HTA
Publié le 25 sep 2012Lecture 9 min
Comment écarter une « fausse » HTA réfractaire ? Les étapes clés
C. MOUNIER-VEHIER, G. CLAISSE, N. KPOGBEMABOU, P. DELSART, CHRU Lille
Les « vraies » hypertensions (HTA) réfractaires (encore appelées HTA « résistantes ») sont rares et concernent environ 9 % des hypertendus traités aux USA[11]. Ces HTA « réfractaires » ou « résistantes » sont associées à une atteinte prématurée des organes cibles et à une surmortalité CV. Il s’agit bien d’« hypertensions maladies » sévères[11,12]. Le challenge va être de confirmer ou d’éliminer le diagnostic de « résistance » par étapes codifiées[6,8,9,12]. L’HTA réfractaire est plus fréquente chez les patients âgés, les diabétiques, les insuffisants rénaux, les obèses, les patients d’origine africaine, les Antillais, ou encore chez les patients en précarité[6,8,9,11]. Structurer les prises en charge de l’HTA à l’aide de recommandations simplifiées devrait permettre, nous l’espérons, d’atteindre un taux de 75 % d’HTA contrôlés en France en 2015, tout en éliminant un certain nombre de « fausses » HTA réfractaires[8].
L’hypertension artérielle en 2012 : connaître l’épidémiologie !
Malgré un arsenal thérapeutique complet, une bonne connaissance de la pathologie et des recommandations régulièrement mises à jour, l’hypertension artérielle (HTA) reste le premier facteur de risque mondial de mortalité cardio-vasculaire (CV) et le premier facteur de risque de l’accident vasculaire cérébral[1]. En France, on compte 15 à 16 millions d’hypertendus et il s’agit du premier motif de consultation en médecine générale[2]. Or, selon l’enquête ENNS 2006-2007, portant sur des sujets de 18 à 74 ans, près de 20 % des hypertendus connus n’étaient toujours pas traités, 36 % étaient traités par une bithérapie, 15 % par une trithérapie alors qu’en moyenne un hypertendu sur deux était à la cible thérapeutique. Entre 2000 et 2006, la progression de la bithérapie, voire la polythérapie, n’avait pas évolué de façon majeure alors que le risque CV progressait significativement. Seulement 8 % des patients hypertendus à risque consultaient un cardiologue dans l’année[3].
Dans l’enquête FLASH 2010 (www.comitehta.org), la trithérapie recommandée par la Haute Autorité de Santé (HAS), associant bloqueurs du système rénine- angiotensine (BSRA), inhibiteurs calciques (ICa) et diurétiques thiazidiques, n’était correctement appliquée que dans 18 % des cas et la bithérapie (BSRA-ICa) dans 66 % des cas. Dans l’enquête Parité, conduite en cardiologie de ville, les deux tiers des patients de l’étude étaient des hypertendus à haut risque CV avec un taux de contrôle de 25 %. Seulement 8 % des diabétiques et/ou insuffisants rénaux étaient équilibrés[4]. Ces études soulignent une certaine inertie thérapeutique chez nos hypertendus à risque.
Malgré ces alertes épidémiologiques, l’ALD 6 a été supprimée en France en 2011, requalifiant l’HTA comme « simple » facteur de risque, avec des inégalités immédiates de prises en charge pour les hypertendus sévères[5]. Les recommandations HAS sur l’HTA ont conjointement été retirées du site www.has-sante.fr. Pourtant, la même année, de nouvelles recommandations anglaises et françaises ont rendu plus « accessible » la prise en charge de l’HTA[6,7]. La Société Française d’HTA et le Comité de Lutte contre l’HTA ont aussi édité une brochure « Objectifs 2015 » destinée à accompagner les professionnels de santé pour améliorer le contrôle de l’HTA[8]. Pour lutter contre l’inertie thérapeutique, les experts insistent sur la nécessité d’utiliser plus systématiquement les mesures ambulatoires pour confirmer le diagnostic d’HTA et adapter la stratégie thérapeutique[6-9].
S’agissant d’une véritable maladie chronique pour nombre de patients, la mise en œuvre d’un circuit patient spécifique à l’HTA avec l’élaboration d’un guide pratique serait utile si nous nous référons aux dernières recommandations de la HAS parues sur le sujet[10].
Reconnaître une « fausse » HTA réfractaire : les étapes clés pour un diagnostic réussi
Un certain nombre d’étapes permettront, dans la majorité des cas, d’avoir de bonnes surprises et d’éliminer une « fausse » résistance au traitement. Dans tous les cas, la coopération entre le médecin traitant, le médecin cardiovasculaire et le pharmacien est fondamentale dans la prise en charge. De même l’information du patient, l’éducation thérapeutique et la recherche d’une mauvaise tolérance du traitement seront d’autres clés majeures d’une prise en charge réussie[6,8,9,12].
