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Insuffisance cardiaque

Publié le 01 mar 2018Lecture 10 min

Comment évaluer la congestion ?

Jean-Christophe EICHER, SIP Rythmologie et Insuffisance cardiaque, Unité de traitement de l'insuffisance cardiaque (UTIC), Hôpital Bocage Central, CHU de Dijon

La congestion est la conséquence principale de la dysfonction myocardique et de l’élévation des pressions de remplissage dans les cavités cardiaques.

Implications pronostiques de la congestion La congestion est la conséquence principale de la dysfonction myocardique et de l’élévation des pressions de remplissage dans les cavités cardiaques. Les conséquences visibles sont les symptômes et signes cliniques classiques de l’insuffisance cardiaque : dyspnée, œdèmes, distension jugulaire, épanchements. C’est la congestion « clinique », qui peut être comparée à la partie émergée d’un iceberg(1). Or, ne s’intéresser qu’à gommer cette partie émergée amène à ignorer la partie immergée qu’est la congestion « hémodynamique », liée à la persistance sournoise de pressions élevées qui va contribuer à la progression de l’insuffisance cardiaque, via l’activation neuro-hormonale, l’ischémie sous-endocardique, les lésions myocytaires, le remodelage de la cavité ventriculaire, l’insuffisance mitrale fonctionnelle et le syndrome cardio-rénal. Et tout cela a des conséquences non négligeables sur le pronostic(1). Cela explique pourquoi le fait d’« entrer » dans la congestion équivaut à rentrer dans un cercle vicieux. La congestion symptomatique amène le patient à l’hôpital ; le traitement diurétique renforcé soulage les symptômes, mais bien souvent sans changer radicalement le volume hydrique global. On entre alors dans un cycle récurrent de décompensation et de réhospitalisations(2). De fait, il est établi que détecter et traiter la congestion avant le stade clinique peut non seulement prévenir les hospitalisations, mais aussi la progression de l’insuffisance cardiaque. De plus, l’absence de congestion résiduelle à la sortie de l’hôpital est associée à un meilleur pronostic(3). Aujourd’hui, il existe des recommandations pour juger si un patient est apte à quitter l’hôpital, et pour minimiser les risques au cours de la période vulnérable que sont les premières semaines post-hospitalisation. Elles disent que le patient doit être euvolémique, sous traitement optimisé, avec une fonction rénale stable, et qu’il doit avoir reçu une éducation thérapeutique(4). Le problème est qu’une « congestion » (celles des lits d’hôpitaux…) chasse l’autre, et que plus d’un tiers des patients sortent avec des signes congestifs persistants. Or cette congestion résiduelle est associée à court terme à un risque de réhospitalisation et à long terme à celui de décès. Dès lors, il est aisé de comprendre tout l’enjeu de l’évaluation optimale du statut hydrique. Pour cela, on dispose de nombreux outils, capables d’explorer tous les étages de la congestion : clinique, biologie, imagerie, jusqu’aux mesures d’impédance et de pressions. Les outils cliniques L’insuffisance cardiaque est avant tout un syndrome clinique, avec des symptômes (dyspnée, orthopnée, fatigue), et des signes cliniques (distension jugulaire, râles crépitants, œdèmes périphériques, hépatomégalie, troisième bruit, etc.).Le suivi de la décongestion commence bien évidemment par la surveillance de la résolution de ces signes, et de la courbe de poids. Cependant, les limites de ces indices sont bien connues. L’évaluation de la dyspnée, quantifiée par la classification de la NYHA ou l’échelle de Likert, est subjective. Un test de marche de 6 minutes est rarement réalisable en période de décompensation. Les crépitants ont une faible sensibilité et spécificité. L’évaluation de la pression veineuse jugulaire se heurte à des difficultés, notamment chez l’obèse, et pose le problème d’une variabilité inter-observateur importante. L’évolution des œdèmes périphériques ne reflète pas forcément les changements de volume intravasculaire, de même que celle du poids(1). Afin de mieux quantifier la congestion clinique, on peut se servir de scores de congestion intégrant un certain nombre de paramètres cliniques. Par exemple, le score de Rohde tient compte des râles pulmonaires, de la pression veineuse, de l’orthopnée sur une échelle de 0 à 4, et de la présence d’un 3e bruit. Les performances de ce score pour prédire une élévation des pressions de remplissage (pression auriculaire droite > 10 mmHg ou pression capillaire > 20 mmHg) sont assez médiocres en ce qui concerne la spécificité (25-26 %). En revanche la valeur pronostique est indéniable, un score > 3 ayant un impact péjoratif(5). Autre échelle de congestion, celle utilisée dans l’étude EVEREST : ce score intègre la dyspnée, l’orthopnée, la fatigue, la pression jugulaire, les râles et les œdèmes sur une échelle de 0 à 3. Là encore, on retrouve