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Thérapeutique

Publié le 25 mar 2008Lecture 6 min

Antiagrégants plaquettaires et interactions médicamenteuses : mythe ou réalité ?

M. GILARD, CHU de Brest


Les Journées européennes de la SFC
L’activation et l’agrégation plaquettaires ont un rôle clé dans l’évolution de la maladie athéromateuse faisant des antiagrégants un élément indispensable du traitement des patients ayant un syndrome coronarien aigu (SCA). Les études telles que CURE, PCI-CURE et CREDO ont démontré que la double antiagrégation plaquettaire par aspirine et clopidogrel diminue le risque de thromboses dans les suites d’un SCA ou après la mise en place d’un stent. Cependant, les événements thrombotiques des patients à risque ne sont pas complètement éliminés. C’est ainsi que le concept de « résistance » et de réponse variable des patients à ce traitement a vu le jour.

                  Cette « résistance » aux antiagrégants est plurifactorielle. En effet, que ce soit pour l’aspirine ou le clopidogrel, des facteurs cliniques, cellulaires et génétiques interfèrent sur leur efficacité. Parmi les facteurs cliniques, certaines interactions médicamenteuses ont été individualisées. Il n’existe pas pour le moment de définition consensuelle de cette « résistance ». Par ailleurs, nous ne disposons pas non plus de tests reconnus pour la mesurer.   Métabolisme des antiagrégants   Pour comprendre ces interactions médicamenteuses, un bref rappel du métabolisme de ces antiagrégants est utile.   Aspirine L’aspirine bloque le thromboxane A2, un agoniste de l’agrégation plaquettaire, en inhibant de façon irréversible l’activité cyclooxygénase de la prostaglandine H-synthétase 1 (COX-1).   Clopidogrel Le clopidogrel est une prodrogue. Il est converti en produit actif au niveau du foie par le cytochrome P450. Il exerce son action antiagrégante en se fixant sur le récepteur P2Y12, l’un des deux récepteurs à l’ADP de la plaquette. Son activation entraîne la déphosphorylation d’une phosphoprotéine intraplaquettaire appelée VASP (VAsodiladator Stimulated Phosphoprotein). La phosphorylation du VASP constitue un index de la réactivité plaquettaire : plus cet index est élevé, moins la plaquette est inhibée par l’action du clopidogrel.   « Résistance » aux antiagrégants  Ce nouveau concept manque malheureusement d’une définition reconnue. Pour mesurer l’efficacité de ces antiagrégants, nous disposons de différents tests biologiques dont les potentialités sont variables, avec de larges variabilités interindividuelles, une spécificité souvent incomplète et un manque de standardisation. Lorsqu’on applique ces tests biologiques, le nombre de patients non répondeurs varie selon les études de tests de 5 à 45 % pour l’aspirine et de 10 à 40 % pour le clopidogrel. Par ailleurs, la relation entre les résultats de ces tests biologiques et la clinique reste pour la plupart non démontrée. Cependant, pour le clopidogrel, il existe un test standardisé, reproductible et très spécifique, insensible aux autres antiagrégants : le test VASP. Il mesure l’index de réactivité plaquettaire (PRI). Le PRI est très homogène chez les patients non traités par le clopidogrel (80 %). Un début de validation clinique de ce test existe avec l’établissement d’une valeur seuil du PRI à 50 %, séparant les mauvais des bons répondeurs, selon les études cliniques de P. Barragan(1) et L. Bonello(2).   Aspirine et interactions médicamenteuses Des interactions médicamenteuses ont été rapportées avec l’aspirine : • aspirine et anti-inflammatoires non stéroïdiens ; • aspirine et ranitidine ; • aspirine et les inhibiteurs de l’enzyme de conversion. Les études dans ce domaine sont donc contradictoires.   Aspirine et anti-inflammatoires non stéroïdiens Les anti-inflammatoires agissent de façon réversible sur l’activité de l’enzyme plaquettaire COX-1. Ils vont ainsi inhiber l’action des faibles doses d’aspirine. Certains anti-inflammatoires dits « spécifiques » dont le rofécoxib (Vioxx®) agissent uniquement sur l’enzyme COX2 et n’auraient pas cet effet. Les études cliniques sont contradictoires : certaines ne retrouvent pas cette interaction, comme le montre la métaanalyse de A. Reicin à propos de 8 études(3). À l’inverse, l’étude APPROVE(4) a mis en évidence un effet délétère du rofécoxib avec une augmentation significative des événements thrombotiques et du retentissement gastro-intestinal en termes de saignements et d’ulcères. À la suite de cette étude, ce médicament a été retiré. Avec l’ibuprofène cependant, plusieurs études mettent en évidence une interaction avec l’aspirine. F. Catella-Lawson(5) objective une diminution de l’efficacité biologique de l’aspirine lorsqu’il existe un prétraitement par l’ibuprofène, ou lorsque l’ibuprofène est donné en plusieurs prises. Par contre, cet effet ne se produit pas si l’aspirine est administrée avant. MacDonald(6) confirme par une étude clinique que l’association aspirine-ibuprofène s’accompagne davantage d’événements cardiovasculaires que lorsque l’aspirine est prescrite seule.   