Explorations-Imagerie
Publié le 15 avr 2019Lecture 7 min
L’imagerie cardiaque : quelques points chauds
Erwan DONAL, service de cardiologie, CHU de Rennes
La place des techniques d’imagerie dans la prise en charge des patients de cardiologie est croissante. L’intérêt est croissant avec par exemple un journal comme l’European Heart Journal Cardiovascular Imaging qui fait partie des 10 journaux les plus cotés dans le domaine cardiovasculaire. L’échocardiographie reste l’outil d’imagerie de première intention pour la prise en charge diagnostique, thérapeutique et pronostique en cardiologie. L’IRM, mais aussi le scanner sont des outils de seconde intention au même titre que l’imagerie de médecine nucléaire. Le couplage entre des imageries telles que le rayon X et l’échocardiographie ou le PET et le scanner prennent une place croissante, en particulier pour la planification et le guidage de procédures interventionnelles telles celles dédiées aux corrections de valvulopathies.
Il ne faut pas oublier la place croissante prise par les échoscopes qui permettent un examen incomplet, mais pertinent pour optimiser l’orientation des patients comme ceci a été montré dans une étude randomisée. L’échoscopie permet une réduction significative des délais de prise en charge dans le domaine des cardiopathies valvulaires (dans ce travail spécifique ASEF-VALUES).
« L’échoscopie pour fluidifier le circuit patient »
En rythmologie, l’usage de l’échocardiographie a beaucoup souffert des résultats des études Prospect ou écho-CRT dans le domaine de la resynchronisation. Pourtant, un certain nombre de physiologistes et cardiologues ont travaillé à de nouvelles approches qui tirent profit de la relative robustesse des courbes de strain (déformation) longitudinal.
Le calcul des indices de travail cardiaque est désormais possible.
Ceci s’appuie sur un calcul de la pression ventriculaire gauche sur la base de la pression artérielle et ceci est combiné aux courbes de strain pour générer des courbes pressions/strain (figure 1). Le champ des applications est divers, mais ceci permet en particulier de parfaire une étude de l’asynchronisme mécanique et de mieux prédire la réponse à la resynchronisation.
Figure 1. Étude du travail myocardique. Il peut être global et régional. Ici, à gauche et en vert, le travail myocardique totalement inefficace dans le septum d’un patient ayant une cardiomyopathie dilatée avec bloc de branche gauche et à droite, en vert aussi, le travail cardiaque de la paroi antéro-latérale du même patient. La courbe en rouge correspondant au travail myocardique ventriculaire gauche global.
Les outils statistiques de « machine learning » sont aussi très adaptés aux multiples informations qui peuvent être extraites des courbes de strain. Ces approches statistiques ont permis de démontrer qu’il devenait possible en exploitant des données échocardiographiques, ECG et clinique, d’améliorer notre capacité à définir des groupes de patients susceptibles de répondre à un traitement telle la resynchronisation cardiaque (travaux effectués sur les bases MADIT-CRT par exemple). Dans cette médecine qui tend à devenir personnalisée, l’imagerie et l’échocardiographie en particulier, semblent pouvoir jouer un grand rôle.
« Des outils pour la prédiction et la réponse au traitement en rythmologie liée à l’imagerie de déformation »
Il y a aussi une littérature pour utiliser ces courbes de strain et leur dispersion en systole (figure 2). Ceci n’a pas pour objectif d’étudier l’asynchronisme qui se caractérise par une ou des parois dont la déformation ne serait pas optimale pendant l’ouverture de la valve aortique, mais bien d’étudier pendant la systole, la dispersion des pics de déformation de chaque segment de paroi ventriculaire gauche ou ventriculaire droit.
Figure 2. Exemple de l’étude de la dispersion des pics de strain sur un patient normal et un patient ayant une dispersion prononcée des pics de strain longitudinal et de fait, un sur-risque rythmique ventriculaire.
Cette dispersion, liée au degré de fibrose interstitielle, semble être un marqueur intéressant de prédiction du risque d’arythmie ventriculaire.
Un article récent vient compléter ceux publiés sur le cœur gauche, en démontrant la valeur de cette étude de la dispersion mécanique pour prédire le risque rythmique de patients atteints de cardiomyopathies arythmogènes du ventricule droit.
Il existe aussi des éléments tangibles pour penser que l’imagerie de déformation appliquée à l’oreillette gauche permettrait de mieux prédire le risque lié à l’arythmie atriale. Ce même strain atrial a sans doute aussi une valeur dans le domaine de l’étude de la fonction diastolique.
« La FEVG dans la sténose aortique ne devrait pas être en dessous de 55 % »
Dans le domaine de la sténose valvulaire aortique, il a été montré ces derniers mois que plus que le seuil de 50 % pour définir une dysfonction ventriculaire gauche dans la sténose aortique serrée, le seuil de 55, voire de 60 % devrait être retenu. En effet, les patients ayant des FEVG < 55 % et des rétrécissements valvulaires aortiques asymptomatiques sont à risque d’événements bien supérieur que ceux dont la FEVG est supérieure. Il a aussi été réalisé une métaanalyse démontrant la valeur pronostique indépendante du strain longitudinal global. Cet outil utilisé en plus de la fraction d’éjection du ventricule gauche, permet de mieux prédire le risque d’événements et la nécessité de remplacement valvulaire aortique. Il permet aussi de prédire le risque de décès : un strain global du ventricule gauche ≤ 14,7 % est associée à un risque de décès multiplié par un facteur 2,5/4 ans.
