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Vasculaire

Publié le 27 fév 2018Lecture 7 min

Phénomène de Raynaud : intérêt de la capillaroscopie

Patricia SENET, Hôpital Tenon, Paris

Au cours de la démarche diagnostique d’un phénomène de Raynaud (PR), l’enjeu est de déterminer s’il s’agit d’un PR primitif, anciennement dénommé maladie de Raynaud, ou d’un PR secondaire à une connectivite. Parmi les PR secondaires, les causes les plus fréquentes chez les femmes sont les connectivites débutantes, au 1er rang desquelles la sclérodermie. La sclérodermie systémique est responsable d’un PR sévère et bilatéral, survenant dans les 5 ans précédant les manifestations cliniques des atteintes systémiques.
Chez l’homme, les PR primitifs sont plus rares que chez la femme. Une artériopathie des membres supérieurs doit être systématiquement recherchée à l’examen clinique si le PR est unilatéral.

La capillaroscopie permet de visualiser par un grossissement entre x50 et x200 la morphologie et l’organisation des capillaires situés sur le lit unguéal, grâce à un microscope et à de l’huile d’immersion. Les indications de la capillaroscopie se sont étendues depuis 10 ans, non seulement pour le diagnostic étiologique des phénomènes de Raynaud (PR), mais aussi pour le suivi, avec la possibilité de stocker les images et de les comparer d’une année sur l’autre. L’analyse des anomalies qualitatives et quantitatives observées en capillaroscopie est très proche du raisonnement dermatologique, visuel, basé sur l’analyse des lésions primaires, proche d’ailleurs de la dermoscopie, d’où la facilité des dermatologues à se former dans ce domaine.   Réalisation pratique de la capillaroscopie   Une capillaroscopie est réalisée à température ambiante entre 22 et 26 °C pour éviter la vasoconstriction, sur tous les doigts des 2 mains sauf les pouces. L’observation est réalisée grâce à une épi-illumination en lumière froide et un microscope. La vidéo-capillaroscopie est le couplage du microscope à une caméra numérique haute définition et un ordinateur. L’image est alors visible sur l’écran de l’ordinateur où elle peut être figée puis archivée. Sur l’image figée, on peut facilement zoomer, déplacer une règle de mesure permettant le comptage des capillaires, ou mesurer le diamètre des vaisseaux (figure 1). Une hyperkératose du repli unguéal peut être un facteur limitant la visualisation des capillaires, ainsi qu’une pigmentation de la peau. Seuls les capillaires fonctionnels sont visualisés puisqu’on ne voit pas la paroi capillaire mais le flux sanguin moulant le capillaire. Figure 1. Capillaroscopie normale avec mire de 1 mm. Capillaires parallèles, en U inversé. Densité capillaire de 11/mm. L’utilisation d’un dermoscope, grossissant de 10 à 15 fois, permet dans la plupart des cas d’identifier les principales anomalies qualitatives d’un paysage sclérodermique, avec notamment visualisation des hémorragies, des mégacapillaires et des plages désertes. Cependant, le dermoscope ne permet pas une évaluation quantitative de qualité, notamment de la densité capillaire, ni un suivi capillaroscopique.   Principales anomalies capillaroscopiques Capillaroscopie normale (figures 1 et 2) Figure 2. Dystrophies mineures : anse en créneau et en caducée ; papilles dermiques bien visibles (halo clair au-dessus des anses capillaires). Mire de 1 mm sans diminution de la densité capillaire. Une capillaroscopie normale est caractérisée par une organisation régulière des capillaires, en U inversé, répartis de façon homogène sur le repli unguéal, parallèles entre eux avec une densité comprise entre 9 et 14 capillaires/mm, toujours supérieure à 8. Le diamètre des anses est inférieur à 20 μm. Les anomalies non spécifiques ou dystrophies mineures peuvent être observées mais en nombre faible, inférieur à 15 % des capillaires : distorsion en créneau, caducée ou boucle. Des dilatations capillaires peuvent être observées. Elles sont définies par des anses de diamètre compris entre 20 μm et 50 μm.   