Publié le 28 sep 2021Lecture 6 min
Les maladies cardiovasculaires, 1re cause de mort maternelle : il est urgent d’agir !
Claire MOUNIER-VÉHIER, CHU de Lille
Le cumul des décès maternels d’origine cardiovasculaire, incluant les accidents cardiaques, les accidents thrombo-emboliques veineux, les accidents vasculaires cérébraux et les complications hypertensives gravidiques, placent les maladies cardiovasculaires au premier rang des causes de mortalité maternelle en France, entre 2013 et 2015.
On estime à 150 000 le nombre de femmes porteuses d’une maladie cardio-vasculaire en âge de procréer en France. Ces patientes ont un risque multiplié par 15 de complications pour leur enfant et par 100 de mortalité pour elles-mêmes, si elles ne sont pas correctement prises en charge.
La grossesse est un vrai test physiologique de stress cardio-vasculaire ! Pendant celle-ci et après l’accouchement, le cœur et les artères sont très sollicités. Le corps a des capacités insoupçonnables d’adaptation physiologique pour permettre le développement harmonieux du placenta, nouvel organe vasculaire spécifique qui va permettre la croissance du fœtus dès sa conception. La grossesse peut ainsi être assimilée à un effort d’endurance, véritable marathon sur plusieurs mois.
Quand les pathologies s’expriment à partir du 2nd trimestre
Très tôt, la taille des cavités cardiaques augmente, les vaisseaux se dilatent, la fréquence cardiaque et le débit cardiaque augmentent pour répondre aux demandes croissantes de la nouvelle unité foeto-placentaire.
L’accouchement représente aussi un travail cardiaque supplémentaire considérable en raison des contractions et des efforts d’expulsion, de la douleur, des saignements et de l’anesthésie. Parallèlement, il y a une activation physiologique des systèmes de coagulation pour éviter l’hémorragie de la délivrance. L’augmentation du travail cardiaque et de la charge volémique peuvent alors venir décompenser une maladie cardiaque ou artérielle, parfois même la révéler, le plus souvent au cours du 3e trimestre, lorsque la sollicitation du cœur devient la plus importante. De plus, dans 10 à 15 % des cas, le placenta, nouvel organe vasculaire nourricier, peut ne pas se développer correctement, avec dès la fin du 2e trimestre, une ischémie placentaire ayant des conséquences fœtales parfois létales (retard de croissance, prématurité). Dans le plus grave des cas, cette atteinte peut engendrer la mort fœtale.
L’augmentation actuelle de l’âge des grossesses contribue à la progression du risque d’ischémie placentaire. Les femmes sont aussi exposées de plus en plus jeunes à un cortège de facteurs de risque environnementaux qui agissent sournoisement au fil des ans : tabac, stress, sédentarité, alimentation déséquilibrée, surpoids, obésité, diabète, cholestérol, hypertension artérielle… Ceux-ci rendent la placentation plus difficile, soulignant le rôle clé d’un dépistage plus systématique à cette phase clé de la vie d’une femme. Chez celles ayant une maladie cardio-vasculaire connue, la grossesse augmente le risque de survenue d’une complication évolutive, dont la fréquence et la gravité dépendent du type de pathologie. Plusieurs scores permettent ainsi de grader le risque de complications graves cardio-vasculaires auxquelles sont exposées ces femmes durant une éventuelle grossesse.
Retenons les 3 alertes rouges saisissantes de ce 6e rapport de l'Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) 2013-2015 [1], en France :
- 1ère alerte : les maladies cardio-vasculaires constituent désormais la 1ère première cause de mortalité maternelle. C'est un tournant évolutif majeur dans cette épidémiologie du risque ;
- 2ème alerte : 66 % des décès maternels de cause cardio-vasculaire sont évitables ! Alerte dérangeante, car elle nous remet en question dans nos pratiques. Ce résultat choc souligne l’énorme marge d’amélioration pour notre système de soins qui doit aujourd’hui relever un vrai challenge, celui d’évoluer plus vite vers la médecine préventive maternelle ;
- 3ème alerte : la perte de chances des femmes en situation de précarité, en situation de vulnérabilité psychologique et financière, chez qui la grossesse n’est pas le sujet de préoccupation majeure. Ces femmes sont sorties des parcours de soins pour différentes raisons sociales : chômage, violences conjugales, isolement social, mère célibataire, immigrée… et sont davantage exposées aux facteurs de risque cardio-vasculaire comme l’obésité, la sédentarité, l’hypertension, le tabagisme. Près de 25 % des décès maternels surviennent chez des femmes en situation de vulnérabilité. Parmi les causes explicatives, sont identifiés des refus de soins, un défaut d’observance et des comorbidités plus fréquentes comme l’obésité. Nous ne pouvons pas rester passifs face à ces constats. Nous nous devons d’agir, d’inverser la tendance, pour sauver ces vies de femmes jeunes, fragilisées et les aider à mener dignement leur grossesse.
