Publié le 25 sep 2012Lecture 6 min
Dabigatran : praxis et doxa* dans la FA
P. ATTALI, CHU Strasbourg
La doxa, d’abord !
La doxa, d’abord !
Les AVK
Les AVK, qui réduisent de 64 % le risque d’AVC dans la FA, sont trop peu utilisés (50 % des cas), en raison de leur maniement difficile, de leurs nombreuses interactions alimentaires et médicamenteuses, de leur monitorage contraignant, et, en raison de leur risque hémorragique élevé, surtout quand l’INR est trop instable ce qui est constaté dans 40 % des cas (3,85 %/an quand le TTR < 60 %, vs 1,58 %/an quand le TTR < 75 %). Une alternative aux AVK était logique, nécessaire, et fortement souhaitée par les médecins et… beaucoup de patients.
Le dabigatran
Le dabigatran etexilate, prodrogue rapidement convertie en dabigatran (D), a une biodisponibilté de 6,5 %, et une demi-vie de 12-17 h. Son excrétion est rénale de façon prépondérante (80 %). Son absorption et son élimination ne sont pas influencées par l’alimentation, et sont peu influencées par les médicaments associés (rôle de la glycoprotéine-P). Les études de phase 2 ont identifié deux posologies utiles du D : 110 mg x 2/j et 150 mg x 2/j.
L’étude RELY : essai pivot du dabigatran dans la FA
L’étude de non-infériorité RELY[1] a inclus des patients avec une FA documentée et au moins un autre facteur de risque d’AVC : antécédent d’AVC/AIT ou d’embolie systémique, FEVG < 40 %, insuffisance cardiaque symptomatique avec une classe NYHA ≥ II, âge ≥ 75 ans, ou âge ≥ 65 ans plus diabète, coronaropathie, ou HTA.
Les patients ont été randomisés en 3 bras (méthodologie PROBE avec adjudication des évènements à l’aveugle) : D 110 mg ou 150 mg (x 2/j), ou warfarine (INR 2-3). Le critère principal de jugement était le taux d’AVC et/ou d’embolies systémiques. Après un suivi médian de 2 ans, le D 150 mg a été supérieur, et le D 110 mg non inférieur, à la warfarine [respectivement, RR 0,66 (p < 0,001 pour la supériorité) et 0,91 (p < 0,001 pour la non infériorité)] (figure 1).
Figure 1. Étude RE-LY : principal critère de jugement sur le groupe de traitement.
Le pourcentage de survenues d’hémorragies majeures a été de 3,36 %/an dans le groupe warfarine, versus 2,71 %/an dans le groupe recevant 110 mg de D (p = 0,003) et 3,11 %/an dans le groupe recevant 150 mg de D (p = 0,31).
Les AVC hémorragiques ont été beaucoup moins fréquents sous D [0,10 % sous D 150 mg (p < 0,001) et 0,12 % sous D 110 mg (p < 0,001) vs 0,38 % sous warfarine], que les patients aient été naïfs ou non des AVK.
Ainsi, l’étude RELY nous a montré que les deux posologies du D ont été avantageuses par rapport à la warfarine : le D 150 mg a été plus efficace, pour un risque hémorragique similaire, et le D 110 mg a eu un meilleur profil de sécurité que l’AVK, pour une efficacité similaire. Cette posologie « à la carte » doit permettre un traitement anticoagulant « personnalisé ».
La praxis, ensuite[2]
Comment débuter un traitement par le dabigatran ?
Avant de débuter un traitement par le D, la clairance de la créatinine doit être évaluée en utilisant la formule de Cockcroft-Gault. En Europe, le D est contre-indiqué chez les patients avec une insuffisance rénale sévère (CrCl < 30 mL/min). Une numération sanguine complète doit être réalisée, puisque l’anémie et la thrombopénie augmentent le risque de saignements[3].
En cas de relais des AVK par le D, il faut d’abord arrêter l’AVK et mesurer l’INR : s’il est < 2,0, le D peut être démarré immédiatement ; sinon, l’INR sera contrôlé 48 h après.
En cas de relais d’une HBPM par le D, celui-ci doit être donné 2 h avant le moment théorique de la prochaine injection, et celui d’une HNF, le D doit être donné au moment de l’arrêt de la perfusion.
Après avoir débuté un traitement par dabigatran, quand faudra-t-il revoir le patient ?
Le D ne nécessite pas de surveillance biologique en routine. En revanche, il est capital de s’assurer de l’observance du patient. Les patients doivent être revus dans les trois à six mois après avoir débuté le D. La fonction rénale doit être évaluée lors de ce premier rendez-vous, puis tous les six mois quand une dysfonction rénale légère à modérée est constatée, ou lorsqu’une diminution de la fonction rénale est suspectée.
