Publié le 08 déc 2020Lecture 6 min
HTA de la grossesse : les complications cardiovasculaires maternelles
Daniel ROTTEN, Gynécologue-obstétricien des hôpitaux, Paris
L’existence d’un lien entre pathologie hypertensive au cours de la grossesse et risque accru de développer des complications cardiovasculaires dans le futur a été mise en évidence par de nombreux auteurs(2). Un antécédent de prééclampsie ou d’hypertension gravidique peut doubler le risque ultérieur de présenter une cardiopathie ischémique ou un accident vasculaire cérébral(3,4). Néanmoins, cette augmentation n’est pas retrouvée dans toutes les publications, du moins avec une telle intensité(5).
Si la corrélation statistique est constituée, le lien physiopathologique entre les deux situations n’est pas établi. Question : la survenue d’une pathologie hypertensive au cours d’une grossesse est-elle simplement le marqueur d’un terrain vasculaire sous-jacent anormal que la grossesse révélerait ? Inversement, est-ce la pathologie hypertensive de la grossesse qui dégrade le système vasculaire ? Dans cette hypothèse, la pathologie hypertensive serait à l’origine d’une atteinte endothéliale ou d’une lésion d’autres structures vasculaires pendant la grossesse, et la lésion persisterait après l’accouchement. La question n’est pas seulement théorique. Dans la seconde hypothèse en effet, la durée pendant laquelle la patiente est soumise à la pathologie hypertensive serait un facteur d’aggravation du pronostic cardiovasculaire ultérieur. Elle devrait donc être raccourcie au maximum.
Une étude de cohorte
Pour essayer d’avancer sur la question, J.I. Rosenbloom et coll. ont exploité un fichier américain, répertoriant de manière exhaustive toutes les hospitalisations survenant dans les établissements de l’état de New York(1). Y figurent en particulier le motif de chaque hospitalisation, codé selon la Classification internationale des maladies, et le code des actes réalisés. Le but primaire de ce fichier est de permettre une analyse de la qualité des soins et des coûts. Mais en croisant les items, il est possible de relier pour une même patiente trois paramètres : les hospitalisations pour un accouchement compliqué de pathologie hypertensive ; le délai entre le diagnostic d’hypertension de la grossesse et la naissance ; enfin, l’existence d’une hospitalisation à distance de la mère pour pathologie cardio- ou cérébro-vasculaire. Le protocole de l’étude est résumé dans l’encadré.
Résultats
Dans l’intervalle de temps de l’étude, le nombre de patientes enceintes hospitalisées pour pathologie hypertensive dont le dossier est analysable est de 22 594. Dans l’immense majorité des cas, le délai entre diagnostic de l’hypertension et accouchement est compris dans l’intervalle 0-7 jours (n = 19 750 ; 87,4 %). Un délai > 7 jours est observé beaucoup plus rarement (n = 2 844 ; 12,6 %). Le délai médian est de 1 jour (durée interquartile : 0-3 jours ; extrêmes : 0-117 jours). Les deux groupes ne s’avèrent pas identiques sur le plan socio-démographique ou des comorbidités. Il y a dans le groupe « expectative prolongée » plus de patientes noires, elles sont plus âgées, présentent moins de prééclampsies sévères, mais plus de prééclampsies surajoutées. Elles présentent également plus de comorbidités. La durée médiane de suivi au décours de l’accouchement est identique dans les deux groupes (5,2 ans).
Principal résultat de l’étude : les événements constitutifs du critère composite (décès et accidents cardiovasculaires et cérébro-vasculaires) sont observés deux fois plus souvent dans le groupe « naissance dans le délai 0-7 jours », en comparaison avec le groupe « expectative prolongée » (tableau 1).
Les événements constitutifs du critère composite le plus souvent observés sont une cardiomyopathie ou une défaillance cardiaque (n = 336). Les autres pathologies cardiovasculaires aiguës ont été rares (n = 14). Il y a eu 88 accidents cérébro-vasculaires et accidents vasculaires cérébraux. Enfin, 32 décès ont été observés (3/10 000 personnes-années).
