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Cardiovasculaire

Publié le 15 fév 2023Lecture 7 min

Est-il encore légitime de rechercher une ischémie dans la « cardiopathie ischémique stable » ?

Julien ROSENCHER*, Philippe-Gabriel STEG**, *Collège National des Cardiologues Français (CNCF) ; Groupe Hospitalier Privé Ambroise-Paré Hartmann, Neuilly-sur-Seine, **Hôpital Bichat-Claude-Bernard, APHP

La recherche d’ischémie (par test d’effort seul ou couplé à l’imagerie) a longtemps été un élément central dans le dépistage et le suivi des patients en cardiologie. Cependant, après la publication de plusieurs grands essais randomisés sur la revascularisation des lésions coronaires dans la cardiopathie ischémique stable et les progrès de nos connaissances en imagerie, il faut probablement remettre en question le dogme de l’intérêt de recherche de l’ischémie… dans la cardiopathie ischémique.

Une cardiopathie dite « ischémique » ?   Dans la définition même de la cardiopathie « ischémique », il existe la notion d’une inadéquation entre les besoins et les apports en oxygène au myocarde. Cette définition sous-entend que l’ischémie est à l’origine du mauvais pronostic de la maladie athéromateuse coronaire. Ceci est principalement lié à une vision « classique » de la physiopathologie (développement de la plaque jusqu’à son caractère sténosant, générateur d’ischémie myocardique lorsque les besoins en oxygène augmentent lors de l’effort) et des données épidémiologiques que l’on peut résumer ainsi : – plus le nombre de coronaires présentant une lésion sténosante « significative » est élevé, plus la mortalité est importante. Dans le registre CASS par exemple (datant d’avant l’angioplastie et les statines), la mortalité à 4 ans passe respectivement de 8 à 15 puis à 29 % en cas d’atteinte mono-, bi- ou tritronculaire(1). Ces données ont été largement confirmées depuis ; – plus l’ischémie est importante (étendue ou profonde), plus la mortalité est importante. L’extension de l’ischémie en scintigraphie apporte une information pronostique supplémentaire par rapport aux critères cliniques et angiographiques(2) ; – la revascularisation myocardique améliore de façon importante le pronostic des patients présentant un syndrome coronaire aigu(3). L’ischémie myocardique étant centrale dans la physiopathologie de la maladie, il était alors parfaitement plausible que la revascularisation des patients stables, mais à risque important, en amont de l’événement aigu, permettrait d’améliorer le pronostic. Or, aucun essai clinique n’a jusqu’à présent permis de prouver cette notion intuitivement de « bon sens ».   Principaux essais randomisés concernant la revascularisation des patients coronariens stables   En 2007, COURAGE a été le premier essai randomisé de grande taille (plus de 2 000 patients randomisés) à remettre en cause l’idée que la revascularisation systématique des patients présentant des lésions coronaires serrées apporterait un bénéfice pronostique par rapport au seul traitement médical(4). Elle confirmait toute une série d’essais de plus petite taille qui allait déjà dans le même sens(5). Bien que critiquée, l’étude était assez robuste(6,7). Pour expliquer ce résultat, il était tentant de penser que la revascularisation de la sténose coronaire, en elle-même, n’était pas suffisante pour améliorer le pronostic, mais qu’il fallait la réserver aux patients les plus ischémiques. En faveur de cette hypothèse, une analyse « post-hoc » de cet essai négatif (avec les problèmes méthodologiques qui découlent d’une analyse a posteriori) suggérait que ce bénéfice ne peut être observé que chez les patients les plus ischémiques en scintigraphie(8). Ce serait donc chez les patients les plus graves, dont la lésion coronaire coupable serait à la fois critique et proximale, et démontrée responsable d’une ischémie myocardique étendue, que la revascularisation myocardique pourrait apporter un bénéfice. Une ischémie myocardique > 10 % est alors devenu un critère retenu par les recommandations internationales pour sélectionner les patients à revasculariser. On signait ainsi la fin du « réflexe oculo-sténotique » qui caractériserait dorénavant les angioplasticiens les plus rétrogrades. Finalement, l’hypothèse selon laquelle l’ischémie était centrale (« hypothèse ischémique ») n’a pas été infirmée, mais plutôt renforcée par cette étude. Par la suite, plusieurs autres essais randomisés comparant revascularisation et traitement médical notamment chez les patients diabétiques, une population unanimement considérée à haut risque, ont donné des résultats similaires à COURAGE. Effectivement, ni la revascularisation ni la stratégie de recherche d’ischémie silencieuse (en vue de revascularisation) ne semblent apporter une amélioration pronostique chez les sujets diabétiques coronariens dans les études BARI 2D(9) (2009) et DYNAMIT(10) (2011). Seul essai présenté comme « positif », FAME 2 a montré en 2012 que l’angioplastie des lésions coronaires avec retentissement hémodynamique significatif mesuré de façon invasive par FFR permettait de diminuer un critère composite associant mortalité/infarctus/revascularisation urgente par rapport au traitement médical seul. Cependant, ce résultat était uniquement lié à la diminution du nombre de « revascularisations urgentes », (toujours sujet à caution dans cette étude réalisée en ouvert). En revanche, FAME n’a montré aucune différence entre les groupes en termes d’événements « objectifs » (décès ou infarctus du myocarde). Une des critiques faites à tous ces essais était la possibilité que les patients les plus graves, c’est-à-dire les