Thérapeutique
Publié le 16 jan 2018Lecture 6 min
Prééclampsie : extension du domaine de l’aspirine ?
Daniel ROTTEN, Hôpital Delafontaine, Saint-Denis
L’aspirine est la seule molécule qui ait démontré une certaine efficacité dans la prévention de la survenue d’une prééclampsie au cours de la grossesse. Les métaanalyses montrent des résultats divergents, mais on retient généralement que l’administraion d’aspirine permet une diminuion du taux de survenue d’environ 10 % lorsque les paientes appariennent à un groupe à haut risque de développer une prééclampsie. Des analyses de sous-groupes ont montré une efficacité accrue lorsque la posologie est supérieure à 100 mg par jour, en prise unique le soir, et que l’administraion est débutée avant 16 semaines d’aménorrhée(1). La diminuion d’incidence peut alors ateindre 40 %(2). Enfin, l’efficacité de l’aspirine paraît plus marquée sur la prééclampsie préterme(3).
Deux importantes questions concernant la pathologie hypertensive et la grossesse ont fait l’objet de mises au point récentes : peut-on prédire (et prévenir) la survenue d’une prééclampsie au cours de la grossesse ? Quelles sont les conséquences à long terme chez les mères qui ont présenté une pathologie hypertensive au cours d’une grossesse ? Cette revue de presse abordera la première question.
Comment identifier, dès le début de la grossesse, les patientes à risque de développer une prééclampsie ?
En pratique, on se base sur les facteurs de risque dits « a priori » : caractéristiques maternelles, antécédents médicaux et obstétricaux.
Le National Insitute of Clinical Excellence (NICE) britannique a proposé de classer les facteurs de risque a priori en deux groupes (tableau 1). Pour ce groupe d’experts, la présence d’un facteur de haut risque suffit à recommander la prescripion d’aspirine dès le début de la grossesse. Chez les patientes ayant des facteurs de risque modérés, la prescripion est recommandée si deux facteurs au moins sont présents(4). Cependant, cette attitude n’a pas fait l’objet d’évaluation à grande échelle.
L’American College of Obstetricians and Gynecologists, dans une réactualisation de 2016, base également sa recommandation sur la présence d’au moins un facteur de risque élevé(5). La liste est pratiquement identique à celle des facteurs de haut risque du NCC-WCH, les grossesses multiples faisant partie des facteurs de risque élevés.
En France, la prescription d’aspirine est recommandée aux patientes ayant un antécédent personnel de prééclampsie. En revanche, elle n’est pas indiquée chez les autres patientes, même si elles présentent un facteur de risque identifié (HTA chronique, obésité, diabète prégestationnel, maladie rénale chronique, grossesse obtenue par PMA, anomalies du Doppler utérin ou de différents biomarqueurs au premier trimestre(6).
Une approche globale
Le groupe de Kypros Nicolaïdes travaille sur le sujet depuis plusieurs années. Ces investigateurs ont développé une approche globale. La prise en compte des facteurs de risque a priori est complétée par la mesure de quatre biomarqueurs du 1er trimestre. Par ailleurs, l’ensemble de ces facteurs ne sont pas considérés séparément, mais intégrés à l’aide d’une analyse multivariée. Les facteurs de risque a priori retenus (tableau 2) permettent de calculer pour chaque patiente un risque de base(7).
Les quatre biomarqueurs du 1er trimestre sélectionnés ont comme caractéristique d’avoir une valeur corrélée à la date de survenue d’une prééclampsie rendant nécessaire un accouchement avant terme, que la raison soit maternelle ou fœtale. La valeur de deux d’entre eux est corrélée négativement avec la durée de la gestation : la pression artérielle moyenne mesurée lors de la première consultation et la vélocimétrie doppler des artères utérines au 1er trimestre. Deux ont une valeur corrélée positivement, les taux de pregnancy-associated plasma protein-A (PAPP-A) et de placental growth factor (PlGF). Les différents paramètres sont combinés dans un algorithme issu d’une analyse mulivariée par régression logistique.
Elle permet de calculer une valeur de risque pour chaque patiente. Cette méthodologie permet, au prix de 10 % de faux-positifs, d’obtenir un taux de détection de 54 % des prééclampsies, tous termes confondus ; de détecter 77 % des patientes qui nécessiteront un accouchement à 37 SA ou avant, et 96 % des patientes qui nécessiteront un accouchement à 34 SA ou avant(7).
Quelle est l’efficacité de l’aspirine en début de grossesse ?
A partir de cette approche, Ranjit Akolekar et coll. (N Engl J Med 2017) ont évalué l’efficacité de l’administration préventive d’aspirine en début de grossesse dans un groupe de patientes à haut risque.