Microangiopathie organique non spécifique (figure 3) Figure 3. Microangiopathie organique non spécifique avec nombreuses dystrophies mineures (plus de 15 % des capillaires) et hémorragies. Capillaroscopies au même endroit à 1 an d’intervalle (A et B) : apparition d’une diminution de la densité capillaire en B. Par définition, elle se caractérise par l’absence de mégacapillaires ou de plages avasculaires. La présence de dystrophies mineures sur plus de 15 % des capillaires, ou de quelques dystrophies ramifiées inférieures à 15 % des capillaires, de capillaires dilatés en totalité ou sur certaines parties de l’anse, de quelques microhémorragies, d’une distribution non homogène des anses, sont des évènements anormaux, définissant une capillaroscopie avec des anomalies non spécifiques, sans orientation diagnostique. L’observation de ces anomalies, plus ou moins associées entre elles, incite à la surveillance capillaroscopique.   Microangiopathie organique spécifique ou paysage sclérodermique Le paysage sclérodermique est l’ensemble des anomalies visibles à la capillaroscopie, témoignant d’une microangiopathie organique spécifique de la sclérodermie, de la dermatomyosite ou des connectivites mixtes ou de chevauchement(1) : 90 à 100 % des sclérodermies présentent un paysage sclérodermique à la capillaroscopie, 50 à 65 % des connectivites mixtes et 30 à 75 % des dermatomyosites. Une large étude prospective a confirmé que les 3 anomalies suivantes étaient des facteurs prédictifs de sclérodermie, de dermatomyosite ou de connectivite mixte : – la présence de mégacapillaires (figure 4), – la diminution de la densité capillaire (figure 5) voire des plages avasculaires c’est-à-dire avec moins de 2 capillaire/mm, – la présence de capillaires ramifiés (figure 6). D’autres anomalies sont souvent présentes : – des micro-hémorragies témoignant d’une souffrance endothéliale, responsable d’une extravasation d’hématies au-dessus des sommets des capillaires, souvent en piles d’assiettes (figure 3) ; – une désorganisation du réseau capillaire avec perte du parallélisme des anses et de l’alignement des rangées, à un stade plus tardif, associant à la fois des zones de faible densité capillaire, et des zones de néoangiogenèse capillaire dues à l’hypoxie : dilatation et ascension des plexus, dystrophies ramifiées (figure 5). Figure 4. Mégacapillaire (flèche noire, diamètre par définition > 50 μ) avec hémorragies en pile d’assiettes (flèche verte) au-dessus témoignant de la souffrance endothéliale. Figure 5. Paysage sclérodermique typique associant une plage avasculaire : zone (flèche noire) à un nombre de capillaires inférieur à 2/mm (mire en vert de 1 mm de longueur), des hémorragies (*) et des mégacapillaires (**). Figure 6. Plage avasculaire, dystrophies ramifiées en feuille de fougère, témoignant d’une néoangiogenèse, avec désorganisation architecturale majeure. Comment interpréter un résultat de capillaroscopie ? Au cours du phénomène de Raynaud Le PR est l’indication principale de la capillaroscopie. L’enjeu est de dépister une sclérodermie (ScS) précocement, car le PR précède les autres signes cliniques de ScS de 5 à 10 ans. En effet, cet examen, avec la recherche d’anticorps antinucléaires (AAN), fait partie du bilan minimal, en plus de l’interrogatoire et de l’examen clinique, pour différencier un PR primaire d’un PR secondaire(2). Au cours du suivi d’un PR, le risque de développer une ScS si les AAN sont négatifs et la capillaroscopie normale est inférieure à 10 % à 5 ans dans une étude rétrospective, entre 10 et 50 % si les AAN sont positifs avec, à la capillaroscopie, une diminution de la densité capillaire sans mégacapillaire ; et supérieur à 50 % si les AAN sont positifs avec présence d’un paysage sclérodermique à la capillaroscopie. Ceci a été confirmé dans 2 études prospectives récentes(3, 4). La présence d’auto-anticorps spécifiques de la ScS et d’un paysage sclérodermique à la capillaroscopie augmente par 60 le risque relatif de développer une sclérodermie : à 5, 10 et 15 ans de suivi, respectivement 47, 69 et 79 % des patients ont développé une ScS. Dans une autre étude sur 3 029 