Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 15 déc 2020Lecture 9 min
DAI : quand renoncer à la prévention primaire ?
Séverine PHILIBERT*, Gabriel LAURENT**, *Hôpital européen Georges Pompidou, Paris ; **CHU de Dijon
Il est établi depuis près de 20 ans que l’implantation d’un défibrillateur automatique implantable (DAI) en prévention primaire (PP) chez certains porteurs de cardiopathies avancées peut réduire l’incidence de la mort subite cardiaque (MSC)(1,2). Depuis la mise en œuvre des recommandations publiées par les sociétés savantes, l’incidence de la mort subite a diminué de 44 % dans cette population(3), si bien que la mortalité non soudaine rivalise avec la survenue des arythmies ventriculaires. De nombreux porteurs de DAI ne reçoivent jamais de chocs appropriés(4), et il se pose alors la question de la pertinence des critères actuels de sélection qui sont principalement basés sur la valeur de la fraction d’éjection du ventricule gauche.
L'étude DANISH a en effet mis en évidence que chez les patients porteurs d’une cardiopathie non ischémique, l’implantation d’un DAI en PP permet de réduire la mortalité rythmique, mais pas globale, les patients les plus âgés (> 68 ans) décédant d’autres causes(5). L’âge pourrait donc être un critère déterminant dans la sélection des candidats au DAI en PP, ce qui n’est pas le cas actuellement dans les recommandations.
En somme, sélectionner les meilleurs candidats à la PP, ce n’est pas seulement identifier ceux qui sont les plus à risque de décès par arythmie ventriculaire, c’est aussi savoir parfois renoncer à implanter ceux qui risquent de décéder de leurs comorbidités. L’objectif de cette revue est d’essayer d’identifier les cas pour lesquels il semble raisonnable de s’abstenir en primo-implantation ou à l’occasion d’un changement de boîtier.
Quand renoncer en primo-implantation d’un DAI ?
Les indications actuelles en cas de cardiopathie ischémique
Dans l’étude MADIT II, la réduction du risque relatif de mortalité rythmique était de 31 %(1), dans l’essai SCD-HeFT, de 23 %(2). Ces études ont largement contribué à l’élaboration des recommandations des Sociétés européennes et américaines de cardiologie (ESC, ACC/AHA/HRS). Celles-ci sont d’ailleurs très proches : classe NYHA classe II-III, FEVG < 35 % après au moins 3 mois de traitement médical optimal, et en respectant un délai d’au moins 40 jours après un IDM, chez des patients dont la survie estimée est supérieure à 1 an(6).
Les recommandations américaines ajoutent la notion d’une réévaluation après au moins 90 jours suivant une revascularisation coronarienne, ainsi que la possibilité d’implanter des patients en classe I de la NYHA avec une FEVG < 30 % ou FEVG < 40 % avec TV non soutenue plus de 4 jours après un IDM et inductibilité d’une arythmie ventriculaire soutenue lors d’une stimulation ventriculaire programmée(6,7) (figure 1).
Figure 1. Prévention primaire chez les patients porteurs d’une cardiopathie ischémique. TVSI = tachycardie ventriculaire soutenue inductible, EP = électrophysiologie, TMO = traitement médical optimisé, DAI = défibrillateur automatique implantable.
Les indications actuelles en cas d’insuffisance cardiaque d’origine non ischémique
Le niveau de preuve en lien avec les recommandations est un peu plus faible (B) que pour les patients porteurs d’une cardiopathie ischémique (A). En plus des recommandations classiques (classe NYHA II-III et FEVG < 35 %), les sociétés savantes américaines proposent en classe IIb niveau de preuve C la possibilité d’implanter en classe NYHA I et FEVG < 35 %(6).
Pourquoi se poser la question de renoncer à la prévention primaire ?
D’abord parce que les études rétrospectives ont montré que sur une période de longévité standard de batterie d’un DAI (entre 7 et 10 ans selon les compagnies), plus de 65 % des patients ne reçoivent aucune thérapie appropriée. Ce qui signifie que les critères de sélection actuellement centrés sur la fraction d’éjection mériteraient d’être améliorés pour être plus spécifiques. Le risque de MSC chez les patients atteints d’IC a considérablement diminué sur les deux dernières décennies en grande partie grâce à l’optimisation du traitement médicamenteux. En effet, on constate que le taux de survenue d’une arythmie ventriculaire sur 3 ans est passé de 21 % dans MADIT-II (réalisée dans les années 1997- 2001) à 14 % dans MADIT-RIT (menées au cours des années 2009- 2011). Cela signifie qu’il est donc impératif de suivre les recommandations qui stipulent que les candidats à l’implantation doivent avoir un traitement médicamenteux optimal stable depuis 3 mois. La titration médicamenteuse selon la tolérance jusqu’aux doses cibles peut prendre du temps, et il faut parfois savoir renoncer (au moins temporairement) à implanter un patient qui est adressé « trop tôt » au centre implanteur.
