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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 15 sep 2019Lecture 10 min

Indications du défibrillateur implantable en prévention primaire du risque de mort subite

Antoine DA COSTA, CHU de Saint-Étienne

La mort subite (MS) due à une arythmie ventriculaire maligne représente un enjeu majeur de santé publique car elle est responsable de 15 à 20 % des décès dans le monde(1). Malgré la diminution du nombre total de décès cardiovasculaires au cours du temps, la proportion des décès par MS a augmenté soulignant la nécessité d’une meilleure stratification du risque dans les populations à haut risque. Le défibrillateur automatique implantable (DAI) est devenu un traitement de référence dans la prévention primaire de la MS chez les patients à haut risque(2).

Le rapport bénéfice/risque et les indications du DAI en prévention primaire du risque de MS ont évolué au cours du temps en fonction de nouvelles études, des recommandations actualisées des sociétés savantes, ce qui a fait l’objet récemment d’une mise au point par les plus grands experts français aux JESFC 2019. Nous avons centré la discussion sur les pathologies les plus fréquentes et/ou récemment débattues dans la littérature c’est-à-dire les cardiomyopathies ischémiques, dilatées et hypertrophiques. Les autres indications plus ponctuelles sont accessibles dans les recommandations européennes et nord-américaines(2-4). Prévalence et causes de la mort subite Les causes de MS sont majoritairement identifiées et résumées dans la littérature(1). Les cardiopathies ischémiques sont responsables de 75 % des cas de MS, les cardiomyopathies (dilatée, hypertrophique et la dysplasie arythmogène du ventricule droit) de 15 % des cas, les canalopathies héréditaires (QT long, syndrome de Brugada, TV catécholergiques, torsades de pointes à couplage court, QT court, syndrome de repolarisation précoce, etc.) de 2 % des cas, les valvulopathies de 5 % des cas et enfin 3 % des cas sont liés à d’autres causes (myopathies, sarcoïdose, myocardites, etc.)(1-4). La plupart des événements rythmiques graves surviennent chez des patients avec des marqueurs de risque de MS identifiés à partir des études et par conséquent l’incidence des événements sera d’autant plus élevée que les marqueurs de risque de MS seront bien identifiés (prévention secondaire, FE basse < 30 %, TVNS, etc.). La sous-utilisation du DAI en prévention primaire a été récemment démontrée par K. Narayan et coll. dans un registre portant sur 1 million d’habitants (état de l’Oregon, États-Unis)(5). Les auteurs ont repris 2 093 cas de MS (2003-2012), et ils ont montré que seulement 448 patients avaient eu une évaluation de la fraction d’éjection (FE) avant leur événement, soit un dépistage dans seulement 21,4 % des cas. Chez les 144 patients identifiés avec FE ≤ 35 % seulement 15/144 soit 10,4 % des cas ont bénéficié de la mise en place d’un DAI en prévention primaire démontrant clairement une sous-utilisation du DAI(5). Si les recommandations au moment de l’événement sont appliquées par exemple en référence à MADIT-II (FE ≤ 30 %) pour la période 2003-2005 ou à SCD-HeFT (FE ≤ 35 %) pour la période 2006-2012, seulement 12 patients ont été implantés sur les 92 patients éligibles sur ces critères actualisés (13 % des cas)(5). Si l’on se réfère aux études sur les traitements médicamenteux testés dans l’insuffisance cardiaque comme les bêtabloquants, les IEC, ARA-II, les antialdostérones ou plus récemment le sacubitril/valsartan, le risque de mort subite reste élevé dans ces populations d’insuffisants cardiaques (3 à 5 %/an)(4). Ce risque est également confirmé par le pourcentage de chocs délivrés dans les populations avec DAI implanté comme SCDHeFT trial 2005 (5,1 %/an de chocs appropriés) ou Danish Trial 2016 (3,6 %/an de chocs appropriés)(6). Toutes ces données soulignent que le dépistage et la prévention de la MS sont sous-évalués ou sous-utilisés malgré les preuves scientifiques et les mises à jour des recommandations des sociétés savantes(2-4). Prévention primaire dans les cardiopathies ischémiques (tableau 1) Les preuves de l’efficacité du DAI en prévention primaire dans les myocardiopathies ischémiques sont clairement établies et le traitement électrique fait partie intégrante de la prise en charge de ces patients(2-4). Les études sont maintenant pour la plupart anciennes mais des données et des réflexions plus récentes permettent d’affiner cette prise en charge. En effet, le risque d’arrêt cardio-circulatoire est plus élevé dans les 30 premiers jours qui suivent un infarctus du myocarde (IDM). L’étude VALLIANT publiée en 2005, testant l’efficacité du valsartan dans le post-IDM avec FE basse, a montré que le risque de MS était de 1,4 % dans les 30 premiers jours qui suivent l’IDM et que 83 % des arrêts cardio-circulatoires surviennent