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Explorations-Imagerie

Publié le 12 juin 2012Lecture 5 min

Les troponines « non coronaires »

C. MEUNE, Hôpital Cochin, Paris

Il aura fallu plus de 25 ans pour passer d’un marqueur cardiaque non sensible et non spécifique (la créatine-phosphokinase ou CPK) à des marqueurs à la fois sensibles et spécifiques (les troponines I et T) de la nécrose myocardique.
Depuis, en 10 ans seulement, les cliniciens ont vu ces troponines s’imposer comme le gold standard des marqueurs de l’ischémie myocardique, occuper une place centrale dans le diagnostic d’infarctus du myocarde (IDM), être recommandées par toutes les sociétés savantes… puis être remplacées par les troponines dites « de haute sensibilité ».

Quelques points importants méritent d’être précisés d’emblée : - les troponines hypersensibles (Tn.HS), « ultra-sensibles », « de haute-sensibilité » ont comme définition d’être détectables chez plus de 50 % des sujets sains ; - elles permettent de mesurer des concentrations très faibles de troponine, mais il ne s’agit pas d’un nouveau marqueur : le biologiste mesure toujours une concentration de troponine. En fait, la terminologie exacte devrait être dosage « hyper-sensible » de troponine.   Principaux changements offerts par les troponines HS et conséquences pratiques   La Tn.HS, comme les méthodes conventionnelles de dosage, est un marqueur de nécrose des cardiomyocytes. Les premières études ont démontré que leur utilisation permet de détecter davantage d’IDM et plus précocement (sensibilité de plus de 90 % pour un dosage unique réalisé à l’admission)(1). Sa très grande sensibilité laisse entrevoir la possibilité de détecter l’ischémie en plus de la nécrose(2). Ceci a été suggéré par une étude menée chez des patients avec angor d’effort stable(3). Selon le théorème de Bayes, toute augmentation de sensibilité s’accompagne forcément (mathématiquement) d’une diminution de spécificité. La Tn.HS sera donc élevée dans d’autres circonstances que l’IDM de type 1 (par rupture de plaque et thrombose endocoronaire).   Ces élévations peuvent correspondre à des causes cardiaques mais non coronaires ou des causes extra-cardiaques, mais elles ont en commun d’être caractérisées par une souffrance et une nécrose des cardiomyocytes. Il ne s’agit donc pas de « faux positifs ».   Existe-t-il des faux positifs de Tn.HS ?   En théorie, non. En fait, la réalité est malheureusement plus compliquée et une étude récente vient de rapporter l’inimaginable(4). Il s’agit d’un patient de 46 ans qui a consulté pour des douleurs thoraciques atypiques. L’examen retrouve des signes de myopathie affectant les muscles squelettiques, les concentrations de troponine Tn.Hs et de CPK sont augmentées, contrairement à la troponine I qui est normale. Au terme d’un bilan exhaustif, toute atteinte cardiaque est écartée et les auteurs démontrent l’existence de réexpression au niveau musculaire d’une forme atypique de troponine interférant avec le dosage de Tn.HS. Il existe donc des circonstances possibles de faux positifs de Tn.HS, comme dans certaines myopathies, mais les cliniciens doivent garder à l’esprit qu’il s’agit d’affections extrêmement rares.   Autres causes « non coronaires » d’élévation de la Tn.HS   Ces causes potentielles sont regroupées dans les tableaux suivants. Elles comprennent des causes cardiaques et extra-cardiaques. Parmi ces causes, les dernières recommandations de la Société européenne de cardiologie considèrent l’insuffisance rénale, l’insuffisance cardiaque, les tachycardies ou bradycardies extrêmes, l’embolie pulmonaire et les myocardites comme des diagnostics différentiels importants.   Signification de ces élévations de Tn.HS   Dès 2007, l’analyse des données des patients inclus dans l’étude ValHEFT (Valsartan in HEart Failure Trial) mentionnait, outre l’élévation fréquente de la Tn.HS dans l’insuffisance cardiaque, son caractère pronostique péjoratif(5). La troponine mesurée de façon conventionnelle était détectable chez 10 % des 4 053 patients rapportés alors que la Tn.HS était détectable chez 92 % de ces patients. L’âge avancé, la diminution de la FEVG, le diabète et la présence de fibrillation auriculaire étaient les facteurs associés aux concentrations les plus élevées de Tn.HS.   