imagine pas un médicament pour lequel il faudrait donner 1 comprimé à l’un et 16 comprimés à l’autre pour avoir le même effet ! Les limites de la thérapie par les AVK sont donc nombreuses : réponse peu prédictive, fenêtre thérapeutique étroite, nécessité d’un monitorage de la coagulation, début d’action lente à l’initiation, rémanence à l’arrêt, nécessité d’ajustements de doses fréquents, nombreuses interactions avec la nourriture et avec d’autres médicaments. C’est la raison pour laquelle tous les efforts de recherche ont porté ces dernières années sur le développement de nouveaux anticoagulants qui auraient la même efficacité, le même rapport bénéfice/risque, mais qui n’aurait pas une telle variabilité, permettant d’éviter le monitorage continu.   Intérêt du traitement par les anticoagulants  oraux directs   Compte tenu des limites des AVK, la recherche s’est tournée dans la dernière décennie vers des anticoagulants qui n’auraient pas ces inconvénients et qui agissent directement sur l’un des facteurs de la coagulation. C’est ainsi qu’ont été développés le dabigatran, anti-IIa, c’est-à-dire antithrombine, le rivaroxaban, l’apixaban et l’edoxaban qui sont des anti-Xa. Le premier essai ayant montré l’intérêt de ce type de médicament a été l’étude RE-LY (tableau) qui a établi la non-infériorité par rapport à la warfarine, mais a surtout montré une diminution très importante des hémorragies intracrâniennes. Ce bénéfice a été retrouvé dans les autres études que sont ROCKETAF avec le rivaroxaban, ARISTOTLE avec l’apixaban ou encore ENGAGE AF TIMI 48 avec l’edoxaban. Une métaanalyse a été réalisée à partir de ces 4 essais. Globalement, on peut rapporter qu’il existe une diminution des hémorragies avec les anticoagulants oraux directs (AOD) par rapport à la warfarine, sauf pour les hémorragies gastro-intestinales. Ce gain est surtout obtenu grâce à la diminution des AVC hémorragiques. Le gain le plus important est obtenu avec l’apixaban mais on ne peut, stricto sensu, comparer les essais entre eux. En matière de prévention des accidents ischémiques, seul le dabigatran à la dose de 150 mg fait mieux que la warfarine. Tous font mieux qu’elle en ce qui concerne les AVC hémorragiques. Les dernières recommandations européennes de 2016 (figure) précisent qu’en cas de score CHA2DS2VASc à 0, aucun traitement anticoagulant ou antiplaquettaire n’est nécessaire. En cas de score CHA2DS2VASc ≥ 2, l’anticoagulation orale est indiquée. Ces recommandations européennes donnent une préférence aux AOD par rapport à la warfarine. Pour ce qui est du score CHA2DS2VASc 1, la recommandation existe mais est moins insistante. Figure. Recommandations 2016 de la Société européenne de cardiologie pour le traitement antithrombotique dans la fibrillation atriale. D’après Kirchhof P et al. 2016 ESC Guidelines for the management of atrial fibrillation developed in collaboration with EACTS. Eur Heart J 2016 ; 37 : 2 893-962.   Évaluation du risque thrombo-embolique/hémorragique et situations particulières   Malgré la relative simplicité des recommandations, il existe beaucoup de situations qui ne sont pas si simples : que faire chez les patients avec un score de CHA2DS2VASc 1, est-ce que le choix des faibles dosages est toujours approprié, à quels patients faut-il les donner, faut-il anticoaguler de la même façon les FA paroxystiques, persistantes et permanentes, comment différencier FA valvulaire et non valvulaire, quelle est la stratégie thérapeutique chez les patients qui ont à la fois une insuffisance coronaire et une fibrillation ?, etc. Tous ces cas de figure sont des situations particulières mais excessivement fréquentes du fait de la multiplicité des situations qui peuvent conduire à la FA et de l’importance des comorbidités chez ces patients. Deux points méritent un développement particulier dans cette problématique « facteur ou marqueur du risque » : celui du rapport chronologique entre FA et AVC, d’une part, et celui de l’analyse des causes de décès des patients ayant une FA, d’autre part. Il est apparu depuis quelques années que dans beaucoup de cas de patients victimes d’AVC et qui étaient appareillés d’un pacemaker ou d’un défibrillateur avec fonctions Holter, on ne retrouvait pas obligatoirement de rapport chronologique entre les épisodes de FA et la survenue de l’AVC. Cette constatation a été retrouvée dans plusieurs études, chaque fois que cela a été recherché (ASSERT, TRENDS, IMPACT). Ces