Comment l’observance du patient peut-elle être vérifiée ?
L’observance doit être évaluée cliniquement. L’éducation du patient est essentielle : il faudra expliquer au patient, et à son entourage, ce qu’est un anticoagulant, pourquoi il est prescrit, quels sont ses risques et ses bénéfices, quels événements indésirables peuvent survenir, et comment les identifier pour les gérer. La remise d’une carte d’information au patient sera utile pour le montrer, si besoin, aux autres soignants.
Chez quels patients traités par dabigatran devrait-on suivre la coagulation ?
La majorité des patients sous D ne nécessite pas une surveillance de la coagulation en routine. Dans des situations exceptionnelles, des tests de coagulation seront effectués : suspicion de surdosage, saignement actif, ou chirurgie urgente.
Comment l’effet anticoagulant du dabigatran peut-il être mesuré ?
Pour évaluer le risque de saignement, les tests globaux qualitatifs tels que le TCA ou le temps de thrombine peuvent être utilisés. Pour une mesure quantitative, le temps de thrombine calibré Hemoclot® sur le D (temps de thrombine dilué) peut être utile[4]. Le délai entre le moment du prélèvement et celui de la dernière prise du D doit être pris en compte.
Comment gérer un patient sous dabigatran en cas de chirurgie urgente ?
Le D doit être arrêté l à 4 jours avant la chirurgie élective, selon la fonction rénale et le risque de saignements.
Si le geste chirurgical ne peut être retardé, l’intensité de l’anticoagulation doit être vérifiée par le « temps de thrombine dilué » ou le TCA. Si les résultats sont dans la fourchette normale, alors l’acte chirurgical peut être réalisé. Si la concentration plasmatique du D est > 200 ng/mL ou le TCA > 80 sec, et qu’une chirurgie urgente est nécessaire, une réversion de l’effet anticoagulant du D, avec des concentrés de complexes prothrombiniques ou du facteur VIIa recombinant, doit être envisagée.
Lors de la reprise du D, il faut tenir compte de la rapidité de l’effet anticoagulant : en général, le D peut être repris 24 à 72 h après un geste chirurgical.
Un patient sous dabigatran peut-il recevoir une double antiagrégation plaquettaire ?
Chez 8 507 patients de l’étude RE-LY, le traitement anticoagulant a été associé à un antiagrégant plaquettaire (aspirine, clopidogrel, ou les deux). Comme dans l’étude globale, le D 150 mg x 2 a été plus efficace que la warfarine, avec un risque de saignements majeurs similaire. De même, le D 110 mg x 2/j est resté aussi efficace que la warfarine, avec une réduction des événements majeurs.
Comme attendu, un traitement antiagrégant plaquettaire concomitant au traitement anticoagulant augmente le risque de saignements majeurs (HR = 1,60, IC 95 % 1,41-1,81).
Comment gérer un patient sous dabigatran admis pour un SCA ?
Il semble raisonnable d’attendre au moins 12 h avant de débuter un anticoagulant et notamment le D.
Si le patient relève d’une angioplastie primaire, l’héparine doit être administrée durant le geste (cibles habituelles de l’ACT). Le D peut être repris après l’arrêt de l’héparine, en général après la revascularisation.
En cas d’AVC/AIT sur FA, quand débuter le dabigatran ?
Une étude ancillaire de l’étude RE-LY a montré qu’il n’y avait pas d’augmentation des saignements intracrâniens, avec les deux doses de D en comparaison avec la warfarine, chez les patients avec un antécédent d’AVC/AIT ou non. Néanmoins, cet essai a exclu les patients ayant eu un AVC/AIT survenu dans les deux semaines avant l’inclusion. Il faut rappeler que les données sont également manquantes pour les AVK.
Comment réaliser une cardioversion chez un patient sous dabigatran ?
Avec 18 113 patients, RE-LY est la plus grande étude dans la FA et a été une opportunité unique d’évaluer le risque thromboembolique post-cardioversion dans une analyse post hoc[5] (647 sous D 110 mg, 672 sous D 150 mg, et 664 sous AVK).
Elle a montré qu’une cardioversion peut être réalisée sous D, mais il faut bien s’assurer de l’observance du patient (figure 2).
Figure 2. Analyse post hoc de l’étude RE-LY : critère primaire de jugement après cardioversion.
* Praxis (d’origine grecque), signifiant action sous-tendue par une idée vers un résultat pratique. Doxa (d’origine grecque) est l’ensemble d’opinions.
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