Bien mesurer la pression artérielle au cabinet et en ambulatoire
Il s’agit bien là d’une étape clé dans la prise en charge ! Il convient de prendre le temps d’évaluer précisément la pression artérielle (PA) car l’HTA « réfractaire » n’est pas une urgence hypertensive. Les mesures ambulatoires vont permettre de s’affranchir de la réaction d’alarme (effet blouse blanche) et de confirmer ou non le diagnostic d’HTA réfractaire[6-9]. Les recommandations anglaises NICE ont d’ailleurs publié pour la première fois une classification de l’HTA tenant compte des données de la MAPA diurne[6].
La Société française d’HTA vient de proposer des recommandations de bonnes mesures. L’hypotension orthostatique doit être dépistée chez les patients à risque (dont le sujet âgé)[7,8]. L’utilisation de mesures automatisées de la PA permet de corriger dans 33 % des cas les « fausses » HTA résistantes.
Bien connaître les objectifs tensionnels
La cible tensionnelle à atteindre sous traitement est plus adaptée à la réalité. Il convient d’obtenir une PA systolique (PAS) < 140 mmHg et une PA diastolique (PAD) < 90 mmHg pour tous en consultation ; et/ou une PAS < 135 mmHg et une PAD < 85 mmHg avec la mesure ambulatoire de la PA (MAPA) diurne ou l’automesure tensionnelle (AMT). Après 80 ans, la cible sera une PAS < 150 mmHg, sans hypotension orthostatique en consultation[6-8].
Bien connaître la stratégie de titration thérapeutique et la définition de l’HTA réfractaire
Les recommandations de titration thérapeutique ont été simplifiées, en tenant compte des résultats des derniers grands essais thérapeutiques[6,8]. En 2012, la trithérapie recommandée doit associer, sauf contre-indication ou intolérance, un bloqueur du système rénine-angiotensine (BSRA), une dihydropyridine et un diurétique thiazidique ou apparenté, à pleines doses, pendant au moins 4 à 6 semaines. Lorsqu’un hypertendu n’est pas à l’objectif tensionnel (PA > 140/90 mmHg) en dépit de la prescription de trois médicaments antihypertenseurs de classes pharmacologiques différentes, à la dose maximale tolérée, incluant un diurétique thiazidique ou apparenté, il est décrit comme présentant une HTA « réfractaire » ou « résistante »[7,9]. Avant de porter le diagnostic d’HTA réfractaire, il est recommandé[6-9] de réaliser une MAPA ou une AMT pour vérifier la permanence du non contrôle tensionnel (PA > 135/85 mmHg). La dernière étape sera le double blocage du système rénine-angiotensine (SRA) avec l’introduction de petites doses de spironolactone, en commençant par 12,5 mg/j, sous surveillance de la créatininémie et de la kaliémie. Tant que le patient n’est pas à l’objectif tensionnel, il doit être revu toutes les 4 semaines par son médecin généraliste pour effectuer la titration thérapeutique et évaluer la tolérance et l’observance. Néanmoins passée l’étape de la trithérapie, en cas de résistance, le médecin généraliste peut demander un avis d’expert, avant l’étape du double blocage du SRA[6-9].
Dépister l’intolérance médicamenteuse ; évaluer l’observance à chaque consultation
Il s’agit d’une autre étape majeure de la consultation pour écarter le diagnostic d’HTA réfractaire. La tolérance au traitement va en effet conditionner l’observance du patient. Le médecin peut s’aider du questionnaire d’observance recommandée par la Société française d’HTA et le Comité de lutte contre l’hypertension (www.comitehta.org). La « non-observance » est très fréquente, concernant environ un hypertendu sur deux. Elle est parfois « avouée », en particulier chez les patients accompagnés sur le plan éducatif, mais souvent inavouée par crainte du médecin. Elle sera à rechercher devant une HTA non contrôlée en s’appuyant sur des indicateurs simples, cliniques ou biologiques tels : la fréquence cardiaque sous bêtabloquants ; une alcalose avec hypokaliémie et/ou une hyperuricémie sous diurétiques, une toux sous IEC, des œdèmes des membres inférieurs sous ICa ; le renouvellement des ordonnances ; la qualité du suivi (le patient vient-il régulièrement en consultation ?). Toutefois, le médecin peut être en partie responsable de la « non-observance » en ayant une vision négative de l’HTA, en ne dépistant pas systématiquement la tolérance et l’observance de ses prescriptions. Un médecin motivé et à l’écoute renforcera l’adhésion de son patient à sa prise en charge. Une relation de confiance médecin-patient est aussi un facteur clé d’observance. Le pharmacien est un acteur très important pour dépister la « non-observance » et les éventuels effets indésirables, et dans l’accompagnement éducatif[8,12-15].
Rechercher parallèlement les facteurs classiques de « fausse » résistance
Le mode de vie est l’ennemi public n° 1 des hypertendus avec de nombreuses situations clairement identifiées comme responsables : l’inobservance des règles diététiques (consommation excessive de sel ou d’alcool) ; l’obésité ; la sédentarité, le stress, le syndrome d’apnée du sommeil, l’isolement social, etc.[8,9, 11,12,16].
