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Cardiologie générale

Publié le 20 nov 2012Lecture 10 min

L'arrêt cardiaque - Une maladie multidisciplinaire…

E. MARIJON, L. LAMHAUT, D. JOST, A. CARIOU, C. SPAULDING, X. JOUVEN, HEGP-Cardiologie ; Necker-SAMU ; BSPP ; Cochin-Réanimation ; Inserm U970 ; CEMS.

Paul, 46 ans, jeune cadre dynamique, sans antécédent particulier, se réjouit de ce week-end de Pentecôte ensoleillé. Son train l’attend à 18h52, direction la mer… Bien entendu, la circulation est chargée aux abords de la gare, l’obligeant à se garer en catastrophe. Il se rue vers la gare afin de ne pas louper son train. Brutalement il sent qu’il se passe quelque chose d’anormal et s’effondre sur le parvis de la gare…

Un élève des Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives s’approche et identifie qu’il est inconscient et ne respire plus normalement. Il lui prodigue un massage cardiaque immédiatement. L’alerte aux Sapeurs-Pompiers est donnée par une jeune mère de famille. Un choc électrique est délivré par un défibrillateur automatisé externe mise en place par nos témoins. Les premiers secours arrivent en 8 min sur place et poursuivent les manœuvres de réanimation cardio-pulmonaire. Ils délivrent deux nouveaux chocs. Le SAMU se présente et une réanimation spécialisée est mise en place. Le rythme initial est une fibrillation ventriculaire qui est réduite avec un nouveau choc électrique. Le patient présente des signes de réveils frustres et l’hémodynamique est instable sous adrénaline. Une hypothermie modérée est mise en place sous sédation. L’ECG montre un échappement ventriculaire assez large à 50 min. Le patient est transféré vers le centre de cardiologie interventionnelle le plus proche et passe immédiatement en salle de coronarographie. On note une occlusion complète au niveau de l’ostium de la coronaire droite (figure 1). Une thrombo-aspiration permet de rouvrir l’artère et met en évidence une lésion significative qui est traitée avec, mise en place d’un stent. Le patient est ensuite transféré en réanimation ou l’on poursuit l’hypothermie. La fraction d’éjection est estimée à l’échographie à 20 % avec une akinésie inférieure et une hypokinésie sévère dans les autres territoires. Un état de choc apparaît quelques heures après l’arrêt et est traité par perfusion d’adrénaline, remplissage et mise en place d’une assistance cardiaque Impella® par voie percutanée par les chirurgiens. La famille est prévenue, et informée du pronostic réservé. On apprendra le lendemain que son frère cadet de 2 années a fait une mort subite (rupture d’anévrysme a priori d’après son épouse) il y a exactement 1 an.   Figure 1. Occlusion coronaire droite, qui sera thrombo-aspirée, puis dilatée avec pose d’un stent.    La fonction ventriculaire se normalise en 48 heures permettant l’ablation de l’assistance circulatoire et le sevrage en adrénaline. À l’arrêt des sédations après la phase d’hypothermie, Paul se réveille rapidement. Une insuffisance rénale, nécessitera un avis néphrologique. Il rejoindra le service de cardiologie. « Arrêt cardiaque en phase aiguë d’infarctus » : pas de défibrillateur d’après les recommandations. Les avis restent pourtant divisés et le cas de Paul est âprement discuté au staff. La fraction d’éjection est quasiment conservée avec une micro séquelle inférieure. Après un séjour relativement court en réadaptation, Paul regagnera son travail 6 semaines après, sans séquelle neurologique. Savoir qu’il avait 1-2 % de chances seulement que cela puisse se terminer ainsi, le tourmente un peu ; ce d’autant que certains médecins semblent dubitatifs sur la rupture d’anévrysme de son frère. Un suivi psychologique a été mis en place. Un suivi régulier est prévu avec un cardiologue libéral proche de son domicile. Il est prévu chez lui une consultation du second frère de Paul et son médecin traitant a été tenu au courant. Un prélèvement sanguin a visée génétique a été effectué par le SAMU pour inclusion dans l’étude CARTAGEN (Cardiac ARest and GENetics– Inserm U970).   