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Valvulopathies

Publié le 15 mai 2021Lecture 6 min

Insuffisance tricuspide et valvulopathie gauche

Julien DREYFUS*, David MESSIKA-ZEITOUN**, *Service de cardiologie, Centre cardiologique du Nord, Saint-Denis, France **Service de cardiologie, Institut du coeur de l’université d’Ottawa, Ottawa, Canada

La valve tricuspide (VT), dont l’atteinte la plus fréquente est une régurgitation, longtemps considérée comme la valve oubliée », est désormais la nouvelle « Cendrillon », suscitant un franc regain d’intérêt en raison de sa prévalence importante, de sa gravité potentielle et de l’espoir généré par le développement des techniques de traitement curatif percutané.

• Prévalence L’insuffisance tricuspide (IT) significative (moyenne/sévère) est fréquente puisqu’elle affecte 0,55 % de la population (soit plus de 1,6 million de personnes aux USA), avec une prévalence qui augmente avec l’âge (jusqu’à 4 % après 75 ans). Sa prévalence, similaire à celle de la sténose aortique ou de la régurgitation mitrale, est aussi plus élevée chez les femmes que chez les hommes quel que soit l’âge(1). L’IT est dans plus de 90 % des cas fonctionnelle, c’est-à-dire sans atteinte intrinsèque de la valve tricuspide, secondaire à une atteinte valvulaire du coeur gauche (aortique ou mitrale) dans environ 50 % des cas(1), par remodelage du ventricule droit (VD) avec dilatation de l’anneau tricuspide (AT). Alors qu’une IT moyenne/sévère est présente chez moins de 5 % des patients ayant une valvulopathie aortique sévère, elle est très fréquente chez les patients ayant une valvulopathie mitrale, retrouvée chez environ 30 % des patients ayant une sténose mitrale serrée, 30 % des patients ayant une insuffisance mitrale (IM) organique et 45 % des patients ayant une IM fonctionnelle(2). • Valeur pronostique de l’IT L’IT est un facteur pronostique indépendant (et non un marqueur de risque) de mortalité et de morbidité (insuffisance cardiaque, baisse de la capacité fonctionnelle…), la morbi-mortalité augmentant de façon significative avec le grade d’IT. Une métaanalyse récente sur plus de 32 000 patients retrouve un risque de mortalité 2 fois plus élevé chez les patients ayant une IT moyenne/sévère que chez les patients ayant une IT absente ou minime, quelles que soient les pressions artérielles pulmonaires et les fonctions systoliques des ventricules gauche et droit(3). Cette morbimortalité est liée au grade de l’IT, quel que soit le mécanisme ou l’étiologie de l’IT(1). • IT et chirurgie valvulaire du cœur gauche Les indications de chirurgie valvulaire tricuspide au moment d’une chirurgie valvulaire du cœur gauche proposées par la Société européenne de cardiologie sont présentées dans le tableau 1(4). Un geste chirurgical sur la valve tricuspide au moment d’une chirurgie valvulaire du cœur gauche (le plus souvent mitrale) est recommandé en cas d’IT sévère, quel qu’en soit le mécanisme (grade IC), ou lorsque l’anneau tricuspide est dilaté (≥ 40 mm ou > 21 mm/m² en échocardiographie transthoracique en bidimensionnel dans l’incidence apicale 4 cavités), quel que soit le degré d’IT (grade IIaC). Il est en effet désormais clairement admis que 1) la présence d’une IT en préopératoire est un facteur pronostique indépendant associé à une morbi-mortalité qui augmente avec le grade de l’IT ; 2) l’IT ne régresse pas systématiquement après correction de la valvulopathie du cœur gauche ; 3) l’IT peut continuer à évoluer pour son propre compte, se majorer avec le temps alors même que la valvulopathie du cœur gauche a été corrigée de façon pérenne, et grever alors le pronostic ; 4) la réalisation d’une annuloplastie tricuspide (geste le plus souvent réalisé) au moment d’une chirurgie valvulaire du cœur gauche est un geste simple qui n’est pas associé à une augmentation de la morbi-mortalité. Les principaux facteurs prédictifs d’apparition d’une IT sévère à distance d’une chirurgie valvulaire du cœur gauche sont l’âge, le sexe féminin, la fibrillation atriale, l’hypertension artérielle pulmonaire, l’étiologie rhumatismale de l’atteinte mitrale et la dilatation des cavités droites. La présence d’une dilatation de l’anneau tricuspide est un marqueur plus précoce d’atteinte de la valve tricuspide que l’IT significative et traduit déjà un stade avancé dans la cascade physiopathologique complexe qui aboutit à l’IT fonctionnelle. Le diamètre de l’anneau tricuspide mesuré dans l’incidence apicale 4 cavités offre un bon reflet du degré de dilatation de l’anneau tricuspide même s’il n’en mesure pas le plus grand axe(5). Une métaanalyse récente sur 2 840 patients montre que la réalisation d’un geste chirurgical sur la valve tricuspide au moment d’une chirurgie du cœur gauche en prenant en compte les