L’élément le plus important de cette étude est la valeur pronostique de l’élévation de la Tn.HS chez ces patients (figure 1).   Figure 1. Relation entre la concentration de Tn.HS et le pronostic chez 4 053 patients inclus dans l’étude ValHEFT(5). En effet, il existe une relation linéaire entre la concentration de Tn.HS et le risque de décès et/ou de réhospitalisation. Depuis ces travaux, la valeur pronostique de la Tn.HS a été démontrée tant dans les causes extra-cardiaques que dans les causes cardiaques mais non coronaires de douleur thoracique. Dans une étude en cours de publication, nous avons étudié les caractéristiques de 512 patients ayant consulté aux urgences pour douleur thoracique et chez lesquels le diagnostic finalement retenu était celui d’une affection extra-cardiaque. La mesure de Tn.HS était élevée chez 88 de ces patients (14 %) ; les facteurs associés à l’élévation de Tn.HS étaient l’âge élevé, l’élévation de la pression artérielle, l’altération de la fonction rénale et les antécédents d’IDM, tous ces éléments étant des facteurs de mauvais pronostic bien connus. Lors du suivi, la mortalité de ces patients avec Tn.HS élevée (et pourtant absence de cause cardiaque) était multipliée par 3 par comparaison aux patients qui avaient une Tn.HS basse (données personnelles).   Quelles conséquences pour le clinicien ?   La connaissance de ces causes d’élévation de Tn.HS en dehors de toute affection coronaire aiguë et de sa valeur pronostique péjorative a au moins 3 conséquences majeures : - la première règle est le respect strict de l’indication de dosage de Tn.HS. En effet, une concentration de Tn.HS doit s’interpréter selon son indication. L’indication principale est et doit rester le patient avec douleur thoracique aiguë faisant suspecter un IDM ; - la deuxième conséquence est la nécessité d’interpréter comme péjorative toute élévation de Tn.HS, même si le diagnostic retenu n’est pas celui d’IDM. Cela n’est pas synonyme bien sûr de transfert immédiat en unité de soins cardiologiques spécialisés ni d’investigations coronaires ou cardiaques poussées urgentes. La décision d’hospitalisation ou non et la prise en charge doivent rester basées sur l’ensemble des examens cliniques, ECG, etc. Par contre, il faudra interpréter la pathologie du patient comme plus sévère et se poser la question de l’intensification possible de son traitement ; - la troisième conséquence est la nécessité d’interpréter les dosages de Tn.HS de façon quantitative (et non plus qualitative, positive ou négative) et de répéter les dosages si besoin. En effet, les concentrations mesurées ne sont pas comparables et surtout le profil évolutif ne sont pas les mêmes selon l’affection responsable de l’élévation de Tn.HS(6) (figure 2).   Figure 2. Importance de l’élévation des concentrations de troponine au cours de différentes affections (données personnelles). En pratique   La méthode de dosage hypersensible de la Tn.HS permet la mesure de concentrations très faibles de Tn. La Tn devient donc détectable et élevée chez une proportion plus importante de patients, y compris en l’absence d’affection coronaire aiguë. Ces affections ont en commun une atteinte cardiaque (d’origine ischémique, hémodynamique, inflammatoire, auto-immune, traumatique). L’élévation de Tn.HS chez ces patients ne doit pas être considérée comme un faux positif mais au contraire comme un signe de mauvais pronostic. Il faudra alors réévaluer le patient, intensifier sa prise en charge et le délai dépend de l’affection diagnostiquée et non pas de l’élévation de la Tn.HS. Grâce à ces dosages de Tn.HS, une nouvelle ère se profile : nous ne cherchons plus seulement à diagnostiquer l’IDM mais avons à notre disposition un outil très fin pour évaluer le pronostic des patients.

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