plus à même de tirer un bénéfice d’une éventuelle revascularisation myocardique, aient été exclus avant la randomisation, tant il est difficile d’accepter que le traitement médical puisse faire jeu égal en termes pronostiques avec la revascularisation. Pour s’affranchir de ce biais de sélection, il était indispensable de tirer au sort les patients en amont de la réalisation d’une coronarographie. C’est ce qui a conduit à l’essai international ISCHEMIA, promu par le National Institutes of Health américain et réalisé dans le monde entier : les patients étaient sélectionnés sur la présence d’une ischémie myocardique au moins moyenne à sévère et après qu’un coroscanner a exclu les patients avec des coronaires normales ou des lésions serrées du tronc commun de la coronaire gauche. En 2020, les résultats de cet essai(11), sur plus de 5 000 patients, n’ont pas montré de bénéfice pronostique majeur de la revascularisation sur le traitement médical après un suivi moyen de 3,2 ans. Ces résultats sont également retrouvés chez les patients ayant des facteurs de risque élevé, tels qu’une ischémie particulièrement étendue, des lésions coronaires complexes, un diabète ou une lésion coupable sur l’IVA proximale. Enfin, les mêmes résultats sont retrouvés en 2022 dans l’étude REVIVED(12) chez les patients avec dysfonction ventriculaire gauche sévère et importante viabilité. Se pose alors enfin la question : est-ce que le traitement médical est aussi efficace que la revascularisation pour supprimer l’ischémie ou est-ce que l’ischémie n’est pas la cause, mais associée aux événements cardiovasculaires ?   Changement de paradigme : la plaque vulnérable et la charge athéromateuse   En parallèle à ces grands essais cliniques, notre compréhension de la maladie coronaire stable a été améliorée, notamment par l’imagerie endocoronaire et le scanner. Il était connu de longue date, que les lésions athéromateuses responsables d’infarctus étaient le plus souvent « non significatives » (ou non sténosantes) au cours des précédentes coronarographies. Cela avait notamment été bien montré par des études autopsiques et des études de coronarographies sériées(13). Mais les techniques d’imagerie endocoronaire, notamment l’IVUS (échographie intravasculaire) et l’OCT (optical coherence tomography) ont permis une caractérisation des plaques les plus à risque d’événement aigu, dites « vulnérables », avec chape lipidique fine sans lien avec son degré de sténose(14). Ceci a également pu être confirmé en termes d’ischémie par une étude combinant l’analyse systématique des lésions par FFR et OCT(15). Dans un groupe de patients diabétiques asymptomatiques, ceux présentant des plaques « vulnérables » en OCT avaient un taux d’événements cinq fois plus élevé malgré l’absence d’ischémie en FFR. Le caractère « vulnérable » de la plaque était ainsi plus corrélé au pronostic que son caractère sténosant ou ischémiant. Par ailleurs, l’exploration de la maladie coronaire par angioscanner a connu une croissance rapide et il a pu être mis en évidence des caractéristiques scanographiques de plaque « vulnérable » (hypodensité, remodelage…). Mais, de façon plus inattendue, le « simple » score calcique est sorti dans les différentes études comme un marqueur de risque cardiovasculaire indépendant puissant. Il a également été montré que, pour un même score calcique, la présence ou non d’une sténose « significative » n’impactait pas le pronostic(16). Ainsi, la « charge athéromateuse », et non le caractère obstructif de la coronaropathie, semble le principal prédicteur du risque d’événements cardiovasculaires et de décès. Ceci avait déjà été suggéré depuis longtemps par les études qui montraient que le risque d’événements augmentait en fonction du nombre d’artères coronaires atteintes par des lésions sténosantes, mais également non sténosantes(17). Enfin, il est également intéressant de rappeler que l’extension de la maladie athéromateuse extracoronaires (membres inférieurs, carotides…) est un facteur pronostique indépendant majeur d’événements cardiovasculaires. Ceci est montré notamment dans le registre REACH pour la survenue d’infarctus qui survient plus fréquemment en cas d’atteinte athéromateuse de plusieurs localisations(18).   Quelle place pour la recherche d’ischémie chez le coronarien stable ?   Ce changement de paradigme engendre beaucoup de questions. Dans le diagnostic initial de la maladie coronaire, la simple recherche d’ischémie ne va pouvoir mettre en évidence (avec une certaine sensitivité et spécificité plus ou moins bonne selon le test et la probabilité pré-test) qu’une répercussion fonctionnelle d’une éventuelle sténose et non la « charge athéromateuse » ou les plaques « vulnérables », qui sont pourtant plus corrélées au pronostic. Ceci expliquant notamment l’amélioration pronostique apportée par une stratégie d’exploration des patients coronariens stables par scanner dans l’étude SCOT HEART, alors même que cette stratégie n’entraînait pas plus de revascularisations(19). Chez les patients ayant une sténose athéromateuse prouvée, nous avons vu que la revascularisation guidée uniquement par l’ischémie (ou la FFR) ne reposait pas sur des preuves solides. Son principal bénéfice se limite à l’amélioration de la qualité de vie chez les patients souffrant d’angine de poitrine(20), mais sans amélioration de la survie globale ou de la survie sans infarctus (cf. ISCHEMIA et FAME 2). Enfin, chez les patients asymptomatiques préalablement revascularisés, le suivi régulier par test d’ischémie n’a également jamais montré de bénéfice(21).

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