Ce cas illustre l’importance d’une collaboration entre plusieurs spécialités dans la prise en charge de la mort subite qui pose des problèmes de santé publique, de médecine d’urgence, de réanimation et de cardiologie mais également de psychologie, d’éthique, de sociologie, et médico-économiques. C’est en réponse à cette problématique que le Centre d’Expertise de la Mort Subite (CEMS–cems@inserm.fr ; 01 53 98 80 79) est né le 9 septembre 2011 à Paris et sa petite couronne, fruit d’une collaboration large : la Brigade des sapeurs pompiers de Paris, les unités du SAMU, l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, l’Université Paris Descartes, l’Agence de la Biomédecine, l’APHP avec ses services de Cardiologie et de Réanimation, en association avec les différents Centres de Référence des Pathologies Cardiaques Héréditaires, et les médecins libéraux. Toutes les étapes et dimensions de la prise en charge de l’ACEH ont été regroupées afin d’améliorer ensemble la prise en charge de l’ACEH, la détection et la prise en charge des sujets à risque, mais aussi développer une stratégie de prélèvement, qui serait plus systématique, d’organes chez ces donneurs dits « à cœur arrêté ». Une pluralité d’acteurs intervient dans la prise en charge des adultes touchés par une mort subite. Autant d’expertises que le Centre permet de mettre en lien (figure 2). Seulement une minorité des patients victimes d’ACEH arrivent en cardiologie (figure 3), et cela représentait jusqu’à présent une perte d’informations majeure.     Figure 3. Seule une minorité des ACR sera finalement évaluée par un cardiologue.    La mise en place d’un Registre (i.e. visant l’exhaustivité des cas) depuis le 15 mai 2011 à Paris et la petite couronne (6,6 millions d’habitants) représente la première étape pour renforcer ces collaborations[3]. Les villes de Lille et Nancy s’organisent de façon similaire.   Un peu d’épidémiologie W. Bougouin, J.-P. Empana (Unité d’Épidémiologie–Inserm U970 ; CEMS)   L’ACEH représente une des premières causes de décès dans les pays occidentaux. Cette expression représente une réalité large et hétérogène qu’il convient de clairement définir afin de pouvoir en préciser les caractéristiques épidémiologiques. Les données épidémiologiques disponibles dans cette pathologie sont rares et anciennes en France, et difficiles à extrapoler à partir de données internationales.   Deux définitions L’arrêt cardiaque (AC) est le mécanisme final de tout décès, quelle qu’en soit la cause. Dans la majorité des cas, il survient comme complication terminale d’une pathologie préexistante (cancer, insuffisance respiratoire sévère, infection grave, etc.). À l’inverse, une partie de ces AC survient de façon inopinée, sans condition pré-morbide connue. Lorsqu’il n’existe pas de cause circonstancielle évidente (traumatisme, noyade, suicide, fausse-route, etc.), on parle alors de mort subite, et la cause sous-jacente est présumée cardiaque. Pour préciser cette définition, une conférence internationale d’experts a établi 2 définitions[4] : la mort subite certaine est un AC inattendu sans cause extracardiaque évidente, avec effondrement brutal devant témoin, ou en l’absence de témoin survenant moins d’une heure après l’apparition des premiers symptômes. La mort subite probable est un AC inattendu sans cause extracardiaque évidente, survenu moins de 24 heures après le dernier contact avec le patient. Par définition, sont exclus les patients présentant une maladie préexistante considérée en phase terminale (cancer, insuffisance respiratoire terminale, etc.).   Comprendre l’épidémiologie de la maladie coronaire La mort subite est principalement la conséquence d’un trouble du rythme ventriculaire compliquant une cardiopathie ischémique. Il apparaît donc particulièrement important de bien saisir l’épidémiologie de la maladie coronaire pour aborder au mieux la problématique de la mort subite. La cardiologie a fait des progrès phénoménaux ces dernières années, en particulier en ce qui concerne la prévention cardiovasculaire, et la prise en charge des syndromes coronaires aigus. Il en a résulté une importante baisse de l’incidence et de la mortalité des évènements coronaires. La preuve de cette tendance favorable a été publiée l’année dernière par nos collègues suédois (figure 4)[5]. Les auteurs démontrent sur près de 400 000 évènements coronariens aigus une chute de l’incidence globale ainsi que de la mortalité intra-hospitalière au cours des 15 dernières années. Ces résultats sont bien entendus extrêmement satisfaisants pour nos patients, la recherche médicale et le monde cardiologique.   Figure 4. Evolution des infarctus du myocarde en Suède, 1991–2006.    Mais comment espérer gagner encore plus en survie intra-hospitalière étant donné le niveau d’excellence actuellement atteint ? La mortalité extrahospitalière du syndrome coronarien aigu peut-être assimilée pour la majorité à des morts subites, dont la mortalité pré-hospitalière reste élevée. Se tourner vers l’extra-hospitalier est donc devenu le nouveau défi cardiologique et ne peut se faire que via une collaboration particulièrement étroite entre les différents niveaux de soins.   