faits troublants indiquent que pour certains patient, la FA n’est pas directement le facteur de l’accident thromboembolique, c’est-à-dire un caillot présent dans l’oreillette migrant vers une artère cérébrale, mais plutôt un simple marqueur du risque chez des patients ayant exactement le même profil que ceux qui sont victimes d’une réelle embolie. Des études (NOAH, ARTESIA) sont en cours chez ces patients pour savoir si la découverte d’épisodes de FA asymptomatique sur les fonctions Holter des dispositifs nécessitent obligatoirement de les anticoaguler. Certains patients peuvent parfaitement avoir un profil très proche sans que l’embolie provenant de l’oreillette soit réellement la cause de l’AVC. La FA peut être la conséquence de l’AVC (très rarement, probablement 1 à 2 % des cas), l’imagerie peut détecter une hémorragie cérébrale et enfin, une autre cause possible d’ischémie cérébrale est présente dans à peu près un quart des cas : sténose carotide, athérome aortique, hypertension artérielle, infarctus lacunaire. D’autres facteurs peuvent être analysés chez les patients en FA pour être sûr que c’est vraiment la fibrillation qui est la responsable comme des marqueurs électrocardiographiques, ou encore bien entendu la taille de l’oreillette en échographie, critère qui ne figure pas dans le score de CHA2DS2VASc. De même, on peut prendre en compte, outre cette taille de l’oreillette et le type de FA déjà évoqué précédemment, l’insuffisance rénale, la présence d’un syndrome d’apnée du sommeil, l’obésité ou encore la présence d’un syndrome métabolique. Par ailleurs, il y a maintenant beaucoup d’éléments qui permettent de constater que les événements et accidents thromboemboliques et hémorragiques ne constituent pas la majorité des décès dans la FA. Ceci avait déjà été évoqué dans l’étude de Framingham où l’on avait constaté que l’essentiel des décès survenait peu de temps après le diagnostic de FA sous-tendant qu’ils étaient peut-être dus à une autre cause. Dans l’étude RE-LY, nous avons constaté que les décès en rapport avec des AVC ou des embolies systémiques ne constituaient que 7 % de tous les décès, les causes les plus fréquentes étant l’insuffisance cardiaque progressive et la mort subite. Ceci a été également retrouvé dans d’autres études et dans le registre GARFIELD-AF, qui réunit plus de 50 000 malades, où l’on voit clairement que c’est au cours des premiers mois que surviennent la majorité des décès, des accidents emboliques et des saignements majeurs.   En pratique   La décision d’anticoaguler les patients dans la FA est un compromis entre deux risques, thromboembolique et hémorragique. La FA est l’une des causes principales des AVC emboliques du fait d’un caillot venant principalement de l’auricule gauche. Cependant, dans certains cas, l’embolie peut venir d’une autre source (arche aortique, carotides par exemple) chez des patients avec les mêmes facteurs de risque. Et finalement, chez d’autres patients, l’AVC n’est pas embolique et n’est pas directement en lien avec la FA, mais survient chez des patients ayant le même profil en termes de facteurs de risque thromboembolique. Les médicaments antithrombotiques ont démontré, dans des essais cliniques randomisés, une efficacité pour diminuer le nombre d’AVC chez les patients en FA. L’efficacité est haute pour la warfarine et les AOD, modeste pour les antiplaquettaires, probablement parce qu’ils diminuent les accidents vasculaires thromboemboliques, mais peutêtre également les autres AVC ischémiques. Les AOD sont au moins non inférieurs aux AVK, ils ont été supérieurs dans certains essais et ils diminuent de façon majeure le nombre de saignements intracrâniens dans tous ces essais par rapport à la warfarine. En ce qui concerne la mortalité, malgré une diminution modeste observée avec les AOD par comparaison à la warfarine, la proportion de décès dus aux AVC dans la FA reste basse, par comparaison aux décès par mort subite ou insuffisance cardiaque. Si la FA est un facteur d’AVC cardioembolique, l’intérêt des médicaments antithrombotiques est majeur (les anticoagulants, pas les antiplaquettaires). Dans les cas où la FA n’est qu’un marqueur du risque d’AVC, il est possible que tous les antithrombotiques soient intéressants mais pour le préciser, des recherches restent nécessaires afin d’obtenir des démonstrations basées sur les preuves.

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