Ensuite, il semble important d’introduire un certain nombre de critères cliniques (dont l’âge) dans la stratification du risque rythmique. L’intérêt du DAI n’a pas été spécifiquement démontré chez les patients les plus âgés et dépend principalement des comorbidités associées(10). Les patients de plus de 75 ans sont sous-représentés aussi bien dans les essais randomisés que non randomisés, il s’agit d’ailleurs parfois d’un critère d’exclusion (étude DYNAMIT par exemple)(11). Si bien qu’aujourd’hui il n’y a aucun consensus vis-à-vis de l’âge limite à partir duquel il faudrait envisager de renoncer à la PP. Ce « cut off » est encore plus problématique à définir au moment du remplacement d’un boîtier arrivé en fin de vie de batterie et qui n’a pas été utile jusque-là.
Pour les patients atteints d’insuffisance rénale sévère ou terminale, toute décision d’implantation d’un dispositif transveineux doit être prudente. Le pronostic en termes de survie montre des résultats défavorables dans cette population en lien avec un risque d’infections très élevé lié au dispositif, surtout s’il existe une indication de dialyse.
Dans une sous-analyse de l’étude MADIT II, une stratification du risque a permis d’identifier 5 facteurs incluant : la classe NYHA > 2, l’âge > 70 ans, le taux d’urée sanguine > 26 mg/dl, la taille des QRS > 12 cs, et la présence de FA.
L’implantation d’un DAI réduit le taux de mortalité global de 50 % à 2 ans chez les patients qui présentent au moins un facteur de risque, en revanche il n’y a aucun bénéfice chez les patients à très haut risque (urée ≥ 50 mg/dl et/ou créatininémie ≥ 2,5 mg/dl)(12) (tableau 1).
En conséquence, la décision d’implanter doit être basée sur un jugement individualisé, intégrant la notion de balance bénéfice/risque ainsi que la préférence des patients correctement informés.
Dans le cadre de la nécessité d’une resynchronisation associée à la défibrillation, les recommandations européennes incitent à ne pas implanter de DAI en cas d’insuffisance cardiaque ou rénale avancée, de grande fragilité liée à l’âge, de cachexie et bien sûr d’une espérance de vie réduite (< 1 an). En faveur du DAI, on retient la présence d’une cardiopathie ischémique, une insuffisance cardiaque stable de classe II, un score de risque MADIT bas ou intermédiaire, une survie estimée au-delà de 1 an et l’absence de comorbidités.
Il est également nécessaire de reconsidérer l’indication d’implantation au moment du changement d’un boîtier de DAI dont les mémoires n’ont jamais enregistré d’arythmie ventriculaire durant le suivi.
Pourquoi ne pas remplacer systématiquement un générateur de DAI ?
Tout d’abord parce que de nombreuses choses ont pu changer depuis la primo-implantation (la FEVG, et l’âge du patient bien entendu, mais aussi l’apparition possible de nouvelles comorbidités). Il existe une relation inverse entre le nombre des comorbidités suivantes et le bénéfice attendu d’un DAI : tabagisme avec conséquences pulmonaires, diabète, artériopathie distale, FA, cardiopathie ischémique et insuffisance rénale chronique.
On sait par exemple que selon les séries et la présence d’une resynchronisation associée au DAI (CRT-D), 30 à 45 % des patients peuvent avoir une amélioration de la FEVG (au-delà de 35 %), au moment de prendre la décision de remplacer le boîtier. Dans ce cas, les critères initiaux d’implantation ne sont plus respectés. Il faut cependant rester prudent, car il a été montré dans une étude secondaire de DEFINITE qu’une amélioration intermédiaire de la FEVG (entre 35 et 50 %), ne protège pas de la survenue d’une arythmie ventriculaire avec thérapie appropriée(13). Cela est d’autant plus vrai dans les cardiopathies ischémiques, car même si la FEVG s’est améliorée, il persiste une cicatrice fibreuse potentiellement arythmogène.