L’étude est multicentrique, en double aveugle, principe actif contre placebo.Il s’agit de grossesses avec des fœtus singletons et sans anomalie morphologique lors de l’inclusion.
• Population-cible
Il s’agit de patientes dont le risque calculé de présenter une grossesse avec une prééclampsie lors de leur accouchement avant le terme de 37 SA est supérieur à 1 %. Cette valeur est établie selon l’algorithme présenté précédemment. Le seuil choisi correspond à une sensibilité de détection de 77 % des prééclampsies préterme pour un taux de sujets dits à « haut risque » de 10 %. L’algorithme est fourni en annexe à la publication, accompagné d’une adresse de calculateur en ligne : htps://fetalmedicine.org/research/assess/preeclampsia
• Principe actif
L’aspirine est administrée à la posologie de 150 mg/j. L’administration est débutée entre 11 et 13 SA, et arrêtée à 36 SA ou en début de travail. Les modalités d’administration respectent les critères recommandés (prise unique le soir, administration débutée avant 16 SA), et la compliance est monitorée.
• Critères de jugement
Le critère principal est l’existence d’un accouchement avec une prééclampsie avant 37 SA ; les critères secondaires prennent en compte diverses complications : hypertension gravidique, retard de croissance in utero sans prééclampsie, mort fœtale in utero sans prééclampsie, HRP sans prééclampsie, accouchement prématuré sans prééclampsie.
• Analyse statistique
Le taux de prééclampsie préterme attendu est de 7,6 % dans le groupe placebo et la réduction attendue par prise d’aspirine est de 50 %, soit un taux résultant de 3,8 %. L’inclusion d’environ 1 800 patientes est nécessaire pour avoir la puissance statistique suffisante.
• Résultats
Sur près de 30 000 patientes ayant bénéficié d’un dépistage du 1er trimestre, 2 971 (11 %) sont à haut risque de prééclampsie. Après diverses exclusions, 1 620 patientes participent à l’étude (798 dans le groupe aspirine et 822 dans le groupe placebo). Le risque moyen d’accoucher à ≤ 37 SA en présentant une prééclampsie, calculé chez ces patientes est de 2,5 %. La pertinence de la sélection est attestée par le taux élevé de retards de croissance qui sera observé sur l’ensemble de la cohorte (plus de 20 % de nouveau-nés de poids inférieur au 10e percentile).
Une prééclampsie est présente lors d’un accouchement avant 37 SA chez 35 patientes du groupe placebo, soit 4,3 %, et chez 13 patientes du groupe aspirine, soit 1,6 %. L’odds ratio ajusté est de 0,38 (IC95 % : 0,20-0,74 ; p = 0,004).
L’analyse statistique ne fait pas apparaître d’effet de l’aspine sur le taux de prééclampsie avant 34 SA ni après 37 SA. Enfin, il n’y a pas d’effet de l’aspirine sur les divers critères d’analyse secondaires.
Conclusion
L’étude prouve une efficacité certaine de l’aspirine puisqu’on observe une baisse de l’incidence de prééclampsies préterme supérieure à 60 %. Mais il faut retenir les limites de l’étude :
– sélection d’un groupe à haut risque, ce qui nécessite une première consultation de grossesse précoce et, outre le recueil de données cliniques, des dosages biologiques et la réalisation d’un Doppler utérin ;
– modalités d’administration de l’aspirine précises : posologie de 150 mg/j, administration débutée entre 11 et 14 SA, prise unique le soir.
Il faut retenir également deux autres limites. D’une part, l’effet de l’aspirine est limité à la prééclampsie survenant entre 34 et 37 SA, mais absent sur les prééclampsies entre 34 et 37 SA. Egalement l’aspirine pourrait ne pas avoir d’effet en cas d’hypertension chronique… Ce dernier résultat a été obtenu dans une analyse post hoc de sous-groupes, publiée séparément(9). Pour des raisons méthodologiques, il doit donc encore être considéré avec prudence.
• Rolnik DL, Wright D, Poon LC, O’Gorman N, Syngelaki A, de Paco Matallana C, Akolekar R, Cicero S, Janga D, Singh M, Molina FS, Persico N, Jani JC, Plasencia W, Papaioannou G, Tenenbaum-Gavish K, Meiri H, Gizurarson S, Maclagan K, Nicolaides KH. Aspirin versus placebo in pregnancies at high risk for preterm preeclampsia. N Engl J Med 2017 ; 377 : 613-22.
"Publié dans Gynécologie Pratique"
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