Aspirine et ranitidine E. Lev(7) a objectivé récemment une interaction biologique entre l’aspirine et la ranitidine qui est un antihistaminique H2. La ranitidine diminuerait son effet antiplaquettaire, en diminuant son absorption. Cette étude biologique portant sur 10 sujets sains doit être confirmée en clinique.   Aspirine et IEC Par son action sur le COX-1, l’aspirine diminuerait l’efficacité de l’inhibition de l’angiotensine. Des études cliniques ont confirmé cette interaction : CONSENSUS II, SOLVD, GUSTO-I, EPILOG. D’autres études ont des résultats inverses : BIP-registry, métaanalyse de Latini, ou de Teo dans le Lancet de 2002(8).   Clopidogrel et interactions médicamenteuses Deux interactions principales ont été rapportées : clopidogrel avec atorvastatine et clopidogrel avec oméprazole.   Clopidogrel et atorvastatine L’atorvastatine est métabolisée par le même cytochrome P450 3A4 que le clopidogrel. W. Lau(9) a mis en évidence chez 44 patients, une augmentation de l’agrégation plaquettaire sous clopidogrel en utilisant un test d’agrégation plaquettaire. Cette augmentation est dose-dépendante de l’atorvastatine. Cet effet ne serait pas retrouvé avec la pravastatine. Depuis, des études ont rapporté des résultats contradictoires. J. Saw(10-11) a recherché rétrospectivement dans les grands essais randomisés tels que CREDO et CHARISMA, les patients recevant à la fois le clopidogrel et l’atorvastatine. Elle n’a pas mis en évidence de recrudescence d’événements cliniques comparativement aux patients ne recevant pas d’atorvastatine.   Clopidogrel et oméprazole Dans une première étude(12), nous avions montré que la modification du test VASP après clopidogrel était diminuée par différents facteurs tels que le surpoids, le diabète, l’âge et les inhibiteurs de la pompe à protons, mais non influencée par les statines. Les inhibiteurs de la pompe à protons agissent sur le même cytochrome hépatique (P450 2C19) que le clopidogrel. Pour confirmer leur effet sur l’activité plaquettaire du clopidogrel, nous avons réalisé une étude prospective randomisée en double aveugle, dont le nombre nécessaire de patients avait été calculé d’après notre première étude(13). Nous avons comparé les variations de l’efficacité du clopidogrel sous oméprazole versus placebo. Ainsi, 124 patients ayant une indication d’angioplastie avec implantation d’un stent coronaire ont été randomisés en deux groupes, après avoir reçu une dose de charge de 300 mg de clopidogrel suivie d’une dose journalière de 75 mg associée à 75 mg d’aspirine. Un test VASP a été réalisé à J0 (avant la dose de charge de clopidogrel) et à J7. Les caractéristiques des patients étaient identiques dans les deux groupes (âge, sexe, facteurs de risque, traitements concomitants). Les variations du test VASP sont significativement plus modérées dans le groupe oméprazole (p = 0,0001) témoignant d’une baisse de l’efficacité plaquettaire du clopidogrel. Par ailleurs, 60,9 % des patients sont de mauvais répondeurs au clopidogrel dans le groupe oméprazole versus 26,7 % dans le groupe placebo (p = 0,0001). Or, ce groupe de mauvais répondeurs caractérisés par un VASP > 50 % est susceptible de présenter plus d’événements, notamment de thrombose de stents, comme l’ont démontré les études cliniques de P. Barragan et L. Bonello. Cette étude est purement biologique, cependant le test utilisé ici est très spécifique du clopidogrel et non influencé par les autres antiagrégants plaquettaires. Des études cliniques sont nécessaires pour confirmer cet effet. Toutefois, la prescription d’oméprazole comparativement à l’association aspirine et clopidogrel ne devrait pas être systématique.   En pratique   La notion de « résistance » aux antiagrégants est un nouveau concept qui doit être défini. Il faut individualiser des tests pour la mesurer. En effet, tout patient résistant aux antiagrégants ne fait pas systématiquement d’événements cardiovasculaires dans les suites de la mise en place d’un stent, mais les événements surviennent essentiellement dans ce groupe. Il est donc important d’optimiser le traitement en pensant notamment aux possibles interactions médicamenteuses, et d’éviter des associations automatiques non justifiées telle que la prescription systématique d’inhibiteur de la pompe à protons.

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