recommandations européennes est associée à une réduction du grade d’IT et à une diminution de la mortalité cardiovasculaire à 6 ans(6), d’autres études ayant également montré une amélioration des capacités fonctionnelles et une diminution de la taille des cavités droites. À noter qu’une annuloplastie tricuspide sera toujours privilégiée en cas d’IT fonctionnelle sauf en cas de tenting important des feuillets valvulaires (hauteur de coaptation > 8-10 mm, surface de tenting > 16 mm², volume de tenting > 2,3 ml) qui est associé à un risque important de fuite résiduelle significative et qui justifie donc l’implantation d’une prothèse en position valvulaire tricuspide, le plus souvent une bioprothèse, elle-même associée à un sur-risque de pacemaker au décours de l’intervention. En pratique, la chirurgie valvulaire tricuspide est réalisée dans plus de 90 % des cas concomitamment à une chirurgie valvulaire du cœur gauche (et très rarement isolément), avec un nombre qui augmente régulièrement avec le temps, mais qui reste faible. Il est toutefois important de rappeler qu’avant une chirurgie valvulaire mitrale, malgré un diagnostic clairement établi, l’insuffisance tricuspide reste négligée dans près d’un tiers des cas en France(7). • IT à distance d’une chirurgie valvulaire du cœur gauche Les recommandations de chirurgie concomitante sur la valve tricuspide au moment d’une chirurgie valvulaire du coeur gauche étant récentes, il n’est pas rare de voir des patients avec une IT significative à distance d’une chirurgie valvulaire du cœur gauche. La prise en charge de ces patients est difficile avec un pronostic d’autant plus sombre que l’IT est sévère. Les recommandations européennes suggèrent de réaliser un traitement curatif de l’IT par chirurgie tricuspide isolée en cas d’IT sévère symptomatique ou de retentissement sur la taille ou la fonction du ventricule droit s’il n’y a pas de dysfonction sévère ventriculaire droite ou gauche ou d’hypertension artérielle pulmonaire sévère. La chirurgie tricuspide isolée est associée chez ces patients à un risque de mortalité postopératoire très élevé (près de 16 %), qui n’est que très partiellement lié au caractère redux de l’intervention, mais surtout à la présentation clinique du patient, avec le retentissement sévère sur le ventricule droit (signes cliniques d’insuffisance cardiaque droite, dilatation et/ou dysfonction ventriculaire droite) et sur les autres organes (insuffisance rénale, insuffisance hépatique…). C’est donc la réalisation d’une chirurgie a un stade trop tardif et non pas la chirurgie elle-même qui est responsable de cette mortalité opératoire très élevée. Ainsi, la mortalité prédite est extrêmement variable d’un patient à l’autre en fonction du moment de la prise en charge dans l’histoire naturelle de la maladie, ce qui doit inciter à un traitement curatif plus précoce(8). • IT et traitement percutané Le traitement percutané de l’insuffisance tricuspide est actuellement en plein essor, faisant suite au développement du traitement percutané pour les valvulopathies aortiques et mitrales. De nombreuses techniques ont été développées et sont analysées dans le registre européen et nord-américain Trivalve(9). La réparation bord à bord par TriClip® (par analogie au MitraClip® en position mitrale), qui a pour objectif de restaurer une coaptation valvulaire par accolement des bords libres des feuillets, est à ce jour la technique la plus employée (figure 1). Elle semble prometteuse puisque associée à une diminution du grade d’IT au prix d’un très faible risque procédural (procédure ne nécessitant qu’une ponction veineuse fémorale). L’évaluation de sa sécurité et de son efficacité a débuté en Amérique du Nord et en Europe avec l’étude TRILUMINATE(10). Une étude multicentrique randomisée est en cours en France (TRI-FR) pour évaluer ce système de réparation percutanée comparativement au traitement médical seul chez les patients ayant une insuffisance tricuspide fonctionnelle sévère. L’implantation au niveau de la valve tricuspide d’une bioprothèse par voie percutanée (par analogie au TAVI au niveau de la valve aortique) est également une technique potentiellement intéressante, en cours de développement et proposée pour le moment uniquement pour des cas compassionnels. Avec l’avènement du traitement percutané des valvulopathies aortiques et mitrales, de nombreux patients ayant une IT significative ne sont pas/plus traités pour leur valvulopathie tricuspide. Lorsque les techniques percutanées sur la valve tricuspide seront arrivées à maturité, elles pourront être proposées soit associées à un autre geste percutané sur une valvulopathie du cœur gauche, soit isolées à distance d’une intervention sur le cœur gauche.

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