Incidence de l’ACEH De multiples études sur l’incidence de la mort subite ont été réalisées, dans des pays divers (États-Unis, Australie, Irlande, Grèce, etc.) et certaines ont été intégrées dans une méta-analyse[6]. L’incidence rapportée est très discordante, de 20 à 100 cas pour 100 000 personnes-année. Cet important écart résulte de plusieurs facteurs. D’une part, les chiffres rapportés sont issus d’études couvrant une période de 25 ans, au cours de laquelle la définition, les facteurs de risque coronaires ont nettement évolués. D’autre part, le mode de recueil conditionne directement les taux d’incidence rapportés. Ainsi, les chiffres d’incidence varient du simple au triple selon la méthodologie employée (diagnostic rétrospectif basé sur les certificats de décès, ou recueil prospectif des cas utilisant des sources multiples)[7]. Il est couramment admis que le recueil prospectif des cas à l’aide de sources multiples représente le meilleur compromis entre exhaustivité du recueil et la spécificité des cas. À l’échelle de la France, les données disponibles sont assez rares. Dans le registre du CEMS, sur une période d’un an, 3 629 cas d’arrêts cardiaques ont été pris en charge par les secours pré-hospitaliers. Parmi eux, 524 étaient de causes extracardiaques évidentes, et 3 105 ACEH de cause présumée cardiaque. Au final, 1 876 patients ont présenté un ACEH de cause cardiaque présumée et ont bénéficié d’une tentative de réanimation par les premiers secours (répondant alors à la définition d’une mort subite certaine ou probable). Sur une population de 5,2 millions de personnes de plus de 18 ans, l’incidence de la mort subite peut donc être calculée à environ 38 cas pour 100 000 personnes-années (soit 25 000 cas d’adultes par an en France en extra-hospitalier).   Qui sont ces patients victimes d’un ACEH ? La mort subite survient préférentiellement chez des hommes (69 % des cas dans le registre du CEMS), notamment du fait de l’incidence plus élevée et plus précoce de la cardiopathie ischémique chez l’homme, d’une sensibilité différente à l’ischémie, d’une répartition différente des cardiopathies structurelles et du caractère protecteur des estrogènes[8-13]. Dans le registre CEMS, l’âge moyen est de 65 ans, 69 % des cas sont des hommes, et l’ACEH survient à domicile dans près de 75 % des cas. Un témoin est présent dans la majorité des cas, et ne débute un massage cardiaque externe avant l’arrivée des premiers secours qu’une fois sur 2. Le rythme initial lors de la prise en charge est choquable (tachycardie ventriculaire ou fibrillation ventriculaire) dans environ 25 % des cas. Cette proportion est cohérente avec la littérature[14-15], qui rapporte une tendance à la diminution de la proportion de rythmes initialement choquables, en particulier au profit des activités électriques sans pouls au cours des trente dernières années. Cette tendance est vraisemblablement multifactorielle, et résulte notamment des progrès de la prise en charge de la cardiopathie ischémique, principale pourvoyeuse de fibrillation ventriculaire.   Quel pronostic ? La survie à la sortie de l’hospitalisation au décours d’une mort subite est évaluée entre 6 et 8%[16]. Toutefois, ce chiffre masque une disparité majeure [17-18], comme récemment démontré dans le registre national de la mort subite du sportif avec des survie variant de 0 % a plus de 50 % a la sortie de l’hôpital[19]. En France, les données concernant la survie à la sortie d’hôpital en population générale sont anciennes[20-21], rapportant une survie de 2 à 5 %. De plus, ces rares études ont été réalisées avant l’avènement de progrès thérapeutiques récents (défibrillation pré-hospitalière, hypothermie, coronarographie). Les études plus récentes ne s’intéressent qu’à des populations sélectionnées (rythme exclusivement choquable, patients avec nécessité d’adrénaline) et souffrent des biais inhérents à tous les essais randomisés[22-24]. Sur les 1 876 patients avec ACEH de cause cardiaque présumée et ayant bénéficié de manœuvres de réanimation, inclus dans le registre du CEMS au cours des 12 derniers mois, 1 239 (66 %) décèdent avant l’arrivée à l’hôpital, 637 patients (34 %) sont transportés vivants à l’hôpital, et 113 (6 %) sortent vivants de l’hôpital.   En pratique La mort subite d’origine cardiaque représente donc toujours un enjeu de santé publique majeur notamment du fait de son incidence mais également de sa gravité. L’établissement d’une définition claire de ce cadre nosologique est le prérequis pour assurer la spécificité des cas, afin de faciliter la recherche médicale par l’étude de phénotypes homogènes. Préciser l’épidémiologie locale permettra d’identifier au mieux les leviers disponibles pour améliorer la prise en charge de l’ACEH, mais également prévenir la survenue de l’événement.

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