Valvulopathies
Publié le 17 jan 2012Lecture 5 min
Une fuite aortique paraprothétique massive chez un patient avec antécédent d’intervention de Bentall
D. ATTIAS*, M. BENACERRAF*, N. BONNET**, Centre Cardiologique du Nord, Saint-Denis * Service de cardiologie, laboratoire d’échographie cardiaque ** Service de chirurgie cardiaque
Un patient de 77 ans est admis en urgence pour un choc cardiogénique associé à une fuite massive d’allure périprothétique. Les principaux antécédents sont une intervention de Bentall pour anévrisme de l’aorte ascendante avec mise en place d’une valve mécanique à disque en 1999 ; un monopontage mammaire interne gauche-IVA en 2002 et la pose d’un stimulateur cardiaque en 2004. L’histoire de la maladie est celle d’un patient décrivant une dyspnée d’aggravation progressive depuis plusieurs semaines. L’évolution est défavorable dès l’admission avec tableau de choc avec défaillance polyviscérale nécessitant intubation, ventilation mécanique et recours aux catécholamines. L’examen clinique retrouve une pression artérielle à 115/35 mmHg, FC 80/min, souffle diastolique 4/6 au bord gauche du sternum, turgescence jugulaire avec reflux hépato-jugulaire, crépitants bilatéraux et marbrures au niveau des genoux. Au niveau biologique, on note une anémie hémolytique à 11 g/dl avec schizocytes, LDH à 4N. Il existe, par ailleurs, une insuffisance rénale aiguë (créatinine à 305 µmol/l) et hépatique. Le BNP est à 5 200 pg/ml. L’ensemble des hémocultures reviendra stérile.
L’échocardiographie
L’ETT et ETO (incluant l’analyse multi-plan et 3D) retrouve une désinsertion de l’ensemble du Bentall (tube + valve mécanique) au niveau de l’anneau aortique et du trigone mitro-aortique (figure A) entraînant une fuite aortique périprothétique sévère (vena contracta 5 mm en ETO, figure B). Cette désinsertion est localisée sur l’hémicirconférence postérieure du tube et de la prothèse (figure C et D). La prothèse à disque fonctionne normalement. Il n’y a pas de désinsertion entre la prothèse et le tube : la fuite paraprothétique est liée à un faux anévrysme postérieur de 24 mm de diamètre alimenté par une fistule naissant au niveau de la réinsertion de la coronaire gauche dans le tube (figure E). En systole, le ventricule gauche éjecte dans le tube aortique, mais aussi dans le faux anévrysme, entraînant ainsi une compression extrinsèque sévère du tube et l’aspect particulier de l’ITV sous-aortique (figure F). Enfin, il n’y a pas d’aspect de végétation ou d’abcès. Par ailleurs, le ventricule gauche est modérément dilaté (DTDVG 64 mm, DTSVG 43 mm) avec une FEVG estimée à 50-55 % sans troubles de la cinétique segmentaire ; les cavités droites sont très dilatées avec une HTAP à 50 mmHg et une VCI dilatée mais compressible.
Dans ce contexte, il ne sera pas réalisé de coronarographie préopératoire mais un scanner cardiaque qui confirmera l’existence du faux anévrysme et qui montrera un pontage mammaire interne gauche-IVA perméable.
Figure. A : coupe apicale 3 cavités en ETT. La flèche montre bien la désinsertion postérieure de la valve mécanique aortique. B : coupe à 120 ° en ETO ; fuite paraprothétique importante avec vena contracta à 5 mm. C : La coupe ETO X-plane montre bien le faux-anévrisme (*) et la désinsertion de la valve mécanique sur l’ensemble de l’hémicirconférence postérieure. D : L’ETO 3D temps réel objective également cette désinsertion postérieure (*) de la valve mécanique (flèche noire). E : Le faux anévrysme est alimenté par une fistule systolo-diastolique naissant au niveau de la réimplantation de la coronaire gauche dans le tube (flèche pleine). Ce faux anévrysme est responsable de la fuite paraprothétique (flèche cassée). F : l’aspect de l’ITV sous-aortique est très intéressant. En systole, le VG éjecte dans le faux anévrysme qui vient comprimer l’aorte native et s’opposer ainsi à l’éjection, expliquant cet aspect du flux.
Le traitement
Après discussion avec la famille, il est alors décidé un traitement chirurgical en urgence. Les constatations peropératoires confirmeront les données échographiques avec un faux anévrysme lié à une désinsertion complète de l’anastomose coronaire gauche sur le tube aortique. La fuite aortique paraprothétique postérieure est liée à une désinsertion quasi complète de la prothèse de l’anneau aortique qui ne tient plus que par deux ou trois points dans l’ancien sinus non coronaire. Il est alors réalisé une ablation du tube valvulé et de l’ensemble des débris de colle et de thrombus dans le faux anévrysme. Un tube valvulé avec une valve mécanique à disque n°23 est alors réinséré et l’artère coronaire droite est réimplantée sur le tube valvulé. La valve mécanique sera stérile en culture. Le patient décédera rapidement en postopératoire d’une fibrillation ventriculaire réfractaire aux manœuvres de réanimation.
Discussion
La survenue d’une fuite paraprothétique chez les patients ayant bénéficié d’une intervention de Bentall est rare. Les cas rapportés dans la littérature sont exceptionnels et le mécanisme de ces fuites est analogue à celui de notre cas clinique. Dans une série japonaise de 155 patients opérés d’un Bentall pendant une période de 16 ans, quinze patients (8,4 %) durent être réopérés : 4 en raison d’une infection du tube, 7 en raison d’une dégénérescence de bioprothèse et 4 (2,5 %) en raison d’une fuite paraprothétique liée à un faux anévrysme péritubulaire(1).
Dans une autre série japonaise de 44 patients, la survie à 10 ans après intervention de Bentall était de 65 %. Au cours du suivi, aucun patient n’avait dû être réopéré pour une pathologie liée au tube implanté : les interventions réalisées secondairement étaient liées à la survenue d’autres anévrysmes sur le reste de l’aorte(2).
La formation des ces faux anévrysmes est liée à l’existence d’une fistule au niveau de la réimplantation des coronaires ou au niveau de l’anastomose distale ou proximale(2,3).
En augmentant progressivement de taille, ces faux anévrysmes dilatent l’anneau aortique, entraînant ainsi une désinsertion du complexe valve + tube et une fuite paraprothétique.
Il est à noter que le mécanisme de ces fuites paraprothétiques n’est jamais celui d’une désinsertion entre le tube valvulé et la valve. En effet, ces tubes valvulés avec valve mécanique sont en général fabriqués de manière industrielle et il n’a pas été rapporté de cas de malfaçon avec fuite à la jonction entre le tube et la valve. Pour les patients devant bénéficier d’une intervention de Bentall avec bioprothèse, le tube est en général cousu à la valve par le chirurgien en salle d’opération. De même, il n’a pas été rapporté de cas de fuite paraprothétique par désinsertion entre tube et bioprothèse.
Ce cas clinique illustre donc bien le mécanisme de constitution d’une fuite paraprothétique chez un patient aux antécédents de Bentall. Le traitement curatif consiste en un Bentall redux : chirurgie simple dans son principe, mais compliquée techniquement et malheureusement associée à une lourde mortalité opératoire (liée en grande partie aux comorbidités et à l’état clinique du patient au moment de la réintervention).
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