une valeur pronostique péjorative d’un score > 3(6). Les limites de ces scores sont qu’ils prennent du temps, et qu’ils nécessitent une expertise clinique, notamment en ce qui concerne l’évaluation de la pression veineuse. Une autre façon de faire, plus simple, est de s’affranchir de la mesure de la pression jugulaire, et d’utiliser un score qui ne prend en compte que les œdèmes et l’orthopnée, ce qui donne un score d’« orthœdème » allant de 0 à 4. L’utilisation de ce score dans les études DOSE-AHF et CARESS-HF a démontré qu’à la sortie de l’hôpital, à peine plus de la moitié des patients n’avait plus de signes congestifs, et que 2 mois plus tard, ils n’étaient plus qu’1/3. Là encore, un score de congestion > 3 était associé à un mauvais pronostic(7). À côté des paramètres cliniques habituels, il peut être intéressant de réaliser des tests dynamiques Par exemple, ne pas hésiter à faire un test orthostatique. La réponse normale à l’orthostatisme est une discrète baisse de la pression artérielle systolique (PAS) avec une tachycardie réflexe. Chez l’insuffisant cardiaque avec pressions de remplissage élevées, la baisse de la précharge en position verticale va améliorer le volume d’éjection, ce qui se traduit par une augmentation paradoxale de la PAS. Un indice intéressant d’amélioration des pressions de remplissage sera donc l’absence d’élévation paradoxale de la PAS en position debout. De plus, la présence d’une hypotension orthostatique sera le signe d’un traitement excessif ayant entraîné une hypovolémie. À noter que ceci n’est pas valable en cas de fraction d’éjection préservée, de sténose aortique ou de CMH(1). Autre évaluation dynamique intéressante, la manœuvre de Valsalva. Si l’on monitore la pression artérielle au cours d’une manœuvre de Valsalva, la réponse normale se calque sur les événements suivants : 1) augmentation de la pression intrathoracique; 2) diminution du retour veineux ; 3) diminution de la pression intrathoracique à l’arrêt du Valsalva ; 4) augmentation du retour veineux avec un aspect de rebond (« overshoot »). En cas d’insuffisance cardiaque congestive, on aura un aspect en créneau, ou « square wave », avec élévation persistante de la pression liée à la persistance d’une pression veineuse centrale élevée. En cas d’insuffisance cardiaque compensée on observe une restauration de la phase 2, mais sans rebond (figure). La mesure du rapport entre la pression en fin de Valsalva et la pression post-Valsalva ou pulse amplitude ratio est un indice très bien corrélé à la pression capillaire mesurée de manière invasive(8). Figure. Réponse de la pression artérielle à la manoeuvre de Valsalva. A : réponse normale. B : insuffisance cardiaque compensée (absence de rebond). C : insuffisance cardiaque congestive (aspect en créneau)(8).   Les outils biologiques Parmi les paramètres biologiques utiles, nous disposons bien entendu des peptides natriurétiques que sont le BNP et le NT-proBNP. Leur dosage est utile à chaque étape. À l’admission tout d’abord, avec la dimension diagnostique qui leur vaut d’être en classe IA des recommandations de l’ESC(9). En cours et en fin d’hospitalisation surtout, pour évaluer les effets des traitements et prédire le risque de réhospitalisation en fonction du taux de BNP à la sortie(10) ou du pourcentage relatif de baisse du NT-proBNP par rapport au taux initial(11). On retient généralement un taux de NT-proBNP > 1 500 (et une baisse relative < 30 %) et un taux de BNP > 300 pg/mL comme facteur prédictif de risque de décès ou réhospitalisation(1). Ensuite l’utilité du dosage des peptides natriurétiques pour guider l’adaptation thérapeutique en ambulatoire est moins évidente, et si les dernières recommandations de l’ESC stipulent que des taux restant élevés prédisent une évolution défavorable et qu’une diminution est associée à un meilleur pronostic, elles précisent aussi que les données de la littérature sont trop variables pour proposer actuellement des recommandations(9). Il existe d’autres outils biologiques pour évaluer le statut hydrique La mesure du volume plasmatique représente le gold standard, mais est peu applicable en routine car elle repose sur l’injection d’albumine ou de globules rouges marqués. On peut néanmoins suivre des paramètres d’hémoconcentration tels que le taux de protides, d’albumine, l’hémoglobine, l’hématocrite, ou estimer la variation de volume plasmatique à l’aide, par exemple, de la formule de Strauss (% variation volume plasmatique = 100 x [hémoglobine (avant)/hémoglobine (après)] x [1 – hématocrite (avant) / 1 – hématocrite (après)] – 100). L’évaluation du volume plasmatique est fortement corrélée au pronostic(12). Enfin, ne pas oublier non plus le bilan hépatique qui renseigne sur l’évolution du foie cardiaque. Les outils d’imagerie • La radiographie thoracique reste un classique, dont on connaît les limites : qualité médiocre