Les 3 A de la prévention cardio-vasculaire maternelle
C’est pour agir concrètement auprès de toutes ces femmes que nous avons cofondé en mai 2020 avec Thierry Drilhon, administrateur et dirigeant d’entreprise, le fonds de dotation « Agir pour le Cœur des Femmes », (www.agirpourlecoeurdesfemmes.com), autour des 3 A : Alerter, Anticiper, Agir. Nous devons militer tous ensemble pour le développement d’une médecine préventive que nous espérons efficace, notamment au cours de la grossesse, en développant les 3 A du cœur :
- Alerter les femmes à risque cardio-vasculaire ou porteuses d’une cardiopathie qu’il est nécessaire de préparer la mise en route d’une grossesse, de modifier certains traitements tératogènes en cours, de réévaluer la situation cardio-vasculaire avant d’initier la grossesse en concertation avec le médecin traitant, le cardiologue et l’obstétricien. Il est fondamental d’informer les professionnels de santé, mais aussi toutes les femmes, sur les symptômes d’alerte cardio-vasculaire pendant une grossesse ou en postpartum avant qu’il ne soit trop tard.
- Anticiper en s’appuyant sur la consultation pré-conceptionnelle et la consultation du post partum, telles que recommandées par la Société Française d’HTA (www.sfhta.eu). La médecine préventive maternelle doit inciter à la fois les femmes à parler de leur désir de grossesse à leur médecin traitant ou à leur gynécologue. Les professionnels de santé se doivent eux de questionner leurs jeunes patientes en âge de procréer. Avant la conception, chez une femme à risque cardio-vasculaire, le cardiologue décidera du bilan à réaliser. Selon le niveau de risque cardio-vasculaire, le dossier sera discuté en concertation cardio-obstétricale, en s’appuyant sur la stratification de l’OMS pour autoriser ou non la grossesse.
Les femmes porteuses d’une maladie cardio-vasculaire doivent pouvoir préparer un projet de grossesse, de façon concertée et raisonnée, en s’appuyant sur l’expertise d’une équipe plurielle dans des conditions de sécurité optimales, pour éviter à tout prix l’accident fatal. Après l’accouchement, la situation cardio-vasculaire sera réévaluée, le traitement adapté et le suivi cardio-gynécologique structuré.
- Agir sur la prise en charge de ces femmes à risque tout au long de leur grossesse dans un centre d’expertise obstétrical et cardio-vasculaire, avec un suivi prénatal soutenu. Un suivi régulier de la grossesse sera mis en place au travers de parcours coordonnées dédiés, associant l’ensemble des professionnels de santé et les patientes pour éviter l’inacceptable, la mort d’une jeune femme. Agir également au-delà de la grossesse, par un suivi au long cours cardio-vasculaire et gynécologique, pour éviter l’accident tardif dans une médecine préventive, offensive et positive. Nous devons inverser cette épidémiologie dramatique : 200 femmes par jour en France décèdent d’une maladie cardio-vasculaire et parmi elles, de jeunes mamans pour lesquelles l’accident aurait pu être évité dans nombre de cas.
Ensemble, nous pouvons évoluer vers une médecine plus préventive, avec une vigilance toute particulière pour les femmes au moment de la grossesse. Cette enquête nous bouscule, nous remet en question, nous questionne, nous, soignants, dont la vocation est de soulager et de sauver des vies. Elle souligne l’urgence de développer des parcours de soins multidisciplinaires, plus tournés vers la médecine préventive, en conduisant des actions médico-sociétales de proximité, dans des quartiers à forte précarité identifiés.
[1] Publié le 6 Janvier 2021. Mis à jour le 27 janvier 2021
- http://www.epopé-inserm.fr/grandes-enquetes/enquete-nationale-confidentielle-sur-les-morts-maternelles
- Causes de mortalité en France. Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, novembre 2019 - https://www.santepubliquefrance.fr/docs/bulletin-epidemiologique-hebdomadaire-12-novembre 2019-n-29-30-surveillance-de-la-mortalite-par-cause-medicale-en-france-les-dernieres-evolutions.
Claire Mounier-Vehier, CHU de Lille - Institut Cœur Poumon, Médecine Vasculaire et HTA - Univ. Lille, EA 2694 - Santé publique : épidémiologie et qualité des soins, F-59000 Lille, France – Présidente de l’association Agir pour le Cœur des Femmes/Women’s Cardiovascular Healthcare Foundation. www.agirpourlecoeur des femmes.com
Publié par Sage Femme Pratique
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