Avant de parler d’HTA réfractaire, il convient aussi d’éliminer les associations thérapeutiques délétères !
Cette étape est recommandée dans le guide pratique des maladies chroniques de la HAS pour limiter la iatrogénie des polypathologies chroniques, très fréquente chez l’hypertendu âgé[10].
L’analyse des différentes ordonnances chez ces patients aux multiples pathologies chroniques est fondamentale. On conseillera au patient de ramener tout son dossier médical personnel en consultation pour le confronter régulièrement au dossier « source » du médecin généraliste. Certains médicaments (anti-inflammatoires non stéroïdiens dont aspirine et COX-2) inhibent l’action des bêtabloquants, des diurétiques, des BSRA. D’autres augmentent la PA comme les glucocorticoïdes, la ciclosporine, le tacrolimus, l’indinavir, l’érythropoïétine, les estrogènes de synthèse (quel que soit leur mode d’administration), les sympathicomimétiques, les décongestionnants nasaux, certains antiépileptiques (inducteurs enzymatiques), certains antidépresseurs. La consommation de LSD, d’amphétamines, de cocaïne, d’ecstasy ou de liquorice naturelle peuvent augmenter la PA. Le contexte clinique sera très souvent évocateur[9,16].
Savoir se remettre en question pour ne plus être dans l’inertie médicale
L’inertie médicale est un facteur reconnu majeur de pseudo résistance[8,12-15]. Or, on assiste actuellement à un désintérêt pour l’HTA « maladie », pourtant très fréquente. Les 3 enquêtes françaises ENNS[3], FLASH[2] et PARITE[4] soulignent une grande inertie médicale dans l’ajustement des thérapeutiques associée à une sous-utilisation des mesures ambulatoires de PA. L’inertie thérapeutique (IT) est définie comme la réticence ou l’insuccès des médecins à modifier ou à intensifier le traitement choisi lorsque la PA cible n’est pas atteinte[13]. Il y a des facteurs reconnus d’inertie médicale ; on a ainsi identifié la méconnaissance des recommandations sur l’HTA, la multiplication des antihypertenseurs et des combinaisons thérapeutiques, la complexité des patients actuels de plus en plus âgés, mais également la surcharge de travail et l’isolement des médecins dans leur exercice[13-15]. Il y aussi l’impact de l’usure physiologique et psychologique des patients ayant une maladie chronique peu ou pas symptomatique, avec en miroir l’usure mentale des médecins. Même si elle est compréhensible, l’inertie médicale reste dangereuse pour ces patients à risque[8,13,15]. Réduire l’inertie thérapeutique devrait permettre d’éliminer un certain nombre de « fausses » HTA réfractaires.
Dans ce sens, la prise en compte des attentes du patient, de son environnement, de l’acceptation de sa maladie, l’explication claire des objectifs et des modalités du traitement, la recherche active des effets indésirables, l’évaluation systématique de l’observance en consultation, la connaissance des médecins de la pathologie, le partenariat avec le pharmacien sont autant de facteurs qui peuvent agir positivement sur l’observance et sur l’inertie médicale[8,13,15]. L’accompagnement éducatif, en rendant les patients acteurs de leurs soins, va aussi aider les médecins au quotidien et les dynamiser dans leur pratique professionnelle en diminuant leur burn out[6,8,9,13].
Si toutes ces étapes sont négatives… il convient de faire un bilan en milieu spécialisé
Ce bilan sera toujours orienté par le contexte clinique et les résultats du bilan biologique de base (notamment créatininémie, kaliémie, protéinurie)[6,8,9].
La check list pratique
Les étapes clés de la prise en charge, permettant d’écarter une HTA réfractaire, sont rapportées dans les figures 1 et 2.
Figure 1. Eliminer une « fausse » HTA réfractaire.
Figure 2. Les facteurs classiques de « fausse » résistance.
Des outils simples accompagnent aujourd’hui le praticien pour limiter l’inertie clinique : les mesures ambulatoires, le test d’observance, le dossier informatisé, le guide « Objectifs 2015 » de la Société Française d’HTA. Des brochures d’information destinées aux patients (www.comitehta.org), le carnet de suivi de l’hypertendu récemment mis à jour (www.fedecardio.com) vont aider le patient à mieux comprendre sa maladie et le rendre plus actif dans sa prise en charge.
Conflits d’intérêt :
Claire Mounier-Véhier, auteur principal, est consultante pour plusieurs firmes pharmaceutiques pour la rédaction d’articles et de diaporamas, la réalisation de conférences, des missions de conseil. Claire Mounier-Véhier a reçu des subventions et des bourses de recherche pour conduire des actions de recherche dans le domaine de l’éducation thérapeutique. Les partenaires sont les suivants : Astra-Zeneca, Bayer Pharma, BMS, Boeringher-Inghelheim, Bouchara-Recordati, Daichi-Sankyo, Ardix-Therval - Euthérapie - Servier, Novartis Pharma, Ménarini, Merck Serono, Microlife, Resmed, MSD, Omron, Sanofi.
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