après la sortie de l’hôpital(7). Si l’on se réfère aux patients à plus haut risque c’est-à-dire avec une FE ≤ 30 % ce risque est encore plus élevé, environ 2,3 % au cours de la même période(7). Des critères d’identification du risque d’événements rythmiques graves à la phase précoce autre que la FE ont été identifiés dans les études post-IDM(2-4). Plusieurs critères doivent être soulignés et accroître notre vigilance, comme une revascularisation tardive (> 6 h), la présence d’une insuffisance cardiaque, un choc cardiogénique à la phase initiale, une localisation antérieure de l’IDM, le grade de TIMI flow ou l’efficacité incomplète de la revascularisation(7). En effet, dans ces sous-groupes, le risque de MS est encore plus élevé de même que la mortalité précoce et tardive(2-4). La survenue d’une fibrillation ventriculaire à la phase aiguë peut elle aussi constituer un FDR de MS au cours du premier mois, comme cela a été démontré dans le registre français FAST-MI. Des données plus récentes et actualisées rendent incertaine l’utilisation trop précoce du DAI en prévention primaire comme le souligne les études DINAMIT et IRIS(8,9). Ces deux études ont testé l’utilisation prophylactique du DAI à la phase précoce de l’IDM. Dans l’étude DINAMIT (FE ≤ 35 % avec atteinte du système nerveux autonome), 332 patients ont bénéficié de l’implantation d’un DAI entre J6 et J40 et ont été comparés à 342 sous traitement médical (suivi moyen de 30 ± 13 mois)(8). Le DAI s’est montré efficace sur la mort subite -58 % (n = 12 vs n = 29 décès ; HR= 0,42 ; p = 0,009) mais paradoxalement la mortalité totale était plus élevée chez les patients avec dispositif (n = 50 vs n = 29 décès ; HR = 1,75 ; p = 0,02). Des résultats similaires sont démontrés dans l’étude IRIS, 898 patients ont été inclus entre J5 et J31 après un IDM avec FE ≤ 40 % et au moins un autre critère (FC ≥ 90 bpm) ou TVNS ≥ 150 bpm ou les deux critères)(9). Durant un suivi de 37 mois en moyenne, 116 pts sont décédés dans le groupe DAI contre 117 patients dans le groupe médical (HR = 1,04 ; p = 0,78) même si le nombre de MS était significativement réduit dans le groupe DAI -45 % (n = 27 vs n = 60 ; HR = 0,55 ; p = 0,049)(9). Plusieurs hypothèses spéculatives ont été émises concernant le surcroît de mortalité non rythmique dans le groupe DAI : les complications liées au dispositif, le risque d’insuffisance cardiaque dû à la stimulation cardiaque, des cross-overs, des effets proarythmiques liés à la thérapie du DAI ; des événements rythmiques non contrôlés par le dispositif ou survenant dans un contexte de défaillance cardiaque ultime(8,9). Par conséquent l’implantation précoce du DAI n’est pas recommandée à la phase précoce d’un IDM, ce qui n’exclut pas pour autant la prise en charge de la MS durant cette période. Dans cette phase dite instable après IDM ou post-revascularisation, certains patients peuvent évoluer de manière défavorable en raison des comorbidités associées ou à cause du statut hémodynamique trop sévère, mais à l’opposé d’autres patients vont évoluer favorablement en sortant des groupes à risque sous l’effet de la revascularisation et/ou d’une optimisation des traitements médicamenteux, et certains peuvent bénéficier d’une prévention rythmique. Durant cette phase d’attente, la prise en charge non invasive a changé avec le rôle plutôt favorable de la « LifeVest » ou gilet défibrillateur(10). Les patients avec une FE ≤ 30- 35 % en post-IDM en attendant l’effet du traitement médical et/ou de la revascularisation (J40-J90) peuvent bénéficier de la LifeVest(10). Les dernières données de l’étude VEST publiée par J.E. Olgin sont venues pondérer les résultats initiaux de certaines études comme WEARIT-II(11). Une relecture critique de ces résultats doit être faite, en effet le risque de MS est très bas dans cette indication ce qui rend difficile une analyse statistique objective (nombre de pts nécessaires ; biais de sélection et cross-overs)(10). L’analyse brute des données est favorable en termes de réduction de mortalité globale (3,1 % vs 4,9 % ; p = 0,04) mais n’atteint pas l’objectif en termes de réduction de MS (1,6 % vs 2,4 % ; p = 0,18). Si l’analyse est faite sur la population ayant bénéficié réellement du port de la LiveVest, le % de réduction du risque de mort subite devient significativement favorable(10). Plusieurs éléments ont affaibli les résultats de l’étude. Un nombre de patients insuffisant a fait changer au cours de l’étude l’objectif principal qui était initialement la mortalité globale au profit de la MS. Dans certains cas, la classification de décès par MS a pu être dévié vers mortalité indéterminée ce qui affaiblit les résultats positifs. De plus le temps de port du gilet a chuté au cours du temps de 81 % après randomisation jusqu’à 41 % à J90 (alarmes itératives, chocs inappropriés, irritation cutanée et stress sont les