On recense environ 10 % de patients qui peuvent même avoir totalement normalisé leur FEVG (> 50 %), c’est principalement le cas des « super répondeurs » à la resynchronisation, ou de certains cas de myocardites(14).
Chez les patients implantés d’un CRT-D, il a été montré qu’une amélioration de la FEVG au-delà de 45 % était associée à une réduction de l’incidence pour 100 patients-années d’arythmie ventriculaire traitée (total de 1 700 patients à partir de 6 cohortes rétrospectives). Cette incidence se situe entre 1,7 et 2,3/100 patients-années et n’atteint pas l’incidence de 3/100 à partir de laquelle on estime que le DAI apporte un bénéfice (pour au moins 50 patients traités)(9).
Plusieurs articles apportent une aide à la prise de décision. Il existe une échelle de 1 à 9 qui définit le caractère approprié(7-9), possiblement approprié(4-6), ou rarement approprié, d’envisager le remplacement du boîtier dont la batterie est épuisée(15).
Lorsque l’espérance de vie est < 1 an, il est « rarement approprié » (niveau 2) de remplacer l’appareil, même en cas d’arythmies ventriculaires durant le suivi, sauf par un PM si le patient est dépendant. En cas de normalisation de la FEVG (FEVG > 50 %) sans arythmie durant le suivi, il « peut être approprié » de le remplacer (niveau 5), ce qui signifie aussi qu’il est possible de ne pas le faire… Concernant le CRT-D, le score est plus faible (niveau 6-7) respectivement pour le remplacer par un CRT-P ou -D. En somme, ce score n’apporte pas grand-chose et les auteurs insistent sur l’évidente nécessité de surveiller attentivement la FEVG si le cardiologue et son patient décident de ne pas remplacer le DAI.
Ensuite, parce que le DAI n’est pas une thérapeutique sans risque et expose les patients à des thérapies inappropriées ce qui n’est pas le cas du pacemaker, ainsi que les complications liées aux sondes. Le DAI souscutané (S-ICD) qui ne comporte aucune sonde endoveineuse est une option très intéressante s’il n’y a pas de nécessité de stimulation cardiaque.
Pour des raisons économiques, car il est évident qu’un CRT-D est bien plus onéreux qu’un resynchronisateur associé au PM (CRTP). Il est donc envisageable dans les situations décrites ci-dessus de « down-grader » le dispositif.
Enfin, certains patients en fin de vie (d’une maladie chronique) peuvent présenter des désordres hydro-électrolytiques et gazométriques qui peuvent favoriser la survenue d’arythmie cardiaque. On estime à près de 20 % le nombre de ces patients qui peuvent recevoir des chocs via le DAI dans les dernières semaines de leur existence. Dans un but de réduire le stress inutile et les douleurs liés aux chocs, on peut discuter avec le patient et parfois sa famille de l’utilité de désactiver le DAI et donc de renoncer à la prévention primaire.
En pratique
▸ Il faut certainement considérer cette option chez les patients les plus âgés d’autant plus qu’ils sont porteurs d’une cardiopathie non ischémique et de nombreuses comorbidités et après discussion avec eux ainsi qu’avec leur famille si nécessaire. Il manque des études randomisées qui permettraient de définir un « cut-off » d’âge, mais ces travaux sont difficiles à mettre en place, car en l’absence de recommandation précise, chaque centre a déjà adopté ses propres limites d’âge (en général entre 75 et 80 ans). L’implantation d’un CRT-P reste une option envisageable et raisonnable pour améliorer les symptômes d’un patient âgé.
▸ On peut renoncer à la prévention primaire au moment du remplacement d’un boîtier de DAI dont la batterie est épuisée, en particulier si la FEVG s’est normalisée et en l’absence d’arythmie ventriculaire durant le suivi, ou si le patient à une espérance de vie de moins d’un an. Dans ce cas, le remplacement d’un CRT-D en CR-P (down-grading) peut également être envisagé, ce qui implique de gérer les problèmes techniques liés aux sondes (DF-1/IS1 pour la sonde VD, IS4/IS1 pour la sonde VG).
▸ Dans tous les cas, ces décisions sont difficiles à prendre, en pratique c’est le sens clinique qui guide les implantations et la discussion avec les patients.
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