malades présentant un PR, suivis pendant 5 ans, le paysage capillaroscopique sclérodermique était significativement associé à l’évolution vers une sclérodermie, avec un odd-ratio de 163 (95 % CI, 97,9-271,5), ou vers une dermatomyosite, un syndrome de chevauchement avec signes de sclérodermie ou une connectivite mixte, avec des odd-ratios cependant moins élevés, entre 10 et 3. La valeur prédictive négative (absence de connectivite si capillaroscopie normale) était de 99 % confirmant les données d’études rétrospectives. Ainsi, en l’absence d’anomalies biologiques et capillaroscopiques, on peut rassurer les malades et leur conseiller de ne reconsulter que s’il y a une modification clinique du PR. Dans les critères diagnostiques de la sclérodermie systémique publiés très récemment par l’American College of Rheumatology (ACR) et l’European League against Rheumatism, la capillaroscopie est dorénavant un critère diagnostique important, alors qu’elle n’était pas incluse dans les critères ACR précédents. Enfin, la présence d’un paysage capillaroscopique sclérodermique, et d’AAN positifs au cours d’un PR, sans autre signe clinique, définit une sclérodermie dite « précoce »(5), peu ou pas détectée par les critères ACR de 1980 ou même de 2013, alors même que des complications viscérales sont détectées dans plus de 40 % des cas à ce stade.   Au cours de la sclérodermie (ScS) En dehors du diagnostic précoce de sclérodermie, le suivi capillaroscopique des patients est de plus en plus recommandé pour son intérêt pronostique. En effet, il a été montré que l’évolution vers un paysage sclérodermique plus sévère, caractérisé par une perte importante de capillaires et une désorganisation de l’architecture, était associé à un score de Rodnan plus élevé, à un risque plus élevé d’hypertension artérielle pulmonaire, d’atteinte interstitielle pulmonaire, d’atteinte cardiaque, d’atteinte vasculaire périphérique, et plus récemment, à une surmortalité. Enfin, de façon prospective, en cas de paysage sclérodermique montrant des altérations sévères comme des plages avasculaires et une désorganisation, le risque d’ulcère digital et d’atteinte pulmonaire sévère dans les 18 à 24 mois est élevé(6). La capillaroscopie permet également de calculer un score de risque d’ulcère digital. Ce score est calculé en utilisant des paramètres quantitatifs aisément identifiables mais son utilisation en pratique quotidienne est cependant difficile. De façon plus simple en pratique quotidienne, il est clairement établi que plus la densité capillaire diminue, particulièrement sur le 3e doigt, plus le risque d’ulcère digital est élevé(7).   Au cours des autres pathologies systémiques Les anomalies rencontrées au cours des autres connectivites sont beaucoup moins spécifiques et n’ont pas d’importance diagnostique ou pronostique documentée. En pratique, la capillaroscopie est utile quand on veut éliminer ou confirmer une sclérodermie, une dermatomyosite, ou un syndrome de chevauchement, devant un trouble trophique digital (ulcère ou nécrose) par exemple ou dans les syndromes sclérodermiformes ou pseudo-sclérodermiformes comme les fasciites de Schulmann pour écarter le diagnostic de sclérodermie débutante.   En pratique   La capillaroscopie est un outil diagnostique puissant, reproductible, non invasif et très peu onéreux, permettant le diagnostic précoce des sclérodermies. Elle est utile, en plus de l’examen clinique et de la recherche d’anticorps antinucléaires, pour affirmer le caractère primitif ou secondaire d’un PR. Dans les cas douteux (anticorps antinucléaires positifs, anomalies non spécifiques de la capillaroscopie), le suivi capillaroscopique tous les 6 mois permet soit un diagnostic précoce de connectivite, soit de s’assurer de l’absence d’aggravation des anomalies capillaroscopiques. Au cours de la sclérodermie, son utilisation comme outil pronostique à court ou long terme des complications vasculaires périphériques, ou systémiques est en plein développement. "Publié dans Dermatologie Pratique"

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