Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 15 mai 2020Lecture 5 min
Risque de fibrillation ventriculaire et syndrome de Brugada : la réponse est dans l’ECG
Antoine DELINIÈRE, Philippe CHEVALIER, service de rythmologie, Centre de référence des troubles héréditaires du rythme cardiaque, Hôpital cardiologique Louis Pradel, Hospices civils de Lyon, Lyon
La prédiction du risque de fibrillation ventriculaire (FV) reste aujourd’hui la question centrale de la prise en charge des patients asymptomatiques avec aspect ECG de Brugada de type 1. En dehors du caractère spontané de l’aspect de type 1, les critères actuellement cités dans les recommandations de stratification présentent un certain nombre de limites. L’analyse quantitative et simultanée de l’ECG à l’aide de trois marqueurs permet d’apporter un élément de réponse pour la pratique quotidienne.
Stratification du risque de mort subite en prévention primaire
Le syndrome de Brugada (SB) est une maladie cardiaque héréditaire rare prédisposant à un risque de mort subite par fibrillation ventriculaire (FV), en moyenne entre les 3e et 4e décades. Il se traduit sur l’ECG par une ascension du point J et un sus-décalage en dôme du segment ST en dérivations précordiales droites.
Plus de 25 ans après les premières descriptions de cette pathologie, la stratification du risque de mort subite reste aujourd’hui difficile. Les premières séries suggéraient un haut risque de FV chez tous les patients et ont justifié un recours large à l’implantation prophylactique de défibrillateurs automatiques implantables (DAI). Le recul des deux décennies suivantes a permis de revoir à la baisse ce risque, et surtout de démontrer qu’il est extrêmement hétérogène entre les patients. Le taux de complications, parfois graves, liées aux dispositifs implantables reste aujourd’hui élevé. Les DAI souscutanés permettent d’éviter le risque d’endocardite iatrogène, mais au prix d’une augmentation significative du taux de thérapies inappropriées.
Les recommandations 2015 de l’ESC et 2017 de l’AHA préconisent une stratification du risque reposant sur 3 piliers : la présence spontanée de l’aspect de type 1, les syncopes et le déclenchement d’une arythmie ventriculaire polymorphe soutenue via une stimulation ventriculaire programmée (SVP)(1,2). Cependant, dans un travail récent 25 % des patients bénéficiant d’un DAI et présentant un événement rythmique inaugural n’avaient pas d’indication d’implantation au regard de ces recommandations(3). Toutes les études s’accordent à retrouver une augmentation du risque de mort subite chez les sujets présentant un aspect spontané de Brugada de type 1. L’effet de ce facteur seul est cependant trop faible pour justifier une implantation en prévention primaire. Deux travaux indépendants ont montré qu’environ un tiers des patients porteurs d’un syndrome de Brugada présentent une ou des syncopes au cours du suivi et que près de la moitié de ces épisodes est d’origine vasovagale, sans lien avec le pronostic(4,5). Le rôle de la SVP est controversé. Certains travaux suggèrent le bon pronostic d’une étude électrophysiologique négative(6) (i.e. l’absence de déclenchement d’une arythmie ventriculaire polymorphe), d’autres n’ont pas retrouvé de corrélation entre ce résultat et le pronostic au long cours et soulignent le caractère aléatoire des résultats lorsque l’exploration est répétée à l’identique chez les mêmes patients(7,8). Les données de l’analyse génétique et de l’anamnèse familiale ne sont actuellement d’aucune aide pour apprécier le risque individuel.
• Le risque de fibrillation ventriculaire est extrêmement hétérogène entre les patients porteurs d’un aspect spontané de Brugada de type 1.
• Les recommandations actuelles préconisent en prévention primaire une stratification du risque basée principalement sur 3 éléments : un aspect spontané de type 1, des syncopes et le résultat de la stimulation ventriculaire programmée.
• En dehors de l’aspect spontané du type 1, ces marqueurs de risque sont controversés et ne permettent pas une prédiction satisfaisante.
Une réponse à la stratification du risque : l’analyse de l’électrocardiogramme
En dehors du sus-décalage en dôme du segment ST en dérivation V1 et/ou V2, il existe de nombreuses différences entre les patients à l’examen de l’ECG, ces marqueurs pourraient témoigner des anomalies sousjacentes de la dépolarisation et/ou de la repolarisation. Plusieurs marqueurs ECG ont ainsi été proposés pour améliorer l’identification des patients les plus à risque de mort subite(9).
Dans un travail multicentrique international(10) coordonné à Lyon, les données ECG de 115 patients porteurs d’un aspect spontané de Brugada de type 1 (âge moyen 45,1 ± 12,8 ans, 91,3 % d’hommes) ont été analysées. Parmi ces patients, 45 ont présenté une FV documentée et/ou un arrêt cardiaque à un âge moyen de 38,7 ± 11,5 ans.
Par comparaison aux sujets sains à la date du recueil des données, les patients avec FV avaient significativement plus fréquemment des QRS ≥ 120 ms en dérivation V2, un intervalle Tpeak-Tend corrigé ≥ 100 ms, un aspect de repolarisation précoce inférolatérale et un aspect de type 1 en dérivation périphérique.
L’analyse multivariée souligne le caractère péjoratif d’un allongement de l’intervalle Tpeak- Tend corrigé (hazard ratio 8,3 ; IC95% : 2,4-28,5 ; p < 0,001), avec un risque cumulatif lorsque ce marqueur s’associe à la présence d’une repolarisation précoce inféro-latérale (hazard ratio 14,9 ; IC95% : 4,2-53,1 ; p < 0,001) ou à un pattern de type 1 en dérivation périphérique (hazard ratio 17,2 ; IC95% : 4,1-72 ; p < 0,001) et un risque maximal lorsque ces 3 marqueurs sont associés (hazard ratio 23,5 ; IC95% : 6-93 ; p < 0,001). Grâce à l’utilisation d’un modèle statistique innovant, un outil graphique permettant d’estimer le risque de FV à 1 an a été établi (figure 1). Il tient compte de l’analyse des 3 marqueurs ECG et de l’âge du patient.
Figure 1. Modèle statistique de prédiction de FV à 1 an.
Ce nouvel outil s’avère précieux pour quantifier le risque de FV chez un patient porteur d’un aspect spontané de Brugada de type 1. Il peut aider à la discussion d’implantation ou non d’un DAI prophylactique.
• L’ECG témoigne de l’importance des anomalies de la dépolarisation et de la repolarisation contribuant au risque de fibrillation ventriculaire (FV).
• Nous avons développé un outil de prédiction du risque de FV pour les patients porteurs d’un aspect spontané de type 1, basé sur l’âge des patients et l’analyse de 3 marqueurs ECG simples.
• Cet outil facilement utilisable en consultation pourrait s’intégrer dans la discussion de primo-implantation d’un défibrillateur.
En pratique
L’analyse de l’ECG apporte une information objective, simple à obtenir.
Chez les patients porteurs d’un aspect spontané de Brugada de type 1, elle témoigne de l’importance des anomalies de la dépolarisation et/ou repolarisation.
Une analyse de marqueurs électrocardiographiques simples permettrait ainsi de quantifier le risque individuel de FV et pourrait s’intégrer à la discussion d’implantation prophylactique d’un DAI.
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