des clichés pris au lit, et le fait que jusqu’à 20 % des patients avec insuffisance cardiaque aiguë ne présentent pas de congestion pulmonaire radiologique(9). • Aujourd’hui, l’échographie pulmonaire est devenue un outil incontournable, en raison de sa facilité de réalisation et de la pertinence des informations recueillies. La valeur diagnostique est indéniable. Elle permet en outre d’établir un score de congestion pulmonaire en comptant le nombre de « comètes », ou lignes B, au niveau des différents espaces intercostaux, plus de 30 lignes définissant un degré sévère de congestion(13). Cela permet de suivre l’évolution, et un score restant > 15 ou 30 à la sortie est associé à un risque de réhospitalisation(14). • Quant à l’échocardiograhie Doppler, les algorithmes proposés pour estimer les pressions de remplissage sont bien entendu inapplicables dans un contexte d’insuffisance cardiaque décompensée, mais on peut se servir d’indices très simples. L’étude de la veine cave inférieure reflète la pression de remplissage des cavités droites, la fuite tricuspide permet d’évaluer les pressions pulmonaires, le flux mitral et le calcul du rapport E/e’ nous renseignent sur les pressions de remplissage gauches. Ces mesures peuvent être aujourd’hui facilement réalisées et répétées au lit du malade au moyen d’appareils ultra-portables. Les indices recueillis sont clairement liés au pronostic(15). On peut combiner avec un même appareil l’étude de la congestion pulmonaire (lignes B et épanchements pleuraux), de la veine cave inférieure, et du Doppler mitral. L’adaptation thérapeutique en fonction des données ultrasonores s’accompagne d’une amélioration du pronostic(16). Étude de l’impédance thoracique Théorie : le thorax se comporte comme un conducteur électrique non homogène ; en lui appliquant un courant électrique de haute fréquence et de faible intensité, et en utilisant la loi d’Ohm qui définit l’impédance comme le rapport entre la tension et l’intensité recueillie, on peut mesurer l’impédance thoracique qui est inversement proportionnelle au contenu sanguin ou hydrique intrathoracique. Des travaux ont montré que la conductance thoracique, l’inverse de l’impédance, est très bien corrélée à la pression capillaire pulmonaire, bien mieux que le BNP et le rapport E/e’(17). On dispose aujourd’hui des résultats de l’étude IMPEDANCE-HF, qui montrent que l’adaptation thérapeutique en fonction des données de bio-impédance diminue le nombre d’hospitalisations, et réduit de façon significative la mortalité(18). Une autre approche a été d’utiliser les dispositifs implantés en mesurant l’impédance entre la sonde de défibrillateur et le boîtier. Cette idée intéressante a donné des résultats décevants, avec une sensibilité faible pour la prévision d’événements congestifs, prix à payer pour éviter de trop nombreux faux-positifs(19). Aujourd’hui des vestes à bio-impédance sont en cours d’évaluation, ce qui permettrait de monitorer à distance la congestion(20). Étude des pressions Le cathétérisme cardiaque droit est le moyen le plus précis d’appréhender la base physiopathologique fondamentale de la congestion, le « dessous de l’iceberg », à savoir l’élévation des pressions de remplissage. Mais il est bien entendu hors de question de compter sur cet outil invasif pour adapter un traitement… L’étude CHAMPION a montré qu’un traitement guidé par la mesure continue de la pression pulmonaire au moyen d’un petit dispositif implanté dans l’artère pulmonaire permettait de faire baisser les hospitalisations et la mortalité(21). Ces résultats ont amené l’ESC à proposer une recommandation de classe IIb pour le monitoring des pressions pulmonaires au moyen de ce système afin de diminuer les réhospitalisations(9). Une autre approche hémodynamique, la mesure directe de la pression auriculaire gauche, via l’implantation d’un capteur transseptal, est en cours d’évaluation dans l’étude LAPTOP-HF(22). Un travail collaboratif, qui vient d’être publié, fait la synthèse des différents outils d’évaluation de la congestion disponibles aujourd’hui, et précise lesquels étudier à chaque étape du cursus du patient, de son admission à sa sortie et à sa prise en charge ambulatoire(23). En pratique La cause principale de l’hospitalisation de l’insuffisant cardiaque est la congestion. Près de la moitié des patients quittent l’hôpital avec une congestion résiduelle. La congestion est associée à un mauvais pronostic et est une importante cible thérapeutique. La congestion clinique est le « sommet de l’iceberg ». La congestion hémodynamique est la « portion immergée » et est plus difficile à évaluer. De nombreux outils sont disponibles pour évaluer le statut hydrique. Le statut hydrique doit être évalué à chaque étape du cursus du patient afin d’adapter les thérapeutiques et d’éviter les hospitalisations.

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