« Le strain global longitudinal et le risque de la sténose aortique asymptomatique, mais aussi de la régurgitation mitrale »
Dans le domaine du rétrécissement valvulaire aortique à bas gradient, il n’y a pas encore de preuve irréfutable, mais des éléments encourageants la caractérisation précise de ces sténoses valvulaires souvent à bas débit. Des études tel TOPAS-TAVI laissent penser que le traitement percutané de ces sténoses permettrait d’améliorer le pronostic de patients cependant, âgés et pouvant souffrir de pathologies autres que le seul rétrécissement valvulaire aortique. Une étude randomisée (ROTAS) débute en France sur ce sujet.
Dans le domaine de la fuite mitrale, il y a aussi des éléments pour utiliser le strain global longitudinal en plus de la fraction d’éjection pour mieux caractériser le retentissement ventriculaire gauche de la fuite mitrale. Une équipe coréenne a démontré qu’avec un seuil de 18,1 %, il est possible de prédire indépendamment des outils des guidelines (fraction d’éjection, diamètre télésystolique…) le risque d’événements pré-, mais aussi post-réparation valvulaire mitrale. Ce travail a été effectué sur une cohorte de 506 patients.
On retiendra aussi de 2018, des travaux sur le risque rythmique associé au prolapsus mitral.
La disjonction annulaire plus encore que le prolapsus est associé à une plus grande traction exercée par la valve sur les piliers. Il s’y associe un surrisque de fibrose cicatricielle et un surrisque de trouble du rythme ventriculaire. Ces patients (figure 3) ayant donc de larges prolapsus et surtout de larges disjonctions annulaires antérieures et postérieures sont à considérer. Ils ont souvent des fuites non sévères, mais il faut les connaître, bien décrire les lésions et penser à surveiller le holter ECG.
Figure 3. Disjonction anulaire mitrale et risque rythmique.
« Le “phénotype” rythmique du prolapsus mitral est à connaître avec l’importance de la disjonction annulaire »
Bien entendu, il est difficile de relater les événements des derniers mois sans relater COAPT et Mitra-FR. Ces deux études n’ont pas étudié exactement les mêmes patients, elles sont cependant toutes les deux des études randomisées prospectives multicentriques sur le traitement par clip mitral des régurgitations mitrales secondaires (à une dysfonction ventriculaire gauche avec restriction du jeu des feuillets valvulaires). Elles concluent presque à des résultats opposés. Ceci est, bien entendu, intrigant et différentes explications pourraient être avancées. L’étude RESHAPE en cours apportera sûrement des réponses. En tout cas, il y a à se réjouir de ces résultats qui, finalement, permettent d’évoquer et de réfléchir à de nouveaux concepts pour expliquer l’impact potentiel d’une fuite mitrale secondaire chez un insuffisant cardiaque.
Il a émergé avant, mais plus encore depuis, le fait que le degré de la régurgitation mitrale devait sans doute être interprété en prenant en compte, les dimensions du ventricule gauche.
Il peut ainsi être retrouvé des patients ayant des fuites mitrales proportionnées entre le degré de la régurgitation et la taille du ventricule gauche et des patients ayant des fuites mitrales disproportionnées dont la fuite est plus importante que la taille du ventricule gauche ne le laisserait penser. Ces patients ayant des régurgitations mitrales secondaires « disproportionnées », sont sans doute ceux qui tirent le plus de bénéfice de la correction de la fuite mitrale par la pose de clips mitraux.
Dans le domaine de l’insuffisance cardiaque, qu’elle soit systolique ou à fraction d’éjection préservée, une équipe a pu étudier les données échocardiographiques complètes de 4 172 patients admis pour une décompensation cardiaque. Ils ont pu montrer que tout type d’insuffisance cardiaque confondu, le strain global longitudinal est, bien mieux que la fraction d’éjection, un marqueur pronostique indépendant et puissant du risque d’événement au cours du suivi. Ceci est particulièrement vrai dans le groupe des patients avec insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée. Les patients ont été suivis 5 ans et donc, plus le strain est altéré, plus le pronostic est sombre. Il a aussi été démontré en 2018, sur une cohorte de plus de 600 patients, la valeur du strain de la paroi libre du ventricule droit comme un puissant marqueur indépendant du pronostic dans l’insuffisance cardiaque. La valeur cut-off proposée pour sa sensibilité et sa spécificité est de |13,1 %|. Il est important de noter que ce marqueur apporte une information au-delà de ce qui a été démontré avec les TAPSE, ou fraction de raccourcissement de surface. Il est à noter aussi, qu’un consensus USA-Europe et industriel a été publié en 2018 pour donner les bases d’une mesure fiable du strain du ventricule droit et de l’oreillette gauche. Ces outils sont donc à la porte d’une utilisation plus clinique et quotidienne que par le passé.
« Intérêt du strain du ventricule droit dans l’insuffisance cardiaque »
Enfin, la régurgitation tricuspide (figure 4) fait l’objet d’une attention renforcée ces derniers mois. Il y a en France le registre TRAP à l’initiative de la Filiale d’imagerie de la SFC. Il y a aussi des résultats de cohortes qui ont été publiées. Tout converge pour donner une valeur pronostique à la présence d’une fuite tricuspide dans les cardiopathies, quelles qu’elles soient. Indépendamment de la fonction du ventricule droit et indépendamment de la pression pulmonaire, l’identification d’une fuite tricuspide témoigne d’un risque accru pour les patients. Nous n’avons pas la démonstration qu’il faille traiter ces fuites, mais il ne faut sans doute pas omettre de les rapporter dans les comptes rendus.
Figure 4. Exemple de fuite de la valve tricuspide. Importance de la rapporter, de mesurer la taille de ventricule et oreillette, importance de la fonction du ventricule droit et de sa morphologie (triangulaire ou plus cylindrique en cas d’hypertension pulmonaire).
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