Publié le 04 nov 2022Lecture 4 min
Les enseignements des registres européens sur les valvulopathies
Bernard IUNG(1), Julien MAGNE(2)*, 1. Paris, 2. Limoges
Dans les années 1980, la Société européenne de cardiologie (ESC) a développé un programme ambitieux de registres prospectifs, Euro Heart Survey puis EURObservational Research Programme (EORP) à partir de 2009. L’objectif était d’obtenir des données contemporaines dans des populations européennes avec comme objectif particulier d’évaluer les pratiques de prise en charge des patients en vie réelle. Cette initiative originale prenait toute sa valeur avec le développement concomitant des recommandations de l’ESC qui apportaient un référentiel.
L'Euro Heart Survey avait inclus 5 001 patients en 2001 dans 25 pays et montré les conséquences de la prédominance des valvulopathies dégénératives sur l’âge des patients et la fréquence des comorbidités associées(1). Il avait surtout mis en évidence un recours insuffisant à la chirurgie valvulaire chez les patients symptomatiques présentant un rétrécissement aortique calcifié (RAC) serré ou une insuffisance mitrale (IM) sévère. La conduite d’un nouveau registre suscitait un intérêt particulier en raison du développement des traitements percutanés des valvulopathies, mais aussi de l’actualisation régulière des recommandations ESC.
Le registre EORP VHDII a été conduit en 2017 dans 28 pays et a inclus 7 247 patients référés en milieu hospitalier (hospitalisation ou consultation) en raison d’au moins une valvulopathie native sévère ou d’un antécédent d’intervention valvulaire(2). Les patients ayant un antécédent d’intervention valvulaire représentaient 28 % de la population et étaient le plus souvent référés en consultation pour un suivi. Parmi les 5 219 patients ayant une valvulopathie native, l’étiologie dégénérative était largement dominante et progresse encore, au détriment des atteintes rhumatismales, en comparaison à 2001. Le RAC était de loin la valvulopathie la plus fréquente (41 % et 54 % des monovalvulopathies du cœur gauche) suivi par les polyvalvulopathies (25 %) et l’IM (21 %) (figure 1). Le rétrécissement mitral (RM) ne représentait que 4 % des valvulopathies ce qui s’explique par le fait qu’il s’agit de la seule valvulopathie dont l’origine demeure rhumatismale dans 85 % des cas. L’âge des patients était élevé (tableau 1), en particulier pour le RAC, avec une augmentation de la proportion d’octogénaires de 14 % en 2001 à 38 % en 2017. Malgré l’âge et les comorbidités, la plupart des patients étaient à faible risque opératoire avec un EuroSCORE II médian le plus souvent ≤ 2. Les patients étaient souvent référés à un stade avancé de leur cardiopathie, illustré par une classe III ou IV de la NYHA dans plus d’un tiers des cas de RAC et près de la moitié des IM et des polyvalvulopathies et les hospitalisations pour insuffisance cardiaque dans l’année précédente.
L’évaluation échocardiographique de la sévérité des valvulopathies était satisfaisante dans les valvulopathies sténosantes, le gradient et de la surface étant documentés dans respectivement plus de 90 % et 85 % des cas. En revanche, la surface de l’orifice régurgitant et le volume régurgitant étaient documentés dans moins de 45 % des IA et moins de 60 % des IM. Les autres modalités d’imagerie concernaient essentiellement le scanner, utilisé dans 20 à 30 % des valvulopathies aortiques, alors que l’imagerie par résonance magnétique n’était utilisée que dans moins de 5 % des valvulopathies du cœur gauche. Les épreuves d’effort ou, plus rarement, de stress pharmacologique n’étaient effectuées que chez moins de 10 % des patients asymptomatiques. Une épreuve d’effort n’était réalisée que chez 6 % des patients avec un RAC serré asymptomatique, sans amélioration comparativement à 2001, alors que l’évaluation à l’effort des patients ne rapportant pas de symptôme a pris une part croissante dans les recommandations. Parmi les patients symptomatiques ayant une recommandation de classe I, une décision d’intervention était retenue lors de l’hospitalisation ou de la consultation dans 79 % des RAC, 78 % des IA, 69 % des RM et 71 % des IM primaires. Ces chiffres attestent d’une meilleure application des recommandations comparativement à l’Euro Heart Survey de 2001 pour le RAC et l’IM (respectivement 66 % et 49 %), bien qu’il persiste un recours insuffisant aux interventions dans l’IM primaire, ce qui a également été rapporté aux USA(3).
L’analyse spécifique de la prise en charge des 1 271 patients présentant un RAC serré symptomatique à haut gradient a montré que l’absence de décision d’intervention était associée à un âge plus élevé, aux comorbidités, à des symptômes moins sévères et à un gradient aortique plus faible(4). Cette association avec de symptômes moins sévères (classe NYHA < III) témoigne à nouveau du caractère tardif des indications d’intervention. Parmi les patients ayant eu une intervention durant la période de l’étude, 346 (40 %) ont eu une implantation de prothèse par cathéter (TAVI) et 515 (60 %) une chirurgie. Chez les patients traités par TAVI, l’EuroSCORE II médian était de 3,1 % et le TAVI représentait 84 % des interventions après 80 ans, alors que les indications concernaient alors que les patients à risque opératoire accru (EuroSCORE II > 4 %). Ces données illustrent l’anticipation de l’extension des indications du TAVI chez les patients âgés à faible risque opératoire, qui est apparue dans les recommandations ESC 2021, après le recrutement de VHD II. Cette anticipation avait également été observée en 2016 dans le registre français RAC(5). L’absence d’indication d’intervention sur la valve aortique était associée à une surmortalité à 6 mois, y compris après ajustement sur l’EuroSCORE II ou l’indice de comorbidité de Charlson. Le registre VHD II a aussi permis l’étude des polyvalvulopathies, qui atteignaient des patients plus âgés et ayant plus de comorbidités que ceux ayant une monovalvulopathie, pris en charge à un stade plus avancé et moins souvent opérés qu’en cas de monovalvulopathie(6). La mortalité était plus élevée pour les polyvalvulopathies en comparaison aux monovalvulopathies, y compris en analyse multivariée.
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