L’analyse statistique confirme que le hazard ratio ajusté pour les variables socio-démographiques et les comorbidités du groupe « expectative prolongée » est plus élevé que celui mesuré dans le groupe « naissance dans les 7 jours » (tableau 2). Lorsque le délai diagnostic-naissance est analysé comme une variable continue, le HR ajusté est de 1,07 (IC95% : 1,01-1,13) par semaine de grossesse additionnelle. Ces données sont confirmées dans l’analyse par sous-groupes, qu’il s’agisse des seules patientes ayant une prééclampsie sévère, ou des patientes dont l’accouchement a eu lieu dans le délai de 14 jours après le diagnostic (tableau 2).
a. HRa : hazard ratio ajusté pour les variables socio-démographiques et les comorbidités ; b. IC95 % : intervalle de confiance à 95 %.
En résumé, en cas d’HTA de la grossesse (prééclampsie/éclampsie, HTA gravidique, prééclampsie/éclampsie surajoutée à une HTA chronique), la prolongation de la grossesse s’accompagne d’une augmentation de la fréquence ultérieure de survenue de décès et d’accidents cardiovasculaires et cérébro-vasculaires. Cette augmentation est de +7 % par semaine additionnelle de grossesse. On l’observe assez rapidement puisqu’elle apparaît dans les 5 ans qui suivent l’accouchement index . Cette constatation plaide en faveur d’un rôle causal de la pathologie hypertensive dans la survenue ultérieure des complications liées à un dysfonctionnement vasculaire.
Discussion
Dès lors, faut-il modifier nos modalités de prise en charge des HTA de la grossesse ? La stratégie actuelle vise à optimiser le devenir des nouveau-nés. De nombreuses recommandations professionnelles indiquent, chez les patientes ayant une hypertension stabilisée, d’adopter une attitude non interventionniste jusqu’à 34 semaines d’aménorrhée pour les hypertensions sévères, et jusqu’à 37 semaines pour les hypertensions sans élément de sévérité. Mais c’est le pronostic maternel à court terme qui entre dans cette équation. Les données ci-dessus invitent à ne pas être maximaliste en ce qui concerne les bornes de terme en cas de pathologie hypertensive pour tenir compte du pronostic maternel à long terme. Il existe un argument supplémentaire pour ne pas se référer strictement à la règle des 39 semaines d’aménorrhée dans ces cas. Prolonger la grossesse permet d’améliorer le pronostic fœtal et en particulier d’observer une diminution de la mortalité dans la première année de vie. Mais c’est en partie au prix d’une augmentation de la mortinatalité(6). Un éditorial prudent accompagne l’article de J.I. Rosenbloom. Dans ce commentaire, G.N. Smith souligne la possibilité, s’agissant d’une étude rétrospective de cohorte, qu’elle soit entachée de biais(7).
Le premier biais possible porte sur la composition des groupes. Comme not. plus haut, ils ne sont tout à fait comparables ni sur le plan socio-démographique, ni sur celui des comorbidités (les patientes du groupe « expectative prolongée » ont plus de comorbidités). Mais les techniques statistiques utilisées (comparaisons utilisant des HR ajustés et des analyses de propension) ont permis aux auteurs de tenir compte de ces points.
Deuxième biais possible : la détermination de la date de début de la pathologie. Dans l’étude, c’est la date d’hospitalisation qui a été retenue pour la définir. Mais le début clinique réel est dans certains cas antérieur, l’hospitalisation n’ayant pas toujours été immédiate. La constatation d’un délai entre diagnostic de l’hypertension et accouchement compris dans l’intervalle 0-7 jours dans près de 90 % des cas, avec un délai médian de 1 jour, plaide en faveur d’une hospitalisation tardive au cours de l’évolution de la pathologie hypertensive. De plus, la phase infraclinique n’est pas prise en compte.
Au total
En attendant d’autres études de confirmation, les auteurs ne proposent pas de changement radical de conduite. Deux conclusions s’imposent cependant. La première est que, en cas de pathologie hypertensive de la grossesse, il n’est probablement pas indiqué de prolonger la période d’attitude attentiste au-delà du nécessaire. La deuxième est que, dans tous les cas, que la pathologie hypertensive de la grossesse soit causale de la dysfonction endothéliale ou en soit un « simple » marqueur, il y a une augmentation des complications vasculaires ultérieures chez les patientes affect.es. Elles doivent donc bénéficier d’une information, ainsi que d’un suivi approprié à long terme au décours de l’accouchement(4).
Publié dans Gynécologie Pratique
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