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Valvulopathies

Publié le 26 mar 2019Lecture 5 min

L’insuffisance tricuspidienne, est-ce important ?

Florent LE VEN, CHU de Brest

Nous observons une insuffisance tricuspidienne (IT) sur environ 80 % des échographies que nous réalisons(1). Aux États-Unis, 1,6 million de patients présentent une IT moyenne ou sévère. Pourtant, seulement 8 000 patients y sont opérés pour un remplacement ou une plastie de la valve tricuspide chaque année(1,2). Les IT secondaires sont de loin les plus fréquentes (environ 90 % des cas). Un nombre croissant de patients présentent des IT isolées symptomatiques. Les IT isolées qui ne sont pas liées à ces causes sont de plus en plus observées. Les IT iatrogènes sont en constante augmentation du fait du vieillissement de la population et du nombre croissant d’implantations de stimulateurs cardiaques/défibrillateurs.

Les IT secondaires sont provoquées par une hypertension artérielle, une valvulopathie du cœur gauche, une atteinte myocardique ventriculaire droite (infarctus, dysplasie arythmogène, etc.) et/ou une surcharge volumique chronique (communication inter-atriale...)(2). Cette forme, dénommée « idiopathique », représente actuellement 10 % des IT secondaires et semble être plus prévalente chez lez sujets âgés en fibrillation atriale. Elle se caractérise par une dilatation de la base du ventricule droit et de l’anneau tricuspidien, responsable d’une perte de la conformation ovalaire en « selle à cheval »(2,3). Les formes primitives (10 % des cas) sont soit d’origine congénitale, inflammatoire, infectieuse, post-radique, ou post-traumatique(2). Les IT iatrogènes sont causées par des modifications de la géométrie valvulaire, des déplacements de cordages, des plicatures des feuillets, des adhérences avec les sondes, voire des perforations des feuillets(4). Il semble aussi que la stimulation elle-même favorise les IT, en générant un asynchronisme de contraction du ventricule droit. Dans les séries de patients ayant subi une primo-implantation de stimulateur, l’apparition d’une IT moyenne ou sévère peut être observée dans 7 à 38 % des cas(4). Conséquences de l’IT La présentation clinique habituelle d’une IT significative est dominée par les signes de pressions veineuses élevées, qui peuvent aboutir à terme à un tableau d’insuffisance cardiaque droite. La diminution du débit cardiaque est responsable d’une asthénie et explique partiellement la dyspnée d’effort souvent ressentie par les patients. Une étude récente, associant la réalisation concomitante d’un cathétérisme droit et d’une épreuve d’effort cardio-respiratoire, a démontré que les pressions ventriculaires gauches sont élevées lors de l’effort, malgré une précharge ventriculaire gauche faible. Ce phénomène est expliqué par une intensification des interactions entre les deux ventricules(5). Des complications plus insidieuses peuvent s’installer progressivement comme la congestion hépatique, qui peut à terme aboutir à une véritable cirrhose, secondaire à l’augmentation des pressions veineuses, à une diminution du débit intrahépatique ainsi que de la saturation en oxygène(6). Cette dysfonction hépatique peut favoriser le développement de l’athérosclérose, et donc de complications cardiovasculaires. La sévérité de l’IT est aussi inversement corrélée au débit de filtration glomérulaire(7). Bien que cette association soit multifactorielle, il est probable que l’élévation des pressions veineuses altère la perfusion rénale. L’insuffisance rénale va à son tour, via le système rénine-angiotensine-aldostérone, entraîner des effets délétères sur le système cardio-circulatoire. Enfin l’IT favorise l’IT. La dilatation progressive du ventricule droit est responsable d’un élargissement de l’anneau tricuspidien qui va majorer l’IT. Ce phénomène ne semble pas être constamment réversible après correction de l’IT ou de sa cause(8). Impact pronostique de l’IT L’IT survient dans les stades évolués de la majorité des cardiopathies. Il est donc difficile de déterminer si sa présence est un marqueur ou un facteur de risque. Dans une cohorte de 5 223 hommes, la sévérité de l’IT, toutes étiologies confondues, était corrélée avec la survie (figure 1)(9). Après ajustement pour l’âge, le diamètre de la veine cave inférieure, la FEVG, la taille et la fonction du ventricule droit, la mortalité était plus importante pour les patients atteints d’IT sévère par rapport à ceux qui n’en avaient pas (HR 1,31 ; IC95% : 1,05-1,66). Il en est de même en cas d’IT isolée. Dans une série de 60 patients atteints d’IT isolées, principalement post-traumatique, un excès de mortalité de 3,8 % par an était observé (p = 0,02)(10). Enfin, dans une série de 353 patients atteints d’IT isolées, la survie sans événements cardiaque était moins bonne chez les patients ayant une SOR ≥ 40 mm2, indépendamment de la taille et de la fonction ventriculaire droite, des comorbidités, ou de la pression pulmonaire (p < 0,0001)(3). Figure 1. Courbes de survie Kaplan-Meier de 5 223 patients (principalement des hommes) atteints d’insuffisance tricuspidienne toutes causes confondues. La survie est nettement diminuée chez les patients présentant une insuffisance tricuspidienne moyenne et sévère. D’après(9). Ces études indiquent donc qu’indépendamment d’éventuelles comorbidités cardio-pulmonaires, une IT isolée influence la survie des patients. Résultats de la prise en charge chirurgicale Les gestes sur la valve tricuspide sont majoritairement accomplis à l’occasion d’une intervention pour une pathologie valvulaire du cœur gauche (plus de 80 % des cas). La chirurgie pour les IT isolées est rarement réalisée principalement pour deux raisons. Premièrement, la mortalité intrahospitalière rapportée par la plupart des séries est élevée, de l’ordre de 8 à 10 %(2). Cependant, ces résultats sont issus d’études souvent de faible effectif, analysant de longues périodes de temps, incluant des populations hétérogènes, dont des patients atteints d’insuffisance cardiaque avancée, ainsi que des chirurgies redux. En effet, ces dernières peuvent présenter jusqu’à 37 % de mortalité intrahospitalière(2). La deuxième explication est l’incertitude sur le bénéfice apporté par la chirurgie. Bien qu’une amélioration des symptômes soit souvent décrite, un impact sur la mortalité n’a jamais été observé. Jusqu’à présent, une seule étude a comparé la survie à long terme des patients atteints d’IT isolée, entre ceux traités médicalement et ceux ayant subi une chirurgie. Dans cette série de 90 patients appairés en utilisant un score de propension, il existait une tendance non significative à l’amélioration de la survie chez ceux opérés (HR 0,29 ; IC95% : 0,08-1,10 ; p = 0,07 ; figure 2)(11). Figure 2. Courbes issues de la seule étude comparant directement les taux de survie de patients ayant subi une chirurgie de valve tricuspide en comparaison au traitement médical(11). Après appariement par score de propension, il n’y a pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes. En pratique L’IT est donc une pathologie fréquente atteignant une population très hétérogène. Quand elle est sévère, elle peut affecter la qualité de vie des patients et impacter leur pronostic vital. L’intérêt du traitement chirurgical pour une IT isolée est controversé. Les interventions sont probablement réalisées trop tardivement, alors qu’une dysfonction ventriculaire droite et une atteinte d’organes sont déjà présentes. À l’aire du développement très actif des techniques percutanées, les études futures vont devoir déterminer si le traitement interventionnel s’avère supérieur au traitement médical sur la survie. Et si oui, chez quels patients ? "Cardiologie Pratique : publication avancée en ligne."

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