principales raisons d’abandon). Les principaux décès dans le groupe LifeVest sont survenus alors que les patients ne portaient pas le dispositif (n = 25 patients avec MS dont 16 n’avaient pas le dispositif). Ce qui renforce l’utilisation du gilet c’est que 14 patients ont reçu un traitement approprié et ont survécu à J90. Les récentes recommandations nord-américaines ont établi l’utilité de la LifeVest(4) et la HAS a défini les critères de remboursement de la LiveVest dans cette indication. Recommandations HAS 2014 LifeVest (tableau 2) • Après revascularisation myocardique si la FE ventriculaire gauche (FEVG) est ≤ 30 %, jusqu’à la réévaluation de la FEVG et discussion de l’indication d’un défibrillateur automatique implantable au 3e mois. • Au décours d’un IDM aigu si la FEVG est ≤ 30 % après les 48 premières heures, jusqu’a la réévaluation de la FEVG et discussion de l’indication d’un défibrillateur automatique implantable au terme du 1er mois. Prévention primaire dans les cardiomyopathies dilatées (tableau 3) Le bénéfice du DAI dans les cardiomyopathies dilatées (CMD) est plus controversé que dans les cardiomyopathies ischémiques. En effet, les études publiées jusqu’alors étaient contrastées avec une seule étude (SCD-HeFT) qui a démontré un bénéfice dans une population de 2 521 patients dont 50 % étaient des cardiopathies non ischémiques(4). Le bénéfice était confiné aux patients en stade II de la NYHA, il n’y avait pas de resynchronisation et les traitements médicamenteux ont changé depuis la publication de cette étude. L’étude DANISH, seule étude n’incluant que des patients avec cardiomyopathie dilatée, a eu des résultats très contrastés(6). Les patients étaient randomisés sur la base d’une FE ≤ 35 % et des coronaires normales (n = 556 groupe DAI vs n = 560 groupe médical). Après un suivi de 67,6 mois, la mortalité globale était de 21,6 % dans le groupe DAI vs 23,4 % dans le groupe contrôle (HR = 0,87 ; p = 0,28). Le risque de MS était significativement diminué dans le groupe DAI (4,3 %) vs 8,2 % groupe contrôle (HR = 0,5 ; p = 0,005).  Dans les deux groupes, environ 60 % des patients avec bloc de branche gauche ont bénéficié d’un dispositif de resynchronisation, ce qui a pu interférer de manière significative sur la puissance de l’étude. En effet, seulement 42 % avaient une cardiomyopathie avec QRS fins et FE ≤ 35 % et c’est dans ce groupe que le bénéfice du DAI est le plus attendu. Dans l’étude COMPANION par exemple, il n’y avait pas non plus de différence entre le groupe de patients avec CRT-P et CRT-D. Le taux d’infections lié au dispositif était aussi très élevé dans cette étude de 3,6 % (groupe contrôle) à 4,9 % (groupe DAI), cela contribue à atténuer le bénéfice d’un appareillage. Enfin, le taux de décès non cardiovasculaires était de 31 % dans DANISH, ce qui sousentend une sélection plus restrictive de sujets bénéficiant d’un DAI sur la base de l’âge et des comorbidités. Le bénéfice dans cette étude devient très significatif chez les patients dont l’âge est inférieur à 68 ans(6). Prévention primaire dans les cardiopathies hypertrophiques (tableau 4) Les indications du DAI en prévention primaire du risque de mort subite dans les cardiomyopathies hypertrophiques diffèrent selon les recommandations européennes et nord-américaines(2-4). Les recommandations européennes sont basées sur un score de risque établi sur un modèle statistique qui calcule le risque de MS à 5 ans suivant des critères issus de la littérature médicale (âge ; épaisseur VG ; taille OG ; gradient intra-VG ; notion de MS dans la famille ; TVNS et notion de syncope)(2). Ce calcul est facilement accessible sur internet et le site escardio. org. Les recommandations nord-américaines établissent des FDR avec une pondération statistique variable mais bien explicitée dans les guidelines(3,4). En pratique Les indications du DAI en prévention primaire du risque de mort subite repose les études cliniques et en l’absence de données suffisantes sur les recommandations des sociétés savantes actualisées en 2015 pour la Société européenne de cardiologie et 2017 pour les sociétés nord-américaines. Finalement, la prévention primaire de la mort subite par le DAI est majoritairement retenue chez les patients avec cardiomyopathie dilatée ou ischémique (post-IDM de plus de 40 jours) avec FE ≤ 35 % et en classe II/III NYHA avec ou sans resynchronisation. L’utilisation du DAI dans ces indications doit tenir compte des comorbidités associées, de l’âge et du projet thérapeutique à moyen terme. La phase précoce post-IDM (J40) et la période post-revascularisation chez les patients avec cardiopathie ischémique à haut risque (FE ≤ 30-35 %) (J90) nécessitent une surveillance, une évaluation et une prise en charge spécifique un rôle prépondérant